Zone euro : Berlin incrédule face à la stratégie d'Hollande
Wolfgang Schäuble ne décolère pas contre le retour partiel à la retraite à 60 ans mis en place par les socialistes français. Crédits photo : GEORGES GOBET/AFPNi la chancelière et son entourage ni la presse outre-Rhin ne parviennent à s'expliquer l'attitude de la France.
Lasse d'incrédulité, l'Allemagne ne cache plus son irritation à l'égard de François Hollande. La stratégie du président français pour sortir la zone euro et laFrance de la crise dépasse l'entendement pour la classe dirigeante outre-Rhin. Alors qu'elle n'est plus immunisée contre la tempête, l'Allemagne multiplie les appels à la raison. Berlin se désole de ne pouvoir compter sur son partenaire historique dans la construction européenne au moment crucial où la zone euro doit se réorganiser pour affronter l'avenir.
En fustigeant la «médiocrité», qui ne doit pas devenir l'étalon» en Europe, la semaine dernière, Angela Merkel visait bien la France, qui a délaissé son alliance avec l'Allemagne pour se rapprocher des pays du sud de l'Europe. Comme son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, la chancelière s'agace de voir le président français étaler ses désaccords avec Berlin et insister sur des mécanismes visant à mutualiser la dette aux frais de la première économie européenne. Elle s'inquiète de voir que la France persiste à esquiver les réformes structurelles qu'elle juge indispensables pour restaurer la compétitivité et la confiance des marchés.
Écrasée par le poids de son histoire, l'Allemagne s'est toujours refusée à assumer pleinement sa puissance économique. Sans rechigner, elle a mis son carnet de chèques au service de la construction européenne, laissant à Paris le premier rôle politique. Ces dernières années, alors qu'elle creusait l'écart avec la France, l'Allemagne avait pris soin de conserver un partenariat équilibré avec son allié historique. «Sarkozy avait su saisir la chance de cette alliance Merkozy», pour arracher des concessions à Merkel, souligne le Financial Times Deutschland dans un article intitulé: «Monsieur le président, rompez vos promesses!»
Le retour partiel à la retraite à 60 ans a provoqué un électrochoc à Berlin. Schäuble ne digère pas ce qu'il considère comme un coup de canif dans le contrat franco-allemand. «Nous avons été abasourdis, confie un haut fonctionnaire allemand. Nous ne comprenons pas l'acharnement avec lequel Hollande cherche à rallier la France au club des PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne). Le contrat était pourtant équitable. La solidarité allemande consistait à payer pour maintenir le navire euro à flot. En échange de quoi, nos partenaires devaient faire les réformes nécessaires».
Seuls les ex-communistes applaudissent!
Au départ, ce haut responsable allemand croyait à du bluff électoral. Mais l'insistance avec laquelle Hollande s'est accroché aux eurobonds ne laisse de l'étonner. «Lorsque nous disons que l'Allemagne n'a pas les moyens d'assumer lesdettes de toute l'Europe, Hollande pense-t-il vraiment que l'état des finances de la France le lui permet?, s'interroge ce ténor de la coalition. Nous ne comprenons pas l'empressement de la France à vouloir payer des taux d'intérêts plus élevés alors qu'elle doit déjà lutter pour réduire ses déficits.»
Dans un article intitulé «François, le cauchemar des entreprises», le quotidien de centre gauche Süddeutsche Zeitung s'alarme des projets du président français visant à «étouffer» l'industrie française avec des «impôts plus élevés», pour tenir les engagements de réduction des déficits. Et la Süddeutsche de s'interroger: «Cette redistribution rendra-t-elle les entreprises plus compétitives? La France espère-t-elle ainsi créer des emplois? Il n'y a pas le début d'une réforme structurelle, bien que la croissance et l'emploi soient les priorités du gouvernement.»
Après avoir offert à Hollande un soutien cosmétique, ses alliés sociaux-démocrates allemands se sont empressés de rallier Merkel et son pacte budgétaire, au prix de maigres concessions sur la croissance. Les plus optimistes continuent d'espérer qu'il saura se muer en un social-démocrate à la française… En attendant mieux, les premières mesures d'Hollande ont au moins trouvé grâce aux yeux de Sahra Wagenknecht, l'égérie des ex-communistes de Die Linke, qui loue son parcours «sans faute».
Nouveau contretemps pour le pacte budgétaire
L'Allemagne se veut exemplaire dans la mise en place des mécanisme de sauvetage de l'euro. Mais Angela Merkel doit s'accommoder d'un fâcheux contretemps dans la ratification du pacte budgétaire et du MES (mécanisme européen de stabilité). La Cour constitutionnelle allemande a demandé au président de la République fédérale, Joachim Gauck, de surseoir à sa signature pour pouvoir examiner un éventuel recours contre le texte de la gauche radicale, Die Linke. Gauck a accédé à la demande des sages de Karlsruhe, dont les arrêtseurosceptiques inquiètent de plus en plus Berlin.
Ce délai empêchera l'entrée en vigueur du MES début juillet, comme prévu. Le vote du Parlement allemand est prévu le 29 juin, après que la chancelière a réussi à rallier l'opposition. Mais, sans la signature du président Gauck, le texte approuvé par les parlementaires n'a aucune portée juridique. La signature ne pourra intervenir que lorsque le recours aura été examiné par la Cour constitutionnelle, ce qui devrait prendre entre deux et trois semaines.
L'entrée en vigueur du MES est d'autant plus importante que ce mécanisme servira à aider le secteur bancaire espagnol dès qu'il sera activé. En attendant, la zone euro aura recours au FESF.