Lors des rencontres parlementaires en octobre 2011, Nora Berra, secrétaire d’état chargée de la santé du précédent gouvernement, déclarait que « l’usager du service public de la santé n’est plus un objet de soins mais un citoyen pleinement acteur du système de santé ».
Une remarque s’impose toutefois ; le terme « patient » est éludé dans cette phrase alors que l’on parle de plus en plus de la relation médecin-patient et surtout de son évolution grâce à l’avènement de la e-santé. Transformation qui offre de nouvelles perspectives économiques, tant est si bien que l’on parle de marchés liés notamment aux populations à domicile (dans le cadre de la télésanté), qu’ils soient séniors ou atteints de maladie de longue durée.
A titre d’information, le marché européen de la e-santé est estimé à 15,6 milliards d’euros pour 2012 selon l’étude Business Models for ehealth de Capgemini consulting .
- Le terme même de patient a évolué avec l’apport du numérique et des outils de type collaboratif, on parle dorénavant de Patient 2.0.
Patient qui n’hésite pas à s’informer (30 % à 60 % des Français ont recherché de l’information de santé sur le web – Baromètre Orange, février 2011), à échanger des avis, à s’autodiagnostiquer et à s’automédicamenter par l’intermédiaire du web.
Pratiques ne tardant pas à bouleverser profondément la relation médecin-patient, dans un échange (ou pas) entre ce qui est convenu d’appeler un savoir d’expert (la connaissance médicale du professionnel de santé) et le savoir du profane (l’expérience vécue du quotidien concernant le traitement et des effets sur la maladie).
Entrainant une transformation au niveau de l’échange devenant plus « pointu » vis-à-vis d’un médecin qui a devant lui un patient avide d’informations concrètes et compréhensibles (17 % des internautes recherchant de l’information de santé veulent être capables de poser des questions précises à leur médecin au cours de la consultation / 50 % le font après et 40 % avant de consulter selon l’étude Viavoice pour Pasteur Mutuelle – janvier 2012) ou ayant déjà sa conviction autour de sa pathologie et du traitement à recevoir.
Avec des conséquences comme la baisse du nombre de consultation (25 % des internautes affirment ne pas avoir demandé l’avis d’un professionnel de santé suite à une recherche d’information sur internet jugée suffisante) et une évolution de l’automédication (14 % des internautes affirment aller chercher des informations sur internet pour choisir médicaments et traitements sans avis médical (Baromètre Orange Terrafemina 2011).
Ce changement de mentalité s’accompagne, ou est, le résultat (à chacun de se faire son opinion) de l’essor du secteur de la e-santé où de nombreuses solutions ont émergées allant du site d’information grand public à des applications mobiles et autres capteurs autour de la collecte d’informations santé personnelles.
En termes de retombées économiques, citons le CA annuel de 10 millions d’euros pour le site Doctissimo.
Mentalité qui tourne autour de la recherche et de partage d’information, d’accompagnement entre patients, autour de l’expression d’avis, voir de noter une prestation (ou un médicament ou son médecin) et qui a véritablement trouvé son mode d’expression avec les réseaux sociaux. Lieux permettant tout latitude à ce fameux « savoir profane » cité plus haut, qui se développe notamment sur les forums et les communautés de patients ou d’associations de patients où s’échangent des bonnes pratiques, des conseils et soutiens entre patients.
Cette volonté a trouvé résonnance sur le marché Français, avec la création de plusieurs communautés de patients qui sont créées ces derniers mois (Carenity, Bepatient, Entrepatients.net) s’inspirant peu ou prou du site communautaire de patients « Patients Like Me » créé aux Etats-Unis.
A titre plus individuel, le « patient 2.0 » utilise les smartphones et tablettes via des applications santé dans de nombreux domaines d’utilisation : informations sur environnement, recueil de données médicales, réalisation d’un électrocardiogramme, photographie et analyse d’un cliché de la peau, suivi des paramètres biologiques. Citons à titre d’exemple : Cardio Test, Kwit.fr, mon asthme, iChemoDiary, iPollen…
Ces devices peuvent être couplés à des objets médicaux communicants tel le tensiomètre proposé par la société Withings.
En termes de chiffres, plus de 17 000 applis mobiles santé étaient dénombrées en 2011.
Selon le rapport Research2guidance, 57 % des applis mobiles santé sont destinées au grand public.
- Du côté des médecins
Selon l’Observatoire VIDAL des « usages Numériques en santé » réalisé en partenariat avec le Conseil National de l’Ordre des Médecins, les médecins utilisent leur Smartphone à des fins professionnelles (94%) et au bénéfice de leurs patients. On y apprend également que 53% des médecins ont téléchargé des applications médicales et qu’un médecin sur deux communique son numéro à ses patients.
L’étude de BVA Healthcare nous apprend également que 28% des médecins libéraux interrogés visitent les forums de patients et 51% déclarent y trouver des informations utiles pour leur relation avec leurs propres patients.
Ces chiffres indiquent que les professionnels de santé ont intégré les nouvelles technologies dans leur pratique professionnelle. D’autant que le CNOM recommande aux médecins d’accompagner les patients dans leurs recherches sur Internet, en les incitant à créer leur propre site professionnel et en y créant des liens vers d’autres sites recommandés afin d’orienter les patients vers des contenus de qualité.
Outre-Manche, le NHS (National Health Service), département de la santé du Royaume-Uni à l’intention de demander aux médecins d’encourager leurs patients à utiliser les applis mobiles pour suivre les signes vitaux. En UK, 15 000 patients utilisent déjà des applis et fournissent à leurs médecins les infos médicales. De plus, le ministère santé estime que 25 % des personnes consultant le site et l’application MOBILE NHS CHOICE se rendent moins souvent chez le médecin. A terme, près de 500 applis seraient susceptibles d’être recommandées aux médecins pour leurs patients.
A la recherche de partage via les réseaux sociaux
Mais au-delà de la simple recherche d’informations scientifiques ou médicales pour leur pratique professionnelle, les médecins, à l’instar de leurs patients, aspirent également à échanger leurs informations, à questionner et solliciter des avis de leurs pairs via l’appartenance à des communautés sur le web ou des plateformes réservées. Là encore, une offre « pléthorique » ne tarda pas à se mettre en place. Citons par exemple : medscape France, MeltingDoc, reseauprosante.fr, confrere.fr, Doc@Doc, egora.fr, entremed.
Et il n’est rare non plus de « croiser » des professionnels de santé qui s’expriment sur Facebook ou Twitter. Avec ce paradoxe éventuel de retrouver le médecin et le patient communiquer ensemble via ces réseaux, sans la limite du temps de la consultation et de ses considérations économiques. Situations qui soulèvent des questions parmi les instances médicales et notamment pour le CNOM pour qui un praticien n’a pas à s’engager dans des relations amicales avec ses patients, pour des raisons éthiques et déontologiques.
A contrario, outre-atlantique, au sein de la clinique américaine Mayo Clinic, les réseaux sociaux sont utilisés comme un moyen de poursuivre la conversation avec le patient. A tel point que la Mayo Clinic a mis au point un cursus de formation aux réseaux sociaux, destiné en priorité au personnel soignant. Cette formation fait suite aux retours très positifs de la stratégie d’utilisation des réseaux sociaux pour améliorer la relation patient-médecin mise en place par les praticiens de la clinique.
Voir les explications du Dr Farris Timimi, cardiologue à la Mayo Clinic, indiquant notamment que les réseaux sociaux font autant partie de son métier que les soins médicaux proprement dits. Avec de telle initiative, la relation médecin-patient évolue vers une meilleure prise en charge globale du patient.
(vidéo ci-dessous).
Je concluerai cet article en paraphrasant une formulation entendue lors d’une conférence sur la e-santé qui disait que « plus qu’une science, la médecine reste un Art qui s’exerce à deux : le médecin et le patient » et j’ajouterai « Et à l’instar du bonheur, la médecine ne vaut que si elle est partagée ».
Là, est sans doute la clé de ce marché de la e-santé. Proposer des solutions et services permettant de créer, développer et de pérenniser cette relation entre un praticien qui indique avoir un temps limité dans le cadre d’une consultation « classique » et un patient de plus en plus informé (et donc en attente d’un échange qualitatif), de plus en plus « webisé » et dorénavant mobile.
Et vous, qu’en pensez-vous ?