Berezina à droite...
Mais le résultat était là. François Hollande disposait d'une majorité forte à l'Assemblée nationale, comme au Sénat. Ajoutez-y la majorité des exécutifs régionaux et départementaux, et les grandes villes du pays, et une seule conclusion s'imposait: le président Hollande avait tous les pouvoirs que le régime actuel pouvait lui conférer pour gouverner.
A droite, c'était la Berezina. Jean-Louis Borloo annonça la création d'un groupe centriste baptisé UDI, à l'Assemblée. On croyait que Nicolas Sarkozy laissait un parti sûr de lui; qu'il n'avait perdu que sur un malentendu; que les « mea culpa » n'étaient que pour les envieux et les marginaux. Cette semaine fut exemplaire. Nadine Morano, défaite à Toul dans une circonscription difficile. Mercredi, lors du bureau politique de crise de l'UMP, elle traita Fillon de lâche (« Pendant que certains étaient dans des champs de pâquerettes, j'étais sur un champ de mines »). Ce dernier était blême. Elle compléta sur BFM que « le courage n'est pas une qualité essentielle de Fillon ». La même Morano fit rire, pleurer et jaser quand elle invoqua son amitié avec une Tchadienne « plus noire qu'un Arabe » pour se défendre de tout racisme. Roselyne Bachelot sortit son livre où elle flinguait son ancien mentor et surtout ses conseillers de l'ombre. Pour couronner le tout, cet ancien mouvement populaire allait devoir plancher sur ses « valeurs » à compter de mardi.
Un désastre.
Mauvaise foi
L'élection passée, ce fut la semaine de toutes les rumeurs. C'est habituel. En Sarkofrance, nous avions régulièrement des fuites plus ou moins officielles, parfois des manipulations évidentes. Mercredi, alors qu'il quittait Los Cabos au Mexique pour le sommet de Rio, François Hollande fut ainsi interrogé sur d'éventuelles « coupes drastiques » dans la Fonction publique qu'annonçait le Figaro: « invraisemblable » répliqua-t-il. En fait, l'ex-quotidien de Sarkofrance levait un vrai-faux lièvre.
En janvier dernier, Hollande avait explicitement précisé que les créations de postes dans l'Education nationale ou la police « se feront dans le cadre de la stabilité des effectifs de la fonction publique ». Bien sûr, la baisse des effectifs dans les autres ministères pouvait faire mal. Mais elle était prévue, annoncée, préparée. Cela n'empêchait pas les habituels éditocrates de nous rabâcher qu'ils nous l'avaient bien dit. Ceux-là, et quelques hypocrites à droite, faisaient mine d'oublier que François Hollande avait fait campagne, à gauche et depuis l'origine, sur le rétablissement des comptes publics. C'était peu sexy, mais c'était sa marque de fabrique.
Plus grave, le gouvernement Ayrault découvrait qu'il manquerait 10 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat pour finir l'année à la hauteur du déficit budgétaire autorisé cette année par la dernière loi de finances de l'administration Sarkozy.
Anecdotique mais symbolique, le simple ministère de la Jeunesse et des Sports avait engagé 50 millions d'euros de plus que les 247 millions de son autorisation d'engagement. Autre sous-financement, le 10ème mois de bourse pour les étudiants n'aurait pas été correctement provisionnée par l'équipe sortante. La Cour des Comptes annonçait le report de quatre jours de la publication de son rapport sur l'état des finances publiques. Pécresse dénonçait une manipulation. Elle dérivait.
Plus important, on attendait de connaître les moyens supplémentaires de Pôle Emploi. Le récent plan stratégique adopté dans la semaine ne signifiait pas grand chose.
Indignations faciles ou légitimes ?
Parmi les mesures d'urgence rapidement évoquées, certaines scandalisaient la droite et les milieux d'affaires, comme le non-remboursement des sommes dues au titre du bouclier fiscal, l'alourdissement de la fiscalité sur les successions et donations, ou une taxation éventuelle de 3% des dividendes. Cette dernière taxe suscita une bronca au Medef. Crier avant d'avoir mal semble être habitude chez ces gens-là. On pouvait aussi rapidement supprimer les 4,6 milliards d'euros d'exonération d'impôt et de cotisations sociales des heures supplémentaires.
Evidemment, à droite, on couinait. On couinait beaucoup. On voulait aussi charger de tous les maux la nouvelle administration Hollande. Valérie Pécresse, ancienne ministre du Budget, fut exemplaire d'hypocrisie: « Nicolas Sarkozy n'est pas responsable du bilan économique de juillet ! » s'écria-t-elle sur iTélé.
La hausse du SMIC, qui concerne 2,3 millions de salariés, suscita une autre polémique médiatique: Les Echos croyaient savoir qu'elle ne serait que de 2%, soit ... 18 centimes de l'heure. Ce «coup de pouce», pour partie un à-valoir sur la future hausse de janvier 2013, était jugé trop faible... sauf pour certains. Ainsi Marine Le Pen, que d'aucuns décrivaient pourtant comme sociale, dénonça un prétendu mauvais coup fait aux PME. A droite et au Medef, comme chez les experts sollicités par Bercy, on cria également. Peut-être fallait-il attendre mardi prochain. La droite aurait pu se réjouir. La gauche, se lamenter. Tous pouvaient bien attendre quelques jours, mardi 26 juin, quand la nouvelle sera arbitrée et confirmée.
« Hollande Tour »
François Hollande était donc à l'étranger, quasiment toute la semaine. D'abord à Los Cabos, au Mexique, pour son premier G20. Sur place, on pouvait noter quelques différences notables d'avec l'ancien Monarque: il était méthodique, posé et apaisant là où Sarkozy nous agaçait de ses gesticulations et sur-ventes systématiques. Le bilan était plutôt bon... pour un G20. Ces symposiums internationaux ne débouchent jamais sur grand chose de grand concret. Les représentants européens, Hollande en tête, n'avaient pu obtenir l'accord général sur la taxe sur les transactions financières internationales.
Mercredi, Hollande fila au sommet Rio+20. Il fut l'un des rares chefs d'Etat à y participer, même brièvement. D'avis d'experts, cette grande rencontre internationale fut un échec total. « On ne peut pas dire que c'est la faute de François Hollande » précisa Jean-Vincent Placé. L'élu écologiste avait raison de préciser. Il y avait bien en France ou ailleurs, quelques grincheux prêts à tous les procès d'intention.
En fin de semaine, après un bref retour à Paris pour officialiser le nouveau gouvernement, Hollande était reparti à Rome pour revoir Merkel, Monti et Rajoy.
Jean-Marc Ayrault avait « avoué » que la création d'euro-bonds serait ardue. Immédiatement, certains dénoncèrent un renoncement, la nouvelle preuve de la prétendue mollesse du nouveau président. Certains aboyait à grand renfort de « je-vous-l'avait-dit ». C'était pitoyable. D'autres affichaient leur vigilance, c'était légitime.
Ayrault avait simplement prévenu que le chemin serait rude. Qui en doutait ?
Les mêmes critiques furent moins bavardes pour commenter la bonne nouvelle du jour: à Rome, les quatre dirigeants européens étaient tombés d'accord sur une taxe commune sur les transactions financières internationales et, jolie surprise, et un plan de relance de la croissance à hauteur de 1% de leurs PIB respectifs (soit 130 milliards d'euros)... Hollande rappela le manque de sérieux budgétaire de Sarkozy. La réduction du déficit budgétaire l'an dernier avait été inférieure à 10 milliards d'euros, hors évènements exceptionnels. Nous vous l'écrivions sur ce blog depuis des lustres.
Du nouveau gouvernement, les éditocrates se régalèrent. La parité était encore respectée, mais 4 ministres s'ajoutaient pour un nouveau total de 38 membres. Où était le principe du gouvernement resserré ? Enterré par Sarko depuis 5 ans. Ils avaient peu à dire sur Rio, mais beaucoup sur les incompatibilités d'humeur présupposées entre Christiane Taubira et Delphine Batho, qui quitta la Justice pour l'Ecologie, où elle remplaça Nicole Bricq. EELV s'inquiéta que ce dernier mouvement ne signifie un recul des préoccupations écologistes du gouvernement. Surtout, en Guyane, SHELL était finalement autorisée à forer tranquille, au grand dam des ONG locales.
De cette semaine, nous retiendrons que l'état de grâce, s'il a jamais existé, est bel et bien terminé.
François Hollande a cet avantage majeur de n'avoir jamais promis autant de bêtises que son prédécesseur Sarkozy. Mais il a ce handicap tout aussi majeur d'être observé par une vigilance de son propre camp bien plus féroce.