Quand la tragédie racinienne rencontre l'ordre baroque on s'attend à des étincelles mais la reprise de l'œuvre créée au Capitole déçoit...
"Malgré les naufrages tous les cœurs sont matelots" mais tout de même... il y a quelque chose qui sombre dans la mise en scène d'Ivan Alexandre, journaliste et musicologue choisi par Nicolas Joël dans son vivier toulousain et repris aujourd'hui à Garnier. Première œuvre d'un vieil homme (à l'époque Rameau a cinquante ans) Hippolyte et Aricie est musicalement plein d'audaces (ces vieux jeunes créateurs sont terribles) avec ses parties inchantables (la scène des Parques) ses tempêtes percussives et ses orages tambourinants...
Il y sur la scène de biens beaux solistes qui s'embossent -Sarah Connolly en Phèdre border line, Anne-Catherine Gillet (Aricie étonnée de la méchanceté des dieux)Jaël Azzaretti (Amour bondissant comme un mouton baroque à la voix bien posée) Topi Lehtipuu (Hippolyte convenable) - tous disais-je , s'embossent dans ce décor de carnaval lullien du décorateur André Fontaine avec machinerie d'époque, les costumes somptueux de Jean-Denis Vuillermoz, et bien sûr divinités enivrées de courroux inextinguibles descendant et remontant des cintres ad libitum, plus monstres marins au surgissement fellinien... Il y a bien sûr quelques autres spécialistes de Rameau comme Stéphane Degout ou François Lis prompts à affronter des enfers aux thermostats divers. La grande Emmanuelle Haïm accompagne sa direction de son gestuaire épileptique qui ne nuit pas - dieux de l'olympe merci- à la musique.
Mais bon...
En dépit d'une petite chorégraphie baroque à la manière de concoctée par Nathalie van Paris... qui donne un peu d'oxygène et de mouvement, on s'ennuie.
Tous les ingrédients sont là pour la réussite mais il y a quelque chose de pourri au royaume de ces dieux fadas... Le statisme des personnages, des chœurs (ceux du Concert d'Astrée) trop vibrants par ailleurs, tout concourt à l'immobilité dans un univers où les passions devraient brûler vif. Le parti pris du metteur en scène de respecter l'équilibre de la tragédie lyrique ne parvient pas à convaincre le public non initié. Les feux de l'enfer promis de l'Averne au Ténare "parce ce qu'ils ont de plus barbares" n'embrasent guère le spectateur. L'émotion manque. On est loin de l'inspiration d'un Laurent Pelly dans Platée qui sut créer du liant et du lien dans l'œuvre d'un compositeur pourtant résolument moderne en son temps.