L’intérêt économique des class actions

Publié le 23 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

La garde des Sceaux Christine Taubira a annoncé hier son intention de permettre les actions groupées en justice. La class action permet d’engager des poursuites pour des petits abus concernant un nombre important de personnes. Elle est plus souple et plus indépendante que la réglementation.
Par Acrithène.

La ministre de la Justice, Christiane Taubira, s’est prononcée en faveur des class actions aujourd’hui. Une class action est une poursuite juridique initiée collectivement par un grand nombre de personnes auxquelles peuvent se joindre d’autres victimes éventuelles, souvent des consommateurs, contre un individu ou plus généralement une entreprise. Elles permettent de porter devant les tribunaux des litiges qui semblent petits pour un consommateur individuel, mais peuvent être immenses une fois la collectivité prise dans son ensemble.

La réaction la plus immédiate serait de penser qu’une telle réforme serait bonne pour les consommateurs et nuisible aux entreprises. En vérité, les class actions sont profitables aux deux parties. Je me propose de vous le montrer en prenant l’exemple des problèmes de qualités.

Quand les mauvais produits chassent les bons

En économie, on parle d’asymétrie d’information lorsque les acheteurs et les vendeurs ne disposent pas de la même connaissance du produit vendu. Ces asymétries sont un enjeu saillant des class actions. En effet vous ne poursuivrez a priori que des entreprises vous ayant vendu des produits défectueux à votre insu.

La théorie économique prévoit que ces asymétries nuisent bien entendu aux acheteurs, mais paradoxalement aussi à l’essentiel des vendeurs. L’analyse de ce phénomène a été proposée en 1970 par George Akerlof dans une étude sur le marché des voitures d’occasion en 1970 (*). Explication schématique…

Sur ce marché, les clients ont du mal à discerner les modèles qui sont en bon état (pour lesquels ils sont prêts à payer 100€), de ceux en mauvais état (appelés « lemons » en argot américain, pour lesquels ils n’offriront que 50€). Dans le doute, s’ils pensent être en face d’une offre mélangeant bons et mauvais modèles sans être capables de les discerner, ils offriront 75€.

Le vendeur de la mauvaise voiture la valorise 40€, et serait donc d’accord pour la vendre 50€. Cependant, si le bon vendeur met sa voiture en vente, le mauvais n’hésitera pas à profiter de la confusion pour tromper les consommateurs, qui sachant alors être face au bon et au mauvais sans les discerner, n’offriront que 75€ par véhicule.

Si on imagine que le propriétaire de la bonne voiture n’est pas prêt à s’en débarrasser pour moins de 80€, il renoncera à la vendre. On ne trouvera alors sur le marché que des modèles en mauvais état, ce qui finissant par se savoir fera tomber le prix à 50€.

À terme, non seulement les propriétaires de voitures dégradées n’y gagnent rien, leur bien finissant par être vendu à son juste prix, mais les bons propriétaires sont lésés par l’impossibilité de vendre leur bien, et avec eux les consommateurs qui auraient souhaité le leur acheter. Ainsi, c’est tant le bien-être des consommateurs que les profits des offreurs qui sont touchés.

Le seul moyen de rétablir l’équilibre optimal est de forcer les mauvais offreurs à avouer au public la piètre qualité de leur produit, ou du moins à ne pas en faire une louange mensongère.

L’apport des class actions

On peut identifier au moins six manières de résoudre ce problème, chacune à ses avantages et ses inconvénients. Elles sont souvent combinées.

La résolution de ce problème est le plus souvent spontanée et passe par la réputation des entreprises et des marques. Bien que vous renonciez à demander une quelconque réparation lorsque vous êtes lésés, le bouche à oreille, la presse, les associations de consommateurs… suffisent en grande partie à réguler le marché. Mais dans de nombreux domaines où la notoriété des offreurs est restreinte ou inexistante, la réputation ne joue pas suffisamment son rôle.

Sur le marché de l’automobile, la garantie offerte permet de distinguer les vendeurs qui ont confiance en la qualité de leur produit des autres. Mais la garantie n’est viable que pour des produits d’une certaine valeur, car elle requiert un processus administratif pour chaque produit rapporté au commerçant. L’expertise indépendante est semblablement coûteuse en amont et ne peut se justifier que pour des achats importants. La poursuite juridique individuelle provoque le même souci de coût très importants, cette fois en aval, tant pour l’individu lésé qui doit y consacrer du temps que pour le contribuable finançant le système judiciaire.

La réglementation présente l’avantage de guider le consommateur quant à des qualités du produit qui sont essentielles mais indiscernables, par exemple les risques pour la santé. Au-delà de son coûteux appareil bureaucratique, les économistes ont montré que les agences de réglementation tombaient très souvent sous le contrôle implicite des entreprises qu’elles devaient réguler. Cela est dû tant au fait qu’elles recrutent des experts venus des industries concernées qu’à la forte incitation au lobbying données à ces dernières.

La class action a ses défauts mais complète utilement l’arsenal. Elle permet d’engager des poursuites pour des petits abus concernant un nombre important de personnes. Elle est plus souple et plus indépendante que la réglementation. Elle s’attaque à des problèmes qui sont trop discrets pour que l’expertise, les poursuites individuelles ou les systèmes de garantie soient rentables. Enfin elle renforce l’importance de la réputation en offrant une vitrine aux comportements condamnables des entreprises.

Il est important de distinguer, dans la légalisation des class actions, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. L’essentiel des effets ne se trouveront pas dans les cas qui finiront devant les tribunaux, mais dans toutes les corrections qui seront apportées avant toute forme de poursuite.

Si on se réfère à l’analyse que faisait Akerlof du marché des voitures d’occasion, on ne peut pas conclure que les class actions nuiront aux entreprises, bien au contraire. À l’image de notre propriétaire d’une voiture d’occasion en bon état, des milliers d’entreprises aimeraient vendre des produits de meilleures qualités mais y renoncent car les consommateurs ne peuvent discerner qu’a posteriori, et sans recours plausible, les bons produits des mauvais.

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Sur le web.

(*) Akerlof, George A, 1970. “The Market for ‘Lemons’: Quality Uncertainty and the Market Mechanism,” The Quarterly Journal of Economics, MIT Press, vol. 84(3), pages 488-500, August.