Finalement, après être tout de même parvenu à choisir une bonne bouteille de Morgon et un champagne rosé tout à fait prometteur – chose très rare dans les allées impersonnelles des supermarchés – pensant mon calvaire terminé, je déchante aussitôt à la vue de la queue interminable qui part de la caisse et qui vient mourir au milieu des chariots entasssés quelques 30 mètres plus loin …
Dans ces cas là, vous savez ce que fait votre serviteur ? Non ? Bon, alors je vais te le dire, te sauve pas. Je prends … tu te demandes bien quoi, hein ? Ah tu me fais presque pitié !! je prends mon mal en patience.
Et je patiente … donc je commence à gamberger, vu qu’il n’y a guère plus que dans les toilettes et dans les queues des hypermarchés que l’homme peut à souhait se pencher sur lui même et méditer.
Soudain, je me mets à penser à Jacques Dutronc, le vrai et le seul crooner français.
Je me retourne et tombe nez à nez avec la tête de gondole du rayon disques. Pourquoi se fatiguer à tenter de trouver quelque talent chez les nouveaux artistes qui seront aussi vite oubliés, quand on a la chance d’avoir un Dutronc chez nous, hein ? Je te pose la question ?
Je ne sais pas pourquoi il me vient à la caboche le Jacquot.
Est ce à cause de sa chanson ‘le dragueur des supermarchés’ ? Non, je ne pense pas.
Est ce grâce à ‘Comment elles dorment ’ où il nous raconte que « les filles ne dorment pas toutes de la même façon, tout dépend du garçon ». Pour ma part, je n’ai pas encore pu dormir avec toutes les filles que je voudrai, mais j’y travaille et ce n’est pas de tout repos.
Peut être, la compagnie forcée de la faune urbaine a reveillé en moi le fameux ‘Hymne à l’amour (moi l’noeud)’. Calembourg poussif et chanson composée, on imagine un soir de beuverie par le duo Dutronc/Gainsbourg.
« Bougnoule, Niakoué, Raton, Youpin (…) c’est l’hymne à l’amour … moi l’noeud»
Faut quand même être sacrément gonflé pour débuter une chanson ainsi.
Dutronc, ardent défeuseur de l’oisiveté, incarnation de la nonchalance. Mais, ne te fies pas à cette insolente décontraction, l’homme est un artiste, un professionnel hors pair, un surdoué. Il suffit de le voir devant une caméra de cinéma pour se rendre compte que là aussi, Dutronc est un très grand. Souviens toi de sa performance incroyable dans Van Gogh.
_ Tu connais ‘Le petit jardin’ de Jacques Dutronc ?
La petite caissière, mignonne comme un petit chat qui vient de naitre, me regarde, un peu interloquée. La charmante môme n’est pas habitué à être saisie de la sorte par un client. La plupart des gens qui passent devant elle, ne la voient même pas. Dans le meilleur des cas, ils l’ignorent simplement quand ils ne gueulent pas contre la lenteur de la queue ou le prix du jambon.
Moi, je l’ai vu et bien même. J’ai vu derrière ses yeux tristes et fatigués, une bonne humeur écrasée par ce travail trop dur.
_ Oh oui, je connais, me répond elle, toute joyeuse de sortir un peu de ses paquets de lessives. Je l’ai vu en concert aux Arènes en 2010. Qu’est ce qu’il est sexy encore pour son âge !
Eh bien, mon pôte, on dirait que t’as une fois de plus tiré en plein dans le mille. La petite à l’air (et la chanson qui va avec) d’avoir bon goût.
Donc, j’embraye, je passe la seconde et lui balance, en plus de mon regard velours numéro 8, celui qui m’a valu le premier prix au concours des borgnes myopes de Lourdes, le propositon suivante:
_ On peut boire un verre après ton boulot si tu veux, nous parlerons de Jacques Dutronc, de la vie, de l’amour jusqu’au bout de la nuit et au petit matin, fourbus mais content, nous nous proméneront le long des rues et nous chanterons ‘Paris s’éveille’ en choeur.
« Le café est dans les tasses
Les cafés nettoient leurs glaces
Et sur le boulevard Montparnasse
La gare n’est plus qu’une carcasse
Il est 5 heures … Paris s’éveille »
Voilà pis c’est tout.