C'est la première fois que l'interviewe un césarisé !
PhilippeClaudel l'auteur, c'est Les âmes grises, Le rapport de Brodeck, La petite fille de Monsieur Linh, J'abandonne, L'enquête etc... et de nombreux prix littéraires.
Au cinéma, Philippe Claudel c'est "Il y a longtemps que je t'aime", César 2009 du premier film, Tous les soleils...
Au théâtre, c'est La Paquet, joué par Gérard Jugnot etc...
Monsieur Linh aurait il pu exister sans sa petite fille ? Quel personnage vous est venu en tête en premier : la petite fille ou le grand père ? Il me semble vous avoir entendu dire à la Grande Librairie que lorsque vous commenciez à écrire un roman, vous n’en connaissiez pas forcément la fin ? Est-ce exact aussi pour le roman “La petite fille de Monsieur Linh” ?
P.C : J’ai voulu écrire un livre sur la fragilité, l’exil, la perte et l’espoir qu’engendre l’amitié. Oui, c’était un livre porté par le sentiment, rare dans le monde, d’amitié. Je souviens que la silhouette de Monsieur Linh a été importante. Il me semblait que je voyais, comme dans une scène de la vie, une scène de cinéma, ce vieil homme avec le nouveau-né dans ses bras. Je l’ai suivi. C’est tout. C’est toujours comme cela. On suit.
“C’est dur de n’avoir que sa vie quand elle est vide de tout mais coupante comme un éclat de verre” C’est Gérard Jugnot qui déclame cette phrase dans votre pièce de théâtre le Paquet. Une vie vide serait donc plus lourde à porter qu’une vie bien pleine.... Ca semble contradictoire non ? En tous cas, dans les mots ! Les mots mentent ils donc parfois ? Et dans le Paquet de Philippe Claudel, qui a t-il ? Dans cette pièce, vous vous montrez cynique (donc forcément drôle aussi) envers notre nation et ses dirigeants, envers notre monde qui s’est effondré et notre culture calcinée ? Pessimisme ? Réalisme ? Ces derniers mois vous ont ils rendus un peu d’optimisme ?
PC : Je crois avoir tout dit, de ce que vous me demandez, dans cette pièce. Il suffit de la lire et les réponses se révèlent, comme dans L’Enquête, comme dans J’abandonne. Ces trois textes écrits durant ces dix ou douze dernières années, témoignent d’un désarroi face à la dureté et à la complexité du monde. D’une souffrance face à la progression du vulgaire, de la toute puissante de l’argent, face à l’effondrement de la considération portée à l’autre, du respect. Nos voix aujourd’hui crient et se perdent dans le vide, la surdité des autres. Le monde nous écharpe. Peu de choses nous pansent/pensent. La littérature le tente.
“J’abandonne”, un roman qui traite du moment, de l’instant où un homme pourrait lâcher prise et sombrer. Je suppose qu’il y a pas mal de Philippe Claudel dans les choses qui agacent à l’extrême le narrateur : qu’est-ce qui vous insupporte le plus et qu’est-ce qui pourrait vous amener à baisser les bras dans les objectifs que vous vous fixez ?
PC : Parler de moi n’a aucune importance et je ne le fais jamais ouvertement. En créant, on devient réceptacle et chambre d’écho. C’est tout. Je suis un être très ordinaire dont l’avis /la vie n’intéresse personne. Aussi je les préserve.
Comment l’auteur que vous êtes écrit il ? Des rituels, dans des lieux précis, dans des périodes calmes et isolé ou plutôt dans des périodes où la vie se fait inspirante, de petites notes et des post it ou direct, sur la feuille ? bref, à quoi ressemblez vous quand vous écrivez un roman ?
PC : J’écris quand je ressens le besoin d’écrire. Le plus souvent j’écris dans le ciel ou sur des rails, car je passe une grande partie de mon existence dans des avions et des trains. Dans les chambres d’hôtel aussi. C’est vide. C’est bien.
Avez vous des méthodes de travail différentes pour l’écriture d’un scénario. Qu’est-ce qui différencie réellement l’écriture d’un roman de celle d’un scénario ? Est-ce que tout auteur pourrait potentiellement être scénariste et vis et versa ?
PC : Ce sont deux activités radicalement différentes. Il se trouve que je les ai menées de front depuis mon adolescence ce qui conduit sans doute à une schizophrénie artistique, mais dans laquelle je trouve mon équilibre entre images et mots. Le scénario est un moment transitoire et périssable car la seule œuvre est le film. L’écriture romanesque est sa propre finalité, voilà déjà une différence essentielle.
Depuis la sortie de l’Enquête (rentrée litt 2010) et de Tous les soleils au cinéma en mars 2011, vous êtes discret. En général, dans ces métiers, discret veut dire actif. Que nous préparez- vous pour les mois avenir ?
PC : Deux livres vont sortir : l’un fin juin, Autoportrait en miettes, éd. Nicolas Chaudun, une promenade très personnelle parmi mes œuvres préférées du Musée des Beaux-Arts de Nancy – j’ai d’ailleurs enregistré un audioguide avec des extraits de ces textes que les visiteurs pourront écouter. L’autre mi septembre, Parfums aux éditions Stock : une sorte de voyage dans ma vie par le biais des odeurs et parfums que j’aime.
Je suis en pleine préparation d’un nouveau film, Avant l’hiver, que je vais tourner cet automne et qui réunira Daniel Auteuil, Kristin Scott Thomas et Leila Bekhti.
Comment fait on, lorsque l’on est écrivain, maître de conférence à l’université, scénariste, réalisateur, et humain pour avoir le temps de dormir et pour prendre le temps de répondre à cette interview ?
PC : On le fait.
Vous avez intégré cette année l’Académie Goncourt. Etait ce un souhait ou vous a-t-on sollicité ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Etes vous déjà plongés dans vos “devoirs” de vacances ?
PC : Je ne sollicite jamais rien. Je décline systématiquement toute forme officielle de reconnaissance (Arts et lettres, Légion d’honneur, etc). J’ai toujours accepté les prix littéraires qui m’ont été décernés, mais n’ai jamais rêvé de les obtenir ni n’ai rien fait pour. L’Académie française ne m’intéresse pas et je n’ai pas donné suite à certains appels de pied. Par contre, quand les membres de l’Académie Goncourt m’ont invité à les rejoindre, après réflexion j’ai accepté en me disant que je pourrais, en son sein, faire entendre ma voix et mettre l’éclairage sur des auteurs, des éditeurs, dont on parle peut-être moins que certains autres.
Comment l’écrivain que vous êtes perçoit il le phénomène de la rentrée littéraire ? Qu’attendez vous de cette rentrée qui commence déjà à se préparer chez les éditeurs ? Un auteur en particulier ?
PC : Phénomène typiquement français, la rentrée littéraire est un moment excitant à vivre comme lecteur, comme auteur aussi quand on a la chance, comme je l’ai eue jadis, de pouvoir ne pas être noyé dans cette marée d’équinoxe… Beaucoup de livres : des univers qui se confirment, d’autres qui apparaissent. Des grands textes qui ne parviennent ni à trouver leur place, ni à trouver leur public ; des romans médiocres dont on parle trop. Fausse monnaie et trésors véritables s’y côtoient. C’est un curieux mélange. J’attends avec impatience les nouveaux livres de Patrick Deville, de Vassilis Alexakis, d’Agnès Desarthe, et je viens de lire le premier roman de Yassaman Montazami, Le meilleur des jours, à paraître en septembre chez Sabine Wespieser qui a été un moment précieux de lecture. Tout comme la lecture de La Survivance de Claudie Hunziger, à paraître chez Grasset : un livre merveilleux.
Quand vous regardez votre oeuvre, pour quel livre ou quel film avez vous une affection particulière ?
PC : Les prochains. Je ne regarde jamais en arrière. J’ai cassé tous les rétroviseurs.
Quels sont vos 3 derniers coups de coeur littéraires ?
PC : Je vous en ai déjà cité deux. On peut rajouter Il faudrait s’arracher le cœur, de Dominique Fabre, chez L’Olivier, que j’ai lu il y a deux ou trois mois, mais qui demeure en moi.