Marc Vasseur s'inquiète :
Quelques signes avant-coureurs semblent modifier le slogan initial de François Hollande 'Le changement c'est maintenant " en un " Le changement c'est pour plus tard ".
Il pense à ceci : Jean-Marc Ayrault enterre les euro-obligations.
Le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault a admis qu'il faudrait des années et davantage d'intégration politique au sein de l'Europe avant de pouvoir introduire les euro-obligations que Paris appelle de ses voeux, dans un entretien à l'hebdomadaire allemand Die Zeit. "Je souhaite que nous parlions d'eurobonds à Bruxelles. Mais il est vrai qu'une communautarisation des dettes exige nécessairement une plus forte intégration politique et nécessitera certainement plusieurs années", a-t-il dit à l'hebdomadaire à paraître jeudi
L'une des grandes originalités de la campagne de François Hollande, c'est qu'il a réussi à dire, avec crédibilité, qu'il allait bousculer l'ami allemand, renverser la logique de l'austérité.
On comprend qu'il impossible que le programme du candidat Hollande ne puisse pas être appliqué tel quel à toute l'Europe. Hollande et Ayrault semblent renoncer assez vite, sans véritable bagarre, à cette mesure.
Dans ses soixante propositions de campagne, il y a bien "je proposerai de créer deseuro-obligations". Dans un sens, la promesse a été tenue, car il ne propose que de proposer. Et pourtant cela semble assez léger de renvoyer l'idée aux calendes grecques, come le dit ironiquement France Info, qui d'ailleurs est moins catégorique sur l'enterrement, et rappellent les "euro-bills", des obligations de court terme, qui pourraient être un premier pas vers une vraie mutualisation de la dette.
Pourquoi est-ce important ? Car Sarkozy avait, aussi, invoqué les euro-bonds, également comme but lointain pour laisser tomber complètement. C'est peut-être déjà un progrès d'avoir fait admettre qu'un jour, peut-être, si tout va bien, il y aura des euro-obligations (sans obligation, bien sûr). C'est un peu faible.
Le discours de Merkel qui visiblement est le seul qui plaît aux conservateurs allemands, ou aux allemands tout court, c'est que la mutualisation de la dette va coûter trop à l'Allemagne, et encourager les pays faibles (ndlr : tous les autres) à dépenser sans compter, sachant que tout compte fait, ce sera l'Allemagne qui paiera. Présenté ainsi, on peut les comprendre.
Voici une explication assez claire des enjeux :
L'avantage principal des eurobonds, selon ses partisans, c'est qu'en affirmant la solidarité européenne à travers la mutualisation d'une partie de sa dette, les Etats les plus fragiles de la zone euro se retrouveraient protégés des attaques spéculatives.
Sauf que cette protection a un coût que Berlin n'est pas prêt à payer. Il faut dire que la Grèce emprunte actuellement à un taux de 15% à dix ans pour refinancer sa dette, contre 2% pour l'Allemagne. Avec les eurobonds, les deux pays emprunteraient au même taux, qui constituerait une pondération de l'ensemble des taux d'emprunt de la zone euro. Ce qui ferait les affaires d'Athènes, moins celles de Berlin.
Une partie du problème, c'est que l'Allemagne, si forte soit elle, ne va pas si bien que cela. Les Financial Times titrent : Germany infected by deepening eurozone woe. La gangrène est là et le réflexe sera de construire des murs de plus en plus haut pour protéger la dette allemande de celles des autres.
[...] mutualiser des dettes aussi insupportables les unes que les autres ne les rend pas plus supportables quand on les a toutes rassemblées.
Pourtant, le problème c'est que la dette est déjà mutualisée. La structure de l'Europe et de l'euro obligent les pays forts (l'Allemagne) à venir en aide dès qu'un pays faible se trouve attaqué par le marché, pour finir avec cette situation absurde que dénonce Joseph Stiglitz :
" Le système fait que le gouvernement espagnol renfloue les banques et que les banques renflouent le gouvernement ", souligne le lauréat du prix Nobel d'économie.
La différence, avec notre système de dette mutualisée qui ne dit pas son nom, c'est que nous devons chaque fois passer par le désormais familière séquence : crise, sommets européens, solution insuffisante, solution presque suffisante, crise suivante. Chaque itération fragilise un peu plus la confiance dans l'ensemble de l'eurozone, et surtout coûte très cher, y compris à l'Allemagne. Idéalement, bien entendu, chaque pays, l'Irlande, la Malte, le Portugal..., devrait être une petite Allemagne, travailleuse et prudente, exportant des voitures de luxe et des technologies de pointe. Il n'y aurait pas besoin de mutualiser la dette, ni de sauver qui que ce soit. (On se demande qui serait encore là pour acheter les Volkswagens.) En attendant - et ça risque d'être long -, la sauvegarde de la monnaie européenne continuera d'exiger la mise en commun des ressources. En s'endettant, chaque pays "imprime" des euros fictifs, joue avec la crédibilité de la monnaie de tous les autres pays. La limitation des déficits à 3 % du PIB se révelée un voeu pieux ; le souhait allemand d'une extension de la rigueur et des mesures de productivité à l'ensemble de la zone sera un voeu tout aussi pieux.
En somme, pour éviter de payer pour les autres, l'Allemagne va être obligée de continuer de payer pour les autres.
L'année dernière, Stiglitz disait encore :
"il vaudrait mieux en fait pour l'euro que l'Allemagne parte parce que les conséquences d'une restructuration de la dette en cas de départ de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande, seraient très importantes. (...) Si l'Europe décide que le seul moyen de continuer passe par un fonds de stabilisation ou de solidarité sous la forme d'eurobonds, dont l'Allemagne ne veut pas, alors ce sera à l'Allemagne de partir."
Que faut-il faire devant le refus de Merkel ? Virer l'Allemagne ? Peu probable, quand même.
La Tribune voit dans le revirement français sur les euro-obligations, l'ouverture de "la voie à la politique déflationniste prônée par l'Allemagne", et prévoit un scénario où François Hollande sera obligé de demander
à la majorité de gauche de ratifier ce traité négocié et signé par Nicolas Sarkozy. Un traité qui aura des conséquences considérables sur la politique économique française : l'équilibre budgétaire devra devenir la seule priorité, malgré les maigres perspectives de croissance. A l'horizon, c'est le risque de déflation qui menace l'économie française et européenne.
Ce serait déjà plié ? C'est trop grave, aussi bien pour la crédibilité politique de François Hollande, que pour l'Europe elle-même, pour que je puisse croire la volonté d'apporter autre chose qu'un acquièscement soit déjà épuisée. Si c'est le cas, les cinq années à venir vont être longues et pénibles.
Je préfère penser que ce n'est qu'un épisode, un cadeau pour faciliter la réélection de Merkel, pour obtenir un effort supplémentaire sur le volet croissance, dans l'espoir qu'une véritable relance soulagera la crise et permettra de règler les problèmes de fond tranquillement. Espérons.
Update : Des nouveaux billets sur le sujet chez Marc et Dagrouik, qui ne sont pas d'accord.