Alors que la carrière du général Sarrail dans son ensemble reste assez largement méconnue, ce texte est particulièrement intéressant à plus d’un titre, qu’il s’agisse de la personnalité de son auteur ou des événements qu’il relate.
Sarrail est l’un des rares grands généraux de la Première Guerre mondiale n’ayant bénéficié, en France, d’aucune biographie complète scientifiquement appuyée. Les écrits autour de son action, pourtant, sont relativement nombreux. Détesté par les uns, adoré par les autres, sa personnalité ne laisse pas indifférent et il est sans doute l’un des chefs militaires de la Grande Guerre les plus discutés. Il est décrit comme « entier », « rugueux » ; comme « froid, clair et entier » ; mais aussi comme « fidèle » et « déterminé ». On retrouve dans les portraits dressés de lui l’expression de « fermeté d’âme » et Painlevé parle de sa « simplicité dans la bonne comme dans la mauvaise fortune » (1). Le général Alexandre (2), fidèle de Joffre, le considère comme « remarquablement intelligent et énergique, d’esprit très vif », mais avec « un mélange de brusquerie et de finesse ». Micheler (3) - qui fut son chef d’état-major au 6e CA - lui reconnaît « de vraies qualités mais lui reproche son entourage » (4). Aprés la guerre, ses adversaires gloseront sur « le vaincu de l’Argonne » ou « l’empêtré de Salonique », mais le lieutenant-colonel Meyer le qualifie de « merveilleux tempérament de soldat », qui voit les choses simplement « comme tous les hommes d’action ».
Sa carrière, par ailleurs, diffère substantiellement de celles de ses principaux homologues, camarades ou rivaux. Il ne participe pas aux campagnes coloniales de la fin du XIXe siècle, comme Gallieni (5), Lyautey (6), Gouraud (7) ou Joffre (8), et quitte très tôt les garnisons de province pour multiplier les postes en administration centrale et à la charnière politico-militaire, contrairement à Foch (9), qui effectuera un véritable « tour de France » des régiments d’artillerie. Franchement détesté par certains de ses adjoints directs, il sera suivi jusque dans l’échec et les épreuves par quelques uns des officiers de réserve qui servent à son état-major (10). Il est donc particulièrement important de commencer par préciser les principales étapes de sa vie professionnelle.
Né en avril 1856, Maurice Sarrail est issu par sa mère d’une riche famille dont les ascendants appartiennent essentiellement à la noblesse de robe du Sud-Ouest de la France et il compte parmi ses aieux célèbres un général d’empire, ministre de Napoléon 1er, mais aussi un député-maire de Carcassonne. Son père toutefois était un modeste employé de bureau des services fiscaux, qui semble n’avoir jamais été accepté par ses riches beaux-parents. Une mère catholique pratiquante, souvent malade et plus ou moins rejetée par sa famille ; un père libre penseur, dur au labeur et sans doute sensible au vieux fond « libéral » - terreau du radical-socialisme - qui irrigue le Languedoc, de Carcassonne à Nîmes : l’environnement familial et l’éducation du jeune Maurice Sarrail expliquent sans doute en partie les prises de position et les évolutions du futur officier général. A l’issue d’une scolarité en lycée public, il présente le concours de Saint-Cyr en 1875 et intègre avec un rang honorable (79e sur 350) la prestigieuse école militaire. Mais ses motivations sont pour le moins personnelles et il affirmera plus tard vouloir d’abord devenir indépendant de ses parents (11). Parmi ses camarades de promotion, on trouve les généraux de Mitry, Maud’huy et Gérard de la Grande Guerre, mais aussi Leblois (12) - qu’il retrouve en Orient et évoque souvent dans ce volume -, Lejaille et Gallet -qui appartinrent également au cabinet du général André au ministère dela Guerre.
Sous-lieutenant en 1877 (classé 3e sur 345), il fait le choix de servir dans l’infanterie et connait brièvement quelques affectations nord-africaines au sein du 19e corps d’Algérie-Tunisie. Breveté de l’Ecole supérieure de guerre en 1885, c’est-à-dire relativement jeune par rapport aux autres fantassins, il est décrit par ses supérieurs et par ses pairs comme un gros travailleur mais ambitieux, bon camarade mais ne se liant à personne. De sentiments républicains (il est un abonné fidèle de la puissante Dépêche de Toulouse, grand quotidien radical-socialiste), il a épousé l’héritière d’une bonne famille protestante et manifeste son opposition à l’influence de l’église catholique. Il est commandant au moment de l’affaire Dreyfus et, à la différence de nombreux officiers, se garde bien dans un premier temps de prendre position : « Je n’ai jamais hurlé avec les loups », écrira-t-il.
Ses notations, mais aussi ses choix confessionnels et politiques, lui valent, en mai 1900, d’être appelé à servir auprès du ministre dela Guerre, le général André, auquel le président du Conseil Waldeck-Rousseau a demandé de « républicaniser » l’armée (13). Sarrail appartient donc à la petite équipe qui, autour du ministre et pour le ministre, met en place et développe le système des « fiches » : il ne s’agit pas de décapiter brutalement le corps des officiers mais, par des mesures de gestion, en jouant sur les mises à la retraite, les promotions, les affectations et les décorations, de favoriser les officiers connus pour leur sympathie pour le régime républicain au détriment de ceux jugés plus conservateurs, catholiques, réactionnaires (14). Il ne s’agit donc pas d’une « purge », mais d’une évolution progressive qui se poursuivra au-delà des cinq années de présence du général André à la tête du ministère. Pour évaluer les positions politiques des officiers, André s’appuie non sur les rapports officiels émanant de la chaîne hiérarchique - jugée partie prenante et globalement hostile - mais sur des informations d’origine extérieure au ministère dela Guerre, voire aux structures officielles : rapports de préfets, sous-préfets et responsables dela Sécurité au ministère de l’Intérieur, ou correspondances privées - parfois à la limite de la délation et de la calomnie - de Francs-Maçons militants.
Dès le printemps 1901, Sarrail est nommé au commandement de l’école militaire d’infanterie de Saint-Maixent, qui forme les officiers issus du rang. Son grade d’une part (15), la brève durée de son affectation au cabinet du ministre d’autre part, n’ont pas fait de lui un acteur essentiel de ce fichage policier du corps des officiers, mais il a baigné durant plus de huit mois dans cet environnement, à participé aux travaux, y a trouvé des raisons de confirmer ses choix personnels, sans en être à proprement parler un élément moteur. A Saint-Maixent, il modifie sensiblement le programme en ajoutant des matières dites de culture générale, afin de contribuer au renouvellement par la base du corps des officiers : cours d’économie, d’histoire des relations entre l’Eglise et l’Etat, d’histoire politique de l’armée. Alors qu’il n’est toujours que commandant, ces réformes lui valent une solide notoriété personnelle, le soutien de la presse radicale (16) et les critiques des journaux conservateurs.
Promu lieutenant-colonel, il est affecté à Paris au printemps 1904 comme commandant militaire de la Chambre des députés, à la demande d’Henri Brisson, président de l’assemblée (17). Le28 octobre 1904, puis le 4 novembre, la séance est particulièrement houleuse à la Chambre. Sarrailest d’abord accusé par Guyot de Villeneuve et plusieurs élus de droite d’avoir porté des mentions politiques partisanes dans les dossiers personnels de certains de ses anciens élèves et d’avoir mis en place au sein des promotions un système d’espionnage politique (18). Il est mollement défendu par le général André, qui tente maladroitement d’expliquer qu’il ne s’agit que d’erreurs vénielles. Puis, le ministre lui-même est vertement pris à partie et accusé, documents à l’appui, d’avoir organisé par l’intermédiaire des responsables locaux du Grand Orient de France le contrôle systématique des opinions politiques et des croyances religieuses des officiers : l’affaire des fiches éclate au grand jour. Devant le scandale et malgré ses dénégations, André est contraint à la démission. Sarrail est à nouveau personnellement mis en cause au cours des semaines qui suivent, tant au parlement que dans la presse, mais sa participation effective au fichage en lui-même n’est pas prouvée. Son ancien commandant en second de Saint-Maixent, le futur général Cordonnier qu’il retrouvera en Orient et dont il demandera alors le rappel, témoignera d’ailleurs ultérieurement sur ce point en sa faveur (19).
Sarrail bénéficie alors de la protection active de Brisson, qui non seulement favorise son avancement au grade de colonel en 1905 en s’adressant directement au président du Conseil Emile Combes, lui fait obtenir le poste de directeur de l’infanterie au ministère de la Guerre en 1907 et facilite son accession au généralat en 1907 ; mais aussi lui ouvre les portes du monde politique radical et radical-socialiste. Proche, sinon intime, des principaux journalistes et parlementaires de cette tendance, il devient « Le » général préféré de la gauche républicaine. Au poste de directeur de l’infanterie, il est confronté à la fois aux débats relatifs à l’évolution des effectifs militaires et à l’organisation de l’armée (durée du service militaire, création d’une « milice citoyenne », volume et qualité de réserves instruites, etc.), mais aussi à ceux, plus politiques, qui entourent la séparation de l’Eglise et de l’Etat puis la question des Inventaires. Son opposition ultérieure à la loi des trois ans témoigne de ses liens avec les parlementaires de gauche et de son opposition à l’état-major général, dont Joffre prend le commandement en 1911. Comme directeur de l’Infanterie, il tient une place essentielle dans les décisions de mutation et dans la préparation des listes annuelles d’avancement : il se défendra d’avoir jamais favorisé un officier insuffisamment compétent, mais reconnaîtra qu’il n’a jamais répondu « à aucune sollicitation d’aucun général » ni à « aucune recommandation parlementaire de la Droite ». Sarrail est vigoureusement attaqué sur ce point àla Chambredes députés par son ancien camarade de promotion de Saint-Cyr, Driant, devenu député nationaliste de Meurthe-et-Moselle, mais il est aussi paradoxalement critiqué au sujet de la situation d’ensemble de l’armée (crise morale et sociale) par l’ancien général de corps d’armée Pédoya, député radical-socialiste de l’Ariège depuis son passage en deuxième section. En mars 1911, le débat est particulièrement vif dans la grande presse nationale, où Sarrail est soit pris à partie, soit soutenu, sans beaucoup de mesure : pour Le Temps, « la méthode du général André, avec ses dénonciations et ses fiches, n’est pas encore complètement abolie » ; pour La Lanterne, « il est attaqué avec autant de violence uniquement à cause de son sentiment républicain ».
A l’automne, Messimy accède au ministère de la Guerre.Lui-mêmeradical-socialiste et anti-clérical, il rompt avec les choix et les pratiques de l’ère André et procède à une profonde réorganisation du haut commandement, dont bénéficie Joffre qui devient chef d’état-major général et vice-président du Conseil supérieur de la guerre, première autorité militaire du temps de paix et généralissime désigné pour le temps de guerre (20). Républicain reconnu, suspecté d’adhésion à la franc-maçonnerie par la droite réactionnaire, non pratiquant au plan religieux, Joffre choisit ceux qu’ils jugent les meilleurs pour occuper les principales responsabilités autour de lui, sans considération de prises de position partisane ou cultuelle. Il appelle ainsi à ses côtés le général Curières de Castelnau (21), catholique engagé qui avait été renvoyé de l’état-major général par le général André quelques années plus tôt. Le nouveau commandant en chef est par ailleurs un pragmatique, qui a une solide expérience opérationnelle, une réelle connaissance du fonctionnement interne du ministère dela Guerre et se méfie des officiers trop rapidement promus durant une carrière en administration centrale. De là date, sans doute, l’opposition entre les deux hommes. Sarrail ne pardonne pas à Joffre son influence sur les ministres successifs et d’avoir en quelques mois profondément modifié le fonctionnement de l’état-major général ; Joffre maintenant Sarrail à des commandements de son rang en province.
Général de division en 1911, il sert en effet à Reims (22), puis à Mézières ; nommé aux fonctions de commandant de corps d’armée en 1913, il est affecté à Bourges, puis à Châlons. Il reste en relation avec son amical réseau politique parisien, à l’occasion de brèves rencontres mais surtout par correspondance, et conserve la confiance de ses défenseurs parlementaires et journalistes. Les progrès électoraux de partis de gauche lors des élections législatives du printemps 1914 sont rapidement suivis par une remise en cause de l’état-major général et de Joffre lui-même : le nom de Sarrail est plusieurs fois cités au cours du mois de juillet comme celui du futur commandant en chef (23).
Le déclenchement de la GrandeGuerre, moins de trois semaines plus tard, suspend provisoirement tous ces projets mais ne met pas un terme aux relations directes entre Sarrail, qui entre en campagne à la tête du 7e corps d’armée entre les Hauts de Meuse et la Moselle, et ses amis parisiens (24). Il connaît d’abord les vissicitudes de la bataille des Frontières puis la retraite vers Verdun et la Meuse et, le 30 août, est personnellement choisi par Joffre pour remplacer son supérieur hiérarchique au commandement de la IIIe Armée (25). Une nouvelle fois, le commandant en chef, peu rancunier, nomme à un poste de haute responsabilité celui qu’il juge sur le moment le mieux à même de remplir la mission, sans considération de choix politiques ou personnels.
A l’extrémité orientale de la bataille de la Marne, autour du pivot de Verdun, Sarrail parvient à bloquer la progression de la Ve Armée allemande du Kronprinz impérial, en particulier en n’exécutant pas le mouvement de troupes (15e CA dans le secteur de Revigny) suggéré le 8 septembre par le GQG (26). Trois jours plus tard, si la bataille défensive de la Marne est un succès, Sarrail peut considérer qu’il y a tenu une place essentielle en prenant l’initiative localement contrairement aux directives de Joffre (27). Après une infructueuse tentative pour réduire la poche allemande de Saint-Mihiel, au sud de Verdun, le commandant de la IIIe Armée concentre son effort sur le secteur de l’Argonne. Malgré l’obstination de Sarrail à multiplier les opérations offensives en espérant gagner quelques centaines de mètres de forêts, les Allemands conservent l’initiative : les noms de Vauquois, Le Four de Paris, La Harazée entrent dans l’histoire de la guerre comme synonymes de sacrifices inutiles (28) et entament durablement sa réputation. Dans le même temps, à deux reprises au moins en mars et juin 1915, des memorandums plus ou moins anonymes circulent à Paris parmi les parlementaires de gauche, proposant de remplacer Joffre par Sarrail (29), qui reçoit ses amis députés à son quartier général de Sainte-Ménehould en dépit de l’oppositon du commandant en chef aux visites parlementaires dans la zone des armées (30).
Le coût humain des offensives du printemps et les échecs enregistrés à la fin du mois de juin puis au milieu du mois de juillet 1915 fournissent à Joffre l’argument militaire permettant de demander au supérieur hiérarchique de Sarrail, le général Dubail (31), commandant le Groupe d’armées de l’Est, un rapport sur les opérations de la IIIe Armée (32). Celui-ci est transmis au GQG le 20 juillet : quelques erreurs ou fautes tactiques sont reprochées à Sarrail, en particulier dans l’articulation et l’emploi de l’artillerie et des réserves, mais c’est surtout au plan du style de commandement que le général Dubail se montre dur (33). Il souligne en particulier que la rudesse, voire le mépris -ou considéré comme tels-, manifestés de longue date par Sarrail à l’égard de ses officiers prive désormais le commandant de la IIIe Armée de la confiance de ses adjoints et de son état-major et lui interdit d’exercer sereinement ses responsabilités (34).
Vraisemblablement décidé depuis plusieurs semaines à relever Sarrail de son commandement (35), Joffre pense pouvoir s’appuyer sur le rapport de Dubail, réputé travailleur et objectif (36), pour l’imposer sans remous au pouvoir politique (37). Il prévient l’intéressé par télégramme le 22 juillet, en lui ordonnant d’avoir à se présenter le lendemain à Paris, devant le ministre de la Guerre. Toutefois, les contraintes de l’Union sacrée et de l’indispensable majorité parlementaire pèsent d’un poids croissant à la fin de cette première année de guerre. Il ne saurait être question de « limoger » brutalement le seul officier général républicain engagé, espoir des élus de gauche, et les amis de Sarrail engagent aussitôt une intense campagne de « lobbying » pour contraindre le gouvernement à rendre à leur protégé un commandement digne de ses compétences et de son rang…
C’est à cette date que commence le récit des événements proposé par le livre de souvenirs. C’est au regard de cette histoire personnelle et avec les antécédents que nous venons d’évoquer, en particulier des relations entre Sarrail et ses pairs et avec le monde parlementaire, qu’il faut contextualiser ce Commandement en Orient.
Le sujet lui-même, une histoire des deux premières années de campagne des armées d’Orient présentée par leur commandant en chef, objet de tant de polémiques, ne peut que susciter l’intérêt. L’ouvrage est indiscutablement d’une grande précision dans la description du détail des déploiements, des mouvements et des engagements des unités comme de la conduite des opérations sur le front des Balkans. Les plus critiques diront qu’il s’agit d’un effet de loupe, avec le grossissement d’actions mineures dans un contexte général d’attente stratégique. Si l’argument n’est pas totalement faux, il faut se souvenir d’une part qu’en France, durant la même période, des centaines de kilomètres de front connaissent un calme relatif similaire et que le communiqué quotidien du GQG se borne souvent à enregistrer quelques patrouilles d’infanterie ou bombardements sporadiques de l’artillerie ; et d’autre part que pour la première année au moins - jusqu’à la fin de l’année 1916 -, les paramètres militaires objectifs (effectifs disponibles, réalités des équipements et des dotations, difficultés sanitaires, etc.) pèsent en défaveur des armées d’Orient face à la coalition austro-germano-bulgare victorieuse des Serbes.
Ce volume est ensuite intéressant par le nombre - tout-à-fait exceptionnel au regard de sa pagination - de documents cités dans le corps du texte principal et d’annexes présentées en fin d’ouvrage. A notre connaissance, aucun autre livre de mémoires de l’un quelconque des généraux de la Grande Guerren’offre une telle profusion de références. Mais le choix des textes n’est pas neutre. Tous ne sont pas reproduits in extenso (38), et les passages choisis ne le sont pas par hasard ; certaines absences dans la chronologie trahissent le parti pris de l’auteur ; les documents officiels sont très rarement mis en parallèle de l’importante et régulière correspondance personnelle que Sarrail entretient avec ses amis politiques et certaines des plus hautes autorités de l’Etat. Sur ce point, le croisement des sources officielles du ministère dela Guerre, des documents parlementaires, de la correspondance et des archives privées est particulièrement riche, qu’il s’agisse des relations franco-britanniques, du seul processus français de prise de décision politico-militaire ou du style de commandement de Sarrail.
Le livre devient ainsi emblématique, pour ne pas dire parfois caricatural, de la volonté d’auto-justification a posteriori qui entâche -à un degré certes variable- la plupart des ouvrages de souvenirs et de mémoires publiés à l’issue de la Grande Guerre. A force de vouloir à tout prix se défendre contre les attaques, réelles ou supposées, dont il s’estime injustement victime, le premier commandant en chef des armées alliées d’Orient pêche par excès. La note liminaire de janvier 1920 par laquelle le général Sarrail ouvre ce volume est explicite. Il sous-entend et parle dès les premiers mots de « conspiration du silence », sans s’engager ou accuser avec précison. Au long du texte, il poursuit visiblement de sa vengeance Joffre et le GQG sans prendre de hauteur de vue par rapport à la conduite de la guerre dans son ensemble et, dans les chapitres consacrés à l’année 1916 par exemple, n’évoque que très marginalement les batailles de Verdun et dela Sommedont l’évolution conditionne pourtant dans une très large mesure les décisions des gouvernements alliés et du haut commandement français. S’il évoque quelques rares conversations ou échanges épistolaires avec des parlementaires français ou quelques articles publiés dans la presse parisienne, il ne s’agit toujours que de prouver qu’il serait une « victime » du haut état-major et des réactionnaires, mais il se garde bien de citer les très nombreux courriers qu’il échange (avant, pendant et après les événements les plus mineurs comme les plus importants) avec de nombreux dirigeants radicaux et socialistes pour tenter de peser sur les décisions parisiennes et de faire valoir ses choix. De même, les appréciations qu’il porte sur ses principaux adjoints (en particulier dans
les cas des généraux de Lardemelle (39) et Cordonnier (40)) ne sont étayées par aucune pièce indiscutable et sont par ailleurs contredits à la fois par les archives officielles et par les documents produits par les intéressés (41). Enfin, il ne tient compte des oppositions politiques et stratégiques franco-britanniques que lorsqu’elles compromettent ses projets locaux ou régionaux, et il les ignore méthodiquement lorsqu’elles expliquent le caractère plus ou moins directif des ordres du GQG ou trahissent par exemple l’indécision de ses amis politiques à Paris.
Il s’agit donc bien d’une publication destinée à redorer la réputation d’un général dont la situation personnelle en 1920 est difficile. Rayé des listes du service actif en avril 1918, il assiste de loin à la victoire, à l’automne, sans y avoir pris part. Candidat malheureux aux législatives de 1919 dans le département de la Seinesous l’étiquette du parti républicain-socialiste, il assiste impuissant à l’élection de l’hégémonique Chambre bleu horizon et se replie sur ses responsabilités associatives à la direction de la Liguedes Droits de l’Homme (dont il devient membre du comité central), tout en publiant quelques articles inspirés par l’actualité politique, diplomatique ou parlementaire (42). De plus en plus oublié par ses anciens camarades, le général Sarrail de 1920 n’a plus que de rares opportunités de contact avec les autorités militaires du temps et n’entretient avec elles que des relations de qualité médiocre. Sans doute ressent-il le besoin d’une reconnaissance publique, sinon officielle, et cet ouvrage constitue une pierre majeure de la reconstruction de son image. Il lui faudra attendre la victoire électorale du Cartel des Gauches en 1924 pour retrouver, à l’été de cette même année, une position de premier plan comme Haut-commissaire au Levant (43).
Mon commandement en Orient, compris dans ce cadre, présente donc le triple intérêt de préciser la réalité des opérations conduites dans les Balkans entre 1915 et 1917 dans un difficile contexte interallié, d’éclairer la problématique délicate des crises de commandement en métropole pendant la Grande Guerre et, plus largement, paradoxalement, de remettre en perspective à partir d’un cas concret tous les débats politico-militaires qui agitent la France au début du XXe siècle (44). Sarrail est, indiscutablement, un « général politique », sa carrière, ses écrits, ses décisions en témoignent. Mais, si cet engagement se manifeste à de très nombreuses reprises en Orient, il importe également de reconnaître qu’il fait preuve à différentes reprises d’une grande énergie et parfois d’une réelle audace militaire.
Afin de conserver à la publication originale toute son authenticité, la présentation générale, la typographie, l’emploi de la ponctuation et jusqu’aux fautes d’orthographe ont été autant que possible scrupuleusement respectés, y compris pour les noms propres parfois orthographiés sous deux ou trois formes différentes dans le même volume.
Malgré leurs imperfections, leurs excès et leurs oublis (ou peut-être même grâce à eux), et alors que l’histoire des armées d’Orient reste trop souvent ignorée par des débats presque exclusivement franco-centrés, ces souvenirs du général Sarrail méritent d’être relus à l’aune des progrès de l’historiographie.
Rémy PORTE
Reproduit pour Theatrum Belli avec l'aimable autorisation de l'auteur
Editions Soteca - 500 pages - 25,40 euros (Cliquer ICI pour commander le livre)
NOTES :
(1) Même les soutiens les plus fidèles doivent reconnaître que « Sarrail enfin a, contre lui, lui-même, le plaisir méridional des impertinences, chuchotées à quelques intimes ; un je ne sais quoi d’autoritaire et de cassant, qui blesse parfois collaborateurs et subordonnés … Ceux qui laissent passer sa première colère ont toujours eu raison contre lui » (André Ducasse, Balkans 14/18, ou le chaudron du diable, Robert Laffont, 1964). Derrière le choix subtil du vocabulaire (« le plaisir méridional des impertinences »…), on comprend que Sarrail ait pu connaître de réelles difficultés au sein de l’institution militaire.
(2) Fidèle de Joffre, cité à plusieurs reprises au fil de ces souvenirs. Dossier individuel SHD-Vincennes, 13Yd1.
(3) Dossier individuel SHD-Vincennes, 9Yd655
(4) Voir Colonel E. Herbillon, Le général Alfred Micheler, d’après sa correspondance et ses notes (1914-1918), Plon, 1934.
(5) Commandant des armées de Paris et gouverneur militaire de la capitale, puis ministre dela Guerre. Dossier individuel 11Yd27.
(6) Commandant supérieur des troupes et Résident général au Maroc, puis ministre dela Guerre. Dossier individuel SHD-Vincennes, 9Yd453.
(7) Grand colonial, grièvement blessé aux Dardanelles, il termine la guerre comme commandant de la IVe Armée. Dossier individuel SHD-Vincennes, 11Yd50.
(8) Chef d’état-major général et vice-président du Conseil supérieur de la guerre jusqu’en juillet 1914, commandant en chef à partir du mois d’août, il est relevé de ses fonctions en décembre 1916. Dossier individuel SHD-Terre, 9Yd408.
(9) Entré en campagne à la tête du 20e CA, il termine la guerre comme commandant en chef des armées alliées sur le front occidental, après avoir en particulier commandé la IXe Armée et le Groupe des armées du Nord. Dossier individuel, SHD-Vincennes, 9Yd528.
(10) Comme J.J. Frappa en particulier, qui sert au 2e bureau de l’armée d’Orient. Voir bibliographie finale.
(11) On se reportera pour la jeunesse de Sarrail à la thèse de doctorat publiée de Jan Karl Tanenbaum, General Maurice Sarrail, 1856-1929. The French Army and Left-Wing Politics (University of North Carolina Press, 1974), seule étude complète de la vie du général à notre connaissance, même si l’auteur maîtrise parfois peu les subtilités de l’évolution de l’outil militaire au début dela Troisième République.
(12) Dossier individuel, SHD-Terre 11Yd48.
(13) Dans un texte publié en 1920, Sarrail raconte son arrivée à Paris et sa présentation aux chefs de bureau de l’état-major général, en particulier au colonel de Castelnau : « J’étais allé pour lui présenter mes devoirs avec mes camarades. Le colonel Hache, n’imitant pas l’exemple donné par le colonel de Castelnau, chef du 1er bureau, avait bien voulu nous recevoir » (général Sarrail, « Souvenirs de 1914-1915 », Revue Politique et Parlementaire, articles à suivre, mai à août 1920). Que le colonel monarchiste et catholique de Castelnau n’ait pas reçu le capitaine républicain Sarrail (sans qu’une explication ne soit donnée) ne suffit sans doute pas à expliquer une hostilité ultérieure mais éclaire sur les premiers rapports entre les deux hommes.
(14) Sur les rapports entre le pouvoir politique, l’institution militaire et la religion au tournant du XXe siècle, on se reportera en particulier aux travaux de Xavier Boniface.
(15) Bien que l’un des principaux collaborateurs du général André dans cette affaire ait été un autre capitaine, Molin, mais ce dernier, par ailleurs franc-maçon, est déjà directement engagé dans les réseaux radicaux.
(16) Le quotidien républicain La Lanterne écrit : « Les chefs républicains sont malheureusement si rares dans l’armée que, lorsque nous avons la bonne fortune d’en rencontrer un, il est naturel que nous lui adressions nos félicitations et nos encouragements ».
(17) Sarrail, encore jeune officier supérieur, intègre ainsi le cercle très restreint des proches de l’un des hommes les plus influents de la IIIe République. Député radical à partir de 1871, Brisson est, jusqu’à sa mort en 1912, deux fois président du Conseil et neuf fois président dela Chambre des députés. Il est l’un des responsables politiques les plus importants de la gauche non-socialiste.
(18) « Le colonel Sarrail … modifiant à son gré les notes données par les professeurs aux élèves suivant les opinions politiques qu’il supposait à ceux-ci ou à leurs parents » (in André Daniel, L’année politique 1904, Perrin et Cie., 1905).
(19) Général Cordonnier, Ai-je trahi Sarrail ?, Les Etincelles, 1930.
(20) Les débats parlementaires sont à nouveau particulièrement rudes à l’automne et Sarrail est une nouvelle fois mis en cause. Pour l’hebdomadaire progressiste Armée et Démocratie, « la question des fiches cléricales mises de côté, la bataille entre républicains et réactionnaires s’est engagéesur le nom d’un homme qui, comme les Hoche, les Marceau, les André, les Peigné, symbolise l’officier républicain sans peur et sans reproche : le général Sarrail » (14/10/1911). Il est défendu à la tribune par Berteaux et le général Pédoya « aux acclamations de toutes les gauches ».
(21) L’un des meilleurs officiers généraux de sa génération. Dossier individuel SHD-Terre 9Yd489.
(22) Son éloignement en province ne rompt pas les relations étroites entre Sarrail et ses amis politiques. Armée et Démocratie écrit, dans son numéro du 1er octobre 1911, à l’occasion des débats qui entourent la succession du général Dubail à l’état-major général lorsque le nom de Sarrail est prononcé : « On n’imagine pas la terreur que le général commandant la 12e division d’infanterie inspire à tous ceux qui rêvent de culbuter la République. Il est leur cauchemar, leur effroi ».
(23) Le plus explicite est le général Pédoya, qui ne cache pas son objectif à l’assemblée : « Nous voulons remplacer le général Joffre par le général Sarrail » (in Journal Officiel, Chambre des députés, débats parlementaires,15 juillet 1914).
(24) Son chef d’état-major est alors le colonel, futur général, Micheler.
(25) Le chef d’état-major en titre de la IIIe Armée, le général Grosseti, quitte également ses fonctions à l’arrivée de Sarrail. Si ses compétences de chef d’état-major ont été peu convaincantes (cf. Mémoires du maréchal Joffre), le général en chef le juge particulièrement apte au commandement au feu et le général Grosseti se distingue effectivement par la suite aux marais de Saint-Gond, dans les Flandres et en Orient.
(26) Dans ses « Souvenirs », Sarrail témoigne déjà de son mépris ou de son opposition à Joffre en commentant, au sujet de la proclamation du général en chef à la veille de la bataille de la Marne : « Je n’affirmerai pas avoir lu cet écrit devenu célèbre … Nous avions tous autre chose à faire qu’à admirer une proclamation : la guerre ne se fait plus comme au temps d’Homère ». Il prend ainsi à peu de frais, alors même que ces ordres du jour lus sur le front des troupes correspondent à une tradition bien ancrée, une posture de « guerrier » par rapport aux « planqués » du GQG.
(27) Il considère d’ailleurs que son rôle n’a pas été suffisamment mis en valeur : « En 1915, M. Tardieu, alors capitaine auprès du général en chef, vint à Sainte Menehould pour écrire l’histoire de cette période ; le GQG ne partageait sans doute plus la même opinion sur le rôle de la IIIe Armée dans la bataille de la Marne ; car le futur négociateur du traité de Versailles ne voulut pas, par ordre, utiliser les documents de cette armée » (Ibid.). Le propos est d’autant plus tendancieux que la présentation qui est faite des « victoires » de Sarrail autour de Verdun en 1914 émerge en grande partie après l’offensive allemande dans ce secteur en 1916 et tient donc d’une certaine recomposition pendant la guerre elle-même du récit des événements. Sur les événements relatifs à la bataille de la Marne et au cours des jours qui suivent dans la zone de la IIIe Armée, on lira également les deux articles hostiles à Sarrail parus dans la Revue Politique et Parlementaire : lieutenant-colonel Bize, « Réponse au général Sarrail », n° 3/1921 et général Bizot, « A propos des souvenirs 1914-1915 du général Sarrail », n° 2/1922.
(28) On peut noter par exemple que le général Guillaumat, qui partage pourtant les sentiments républicains de Sarrail et lui a succédé comme directeur de l’Infanterie, n’hésite pas à écrire dès le 6 janvier 1915 : « Evidemment, Gérard et Sarrail sont des amis ; mais je préfère faire la guerre et moins de politique » (in Correspondance de guerre du général Guillaumat, L’Harmattan, 2006).
(29) Voir sur ce point les nombreuses allusions faites au printemps 1915 par le président Poincaré dans ses mémoires (Au service de la France, vol. 6, « Les tranchées 1915 »).
(30) Mémoires du maréchal Joffre, vol. 2, pp. 104-105 :
(31) Dossier individuel SHD-Terre, 9Yd476.
(32) Joffre et le GQG ne sont pas les seuls à s’inquiéter du coût humain élevé des opérations de Sarrail sans que le résultat ne soit au rendez-vous. Abel Ferry écrit à la date du 4 juillet à l’issue du Conseil des ministres : « Le gouvernement est inquiet de savoir si, en Argonne, existe une seconde ligne. Le général Sarrail s’y oppose. Or les Allemands viennent de lui enlever 17.000 hommes. ‘Qu’on le relève’, dit Viviani » (in Abel Ferry, Carnets secrets 1914-1918, Grasset, 2005). Dans ses souvenirs personnels toutefois (Quatre années de commandement, 1914-1918, t.2, L. Fournier Ed., 1920), le général Dubail évoque à peine le « cas Sarrail », si ce n’est pour souligner en juin et juillet leur différent sur la date du début de l’offensive (Sarrail souhaitant commencer le 12 juillet, Dubail demandant à plusieurs reprises un report de cette date pour améliorer la préparation d’artillerie ; les Allemands prennent l’initiatve le 13 alors que Sarrail doit attaquer le 14).
(33) Il s’agit en fait de deux sous-rapports. Le premier est centré sur les questions tactiques et souligne en particulier que Sarrail ne s’est pas préoccupé de constituer des réserves (attitude que l’on retrouve ultérieurement en Orient). Le second traite des relations hiérarchiques et humaines au sein de l’état-major de la IIIe Armée. Ses conclusions sont considérées comme exactes par Abel Ferry, « qui le connaît bien » et ajoute : « Sarrail est en révolte publique contre le Grand Etat-Major qui d’ailleurs le taquine, le harcèle, l’excite. Sarrail a pour moi de grandes qualités de chef, mais c’est un indiscipliné » (Op. cit.). Dans son P.C. de compagnie, Constantin Weyer dresse un véritable réquisitoire contre le style de commandement de Sarrail.
(34) Sarrail reconnaît lui-même (« Souvenirs de 1914-1915 », Art. cit.) que sur une armée d’un peu moins de 200.000 combattants, il a perdu entre janvier et juillet 1915 quelques 80.000 hommes sans gain significatif de terrain. Il ajoute, sans s’interroger sur le rapport « coût / résultats » : « Mais j’avais tenu et Vauquois avait été pris ». C’est pourtant à Joffre, à la même époque, que les parlementaires amis de Sarrail commencent à reprocher le « grignotage ».
(35) Sarrail ajoute (Art. cit. supra) que dès son arrivée à la tête de la IIIe Armée il a relégué « le 3e bureau [Opérations] dans son véritable rôle en ne traitant jamais directement avec lui des opérations ; je m’astreignis à ne jamais rédiger un ordre et à me laisser présenter par le chef d’état-major tout ce qui avait trait aux opérations »… On trouve ici une application littérale de la définition des missions du chef d’état-major (CEM) dans le décret d’octobre 1913 sur la conduite des grandes unités (« Le chef d’état-major est l’auxiliaire immédiat du commandement de la grande unité. Il est tenu constamment au courant des intentions de son chef, afin d’être en mesure de prévoir et de préparer l’exécution des décisions. En présentant les éléments de ces décisions, il a le devoir de soumettre les avis ou propositions qui lui sont suggérées par une connaissance détailée de la situation »), mais le même texte insiste également sur la nécessité pour un commandant d’Armée d’être quotidiennement en relations étroites avec son CEM et son bureau Opérations pour maîtriser la situation tactique et amender les travaux. Quelques pages plus loin, Sarrail affirme également « n’avoir jamais mis les pieds au GQG », ce qui est pour le moins étonnant de la part d’un commandant d’Armée.
(36) Sarrail n’hésite pourtant pas à mettre en cause l’honnêteté intellectuelle de son chef en laissant entendre que ce rapport aurait pu être écrit par ses ennemis et que Dubail n’en aurait qu’endossé la responsabilité en y apposant sa signature. Il écrit : « Son auteur aurait même un jour déclaré qu’il l’avait signé sans y faire attention. Si cette affirmation n’est pas erronée, qui l’avait rédigé ? » (Art. cit.).
(37) Abel Ferry (Op. cit.) rapporte, à la date du 20 juillet, un échange en Conseil des ministres entre Ribot et Millerand : « Avez-vous ratifié ? [le limogeage de Sarrail], demande le ministre des Finances à son collègue de la Guerre. « Il n’importe », répond ce dernier. « Il importe beaucoup ; c’est une question de principe qu’un chef d’armée ne soit pas frappé sans votre ratification préalable », conclut Ribot. La question agite pendant plusieurs semaines toutes les conversations gouvernementales et accélère le processus de remise en cause de l’autorité de Joffre (place du politique dans le domaine des nominations de généraux aux armées).
(38) On se reportera en particulier pour compléter de nombreux télégrammes incomplètement cités aux Armées Françaises dans la Grande Guerre (AFGG), tome. 8, vol 1, 2, annexes.
(39) Dossier individuel SHD-Terre, 9Yd782.
(40) Dossier individuel SHD-Terre, 9Yd623.
(41) Sarrail se brouille successivement avec la quasi-totalité de ses subordonnés directs, alliés britanniques et italiens certes mais aussi français, du général Bailloud en 1915 au général Lebouc en 1917. Il y a dans cette accumulation de difficultés relationnelles et de commandement en un laps de temps relativement réduit un élément récurrent qui interpelle et mériterait une étude comparative particulière.
(42) Il signe en particulier régulièrement les éditoriaux à la Une de La Pensée Française, périodique progressiste strasbourgeois. On relève par exemple le 27 mai 1922, sous le titre « La Ligue de la République » : « Républicains, démocrates, socialistes de toutes nuances, la Ligue de la République sonne l’assaut contre le Bloc National ».
(43) Sarrail est replacé en activité dans la première section des officiers généraux, sans limite d’âge, par la loi du 2 août 1924 (JORF du 3 août).
(44) Ardent défenseur de Sarrail quelles que soient ses décisions ou ses interventions, André Ducasse (lui-même jeune officier de complément en Orient) n’hésite pas à écrire sans autre explication pour expliquer le limogeage de son héros en juillet 1915 : « Sous un adroit prétexte, Joffre a ‘saqué’ Sarrail … Sarrail, rival possible, bête noire, ‘homme à abattre’ », propos qui laissent rêveur (in Balkans 14/18…, Op. cit.).