Panorama et photographie sont liés depuis les origines, Daguerre créait des dioramas, la photographie panoramique date de la fin du XIXème, s'efforçant de rendre la réalité de la manière la plus véridique, avec aussi peu de distorsion que possible. Jeff Wall photographie le panorama de Bourbaki, Mikhael Subotzky déforme et dédouble le réel, et Anne-Marie Filaire laisse visible l'assemblage des photographies pour accentuer l'enfermement et le décrochage, visuel et réel (tout comme, sur un sujet voisin, Alexis Cordesse). Ces photographies panoramiques sont en général technologiquement assez sophistiquées.
Albert Moser, A Panoramic View from the Upper Level Skywalk, Laurel Centre Mall, Laurel, Maryland, 12 mai 1985
Les panoramiques d'Albert Moser à la galerie Christian Berst (jusqu'au 21 juillet) sont aux antipodes de ces sophistiquations : photographies d'amateur, développées à la boutique du coin et assemblées méticuleusement avec des bouts de papier collant. Albert Moser suivit quelques cours techniques de photographie, vécut une vie banale et retirée, et fut diagnostiqué comme autiste à 60 ans (il en a aujourd'hui plus de 80). Ces assemblages photographiques (dûment documentés au dos et fièrement tamponnés 'Albert Moser, photographer') témoignent de sa minutie obsessionnelle, perfectionniste, de sa volonté un peu pathétique d'organiser le monde, d'ordonner, de cadastrer, de réguler : les bords sont parfaitement ajustés, mais la jointure reste visible, montrant que le procédé compte autant que le produit fini.
Albert Moser, A Panoramic View of a mural on side of a building at a parking lot and 12th street, Philadelphia, PA, juin 2005
Les paysages montrés sont urbains, des rues, des centres commerciaux et, souvent, les planches de bord de mer, à Atlantic City ou à Coney Island : des lieux déjà mis en scène, des scénographies pré-existantes qu'il retranscrit dans ses montages. Certains font 360°, parfois un peu plus et l'on voit alors le même motif aux deux bouts, souvent emblématique (une bannière étoilée, un signe Holiday Inn), certains un peu moins et on s'interroge sur l'absence, la lacune, impératif technique ou volonté délibérée. Aucun effort de rectifier l'image, d'éviter le parallaxe ou la distorsion : la réalité que Moser transcrit est l'image qu'il en projette, tordue, décalée, décrochée, infidèle. Les bords horizontaux du panorama dansent, forment un éventail ou une concavité; les contours semblent mouvants, la planitude abolie, l'univers enfermant. Les humains sont rares, comme si Moser prenait soin d'éviter toute présence; sur la peinture murale ci-dessus, on distingue un photographe au travail...
Albert Moser, A Panoramic View of Central Park, Boardwalk, Beach, Atlantic Ocean, Hotels, Steeplechase Pier, Steel Pier, Various Boardwalk Shops, Atlantic City, N.J., 29 juillet 1975
Mardi 26 juin à 19h, André Rouillé et moi-même parleront des rapports ambigus entre art brut et photographie, autour de Moser, de Tichy et de quelques autres (avec une participation filmée de Christian Caujolle).
Albert Moser, A panoramic view of the hallway and the escalation on the 3rd floor (going towards the Sands food court), Sands Hotel Casino, Illinois Avenue at Brighton Place; Atlantic City, New Jersey, 14 septembre 1986
Une autre annonce, sur un sujet proche : lors du Festival de Lectoure, deux journées d'étude, les 27 et 28 août, seront consacrées aux 'artistes non-homologués en photographie', sous le titre 'Un oeil candide', autour d'Arnold Odermatt (et j'y parlerai donc de Miroslav Tichy).
Photos courtoisie de la Galerie. Beau catalogue (édition numérotée)