Installée à Brest, où elle a suivi son mari, un marin originaire de Lorraine, l'illustratrice Géraldine Hary fait beaucoup parler d'elle depuis la publication de son troisième livre, « Encré dans mon cœur », qui révèle un véritable talent d'auteur. Cette histoire écrite à l'attention des enfants de marins raconte avec poésie et tendresse l'absence du père embarqué. Un livre remarquable que l'entreprenante trentenaire a lancé, l'an dernier, aux Éditions P'tit Baluchon, maison qu'elle a elle-même fondée il y a moins d'un an. Déjà, les projets de publication fourmillent...
Titus - Géraldine Hary, est-ce que l'enfance que vous avez vécue pouvait laisser supposer que vous deviendriez un jour illustratrice et auteur ?
Mon papa adorait dessiner ; il était dessinateur-traceur aux ateliers de construction de Paimboeuf. Quant à ma maman, elle a toujours adoré la lecture. Elle nous a élevés, en plus d'être assistante maternelle. J'allais à l'école publique de Corsept, où il y avait une belle petite bibliothèque et où je me suis très vite passionnée pour les livres. J'ai commencé à dessiner dès la maternelle. Mes copains trouvaient que j'avais un bon coup de crayon et ils me demandaient de leur dessiner des chevaux, etc. Je n'étais peut-être pas très forte à l'école mais j'avais toujours le premier prix de dessin et de poésie... Cette passion pour le dessin ne m'a jamais quittée depuis.
Dès votre plus jeune âge, vous aviez déjà l'idée d'en faire votre métier ?
Ont-elles été publiées ?
Non, ça fait quinze ans qu'elles sont sur une tablette. J'ai plus de difficultés à faire lire ce que j'écris qu'à montrer mes dessins ou peintures.
Après le bac, quelle orientation avez-vous suivie ?
Vous avez continué à travailler auprès des enfants à votre arrivée dans la cité du Ponant ?
Oui, j'ai travaillé dans des crèches et halte-garderies du secteur, avant d'avoir moi-même deux enfants. Pendant le congé parental de mon deuxième enfant, j'ai ouvert un blog. J'ai ressorti mes vieux dessins ; je les ai publiés sur mon blog et les visiteurs me laissaient des petits messages d'encouragement. Je trouvais ça rigolo et c'est comme ça que j'ai repris, petit à petit, les crayons. Je me suis remise à dessiner, et j'ai peu à peu découvert que l'illustration est un vrai métier. J'ai fait pas mal de recherches. J'ai demandé des conseils auprès d'autres illustrateurs ou auteurs, notamment Cathy Delanssay, qui m'a beaucoup aidée. J'ai alors ouvert un autre blog où j'ai publié des dessins, sans texte. Petit à petit, des auteurs sont venus me contacter pour illustrer leurs textes. De fil en aiguille, j'ai commencé à envoyer mon book ici ou là, tout ça sur fond de départs en mer de mon mari et le fait de devoir élever deux petits bouts en bas âge. J'ai beaucoup travaillé et évolué grâce aux critiques. J'ai trouvé mon style, mes techniques de travail.
Vous êtes totalement autodidacte ?
J'ai beaucoup appris en visitant les blogs de nombreux illustrateurs. J'ai observé leur façon de travailler. C'est pourquoi on voit sur mon blog mes travaux en cours. Pour montrer aux gens comment je travaille. Souvent, des illustrateurs débutants me demandent des conseils... J'aime bien montrer l'envers du décor. Personnellement, j'utilise toujours le même papier. Certains ne jurent que par l'aquarelle. En ce qui me concerne, j'utilise l'acrylique, la gouache, l'aquarelle, des encres, du collage, etc. Des techniques que j'ai apprises en observant.
Vous êtes aujourd'hui illustratrice, mais aussi artiste peintre...
Il y a un petit côté naïf dans votre style, qui doit nécessairement parler à l'enfant, non ?
C'est peut-être parce que je suis moi-même assez naïve (rires). On met beaucoup de soi dans ses dessins, et beaucoup de gens m'ont dit que mes personnages féminins me ressemblaient. C'est sûr qu'on peut voir dans mon travail le côté innocent de l'enfant. Le fait d'avoir travaillé deux ans en maison d'enfant avec des enfants ayant perdu leur regard d'enfant y est sans doute pour quelque chose. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut cultiver. Ce côté simple, naturel, gentil, naïf... Nous sommes dans une société où tout va trop vite. Même moi, qui travaille à la maison, je me dis souvent que je vois mes enfants mais, est-ce que je les regarde ? Il faut préserver ça... C'est précieux.
Quand a commencé à germer l'idée de publier vos propres livres ?
Mon rêve s'est peu à peu transformé en objectif. J'ai commencé à travailler avec une maison d'édition de cartes, pour laquelle j'ai notamment réalisé des faire-part de naissance, de baptême, de mariage, etc. J'ai ensuite décroché un premier contrat avec Rouzig, un petit magazine créé pour les enfants bretonnants. C'est ainsi que j'ai commencé à me faire connaître. A force aussi de fréquenter les forums pour auteurs et illustrateurs et de postuler aux offres qui se présentaient. La publication de mon premier livre, « Les Raccommodeuses des cœurs déchirés », en 2010, en est l'aboutissement. Je suis très fière du résultat.
De quoi parle ce premier livre ?
Quel en fut le point de départ ?
Le livre est né d'un décès dans l'école de mes enfants, en 2009. J'allais récupérer mon fils lorsque l'institutrice m'a annoncé qu'il n'y aurait pas de photo de classe en raison du décès subit d'un élève. Je me souviens qu'elle était rentrée dans sa salle de classe en pleurant. Je ne connaissais pas l'enfant, mais je me suis dit : « Comment peut-on survivre à ça ? » C'est la pire chose qui puisse arriver. A l'époque, j'avais fait un dessin de poupée sur mon blog, et Catibou, une auteure qui passait par là, a vu ce dessin. Je lui avais parlé de ce qui s'était passé et elle a écrit l'histoire des « Raccommodeuses » , dont l'héroïne est une poupée. Elle m'a alors demandé de l'illustrer.
Les parents de l'enfant décédé ont-ils pris connaissance de l'ouvrage ?
Et les enfants, comment le reçoivent-ils, ce livre ?
Ils sont très émus, en général. Mais les enfants ont besoin qu'on leur raconte leur histoire. Ça leur permet de digérer les événements parfois difficiles auxquels ils sont confrontés. Ce livre raconte le cheminement du chagrin ; on ne raconte pas comment l'enfant est mort.
Après ce galop d'essai, il y a eu la publication d'un second livre, « L’arbre ».
Oui, celui-là traitait de l'écologie. Il a été publié aux Éditions Plume en herbe, une petite maison. Valérie Rocheron a écrit le texte de cet ouvrage qui aurait pu s'appeler « Le tout dernier arbre ». Dans cette histoire, un jour sur la Terre, il ne reste plus qu'un seul arbre, et on décide alors de le mettre sous cloche pour le protéger. Tout le monde vient voir cet arbre, notamment un petit garçon et sa maman. Il se demande pourquoi il n'y a pas d'autres arbres. Sa maman lui explique qu'il faut appeler les abeilles pour polliniser. Il demande alors où sont les abeilles et monte au sommet d'un gratte-ciel pour les appeler.
Pour ces deux premières publications, vous n'étiez qu'illustratrice. Avec la suivante, « Encré dans mon cœur », vous êtes aussi devenue auteure...
C'est effectivement le premier livre où j'ai tout fait de A à Z. Je ne pensais pas tout faire à ce point-là, d'ailleurs...
Vous faites allusion à la création de votre maison d'édition, « Les Éditions P'tit Baluchon » ?
Il vous a fallu combien de temps, entre le choix d'un nom pour la maison d'édition et votre première publication ?
J'ai commencé à y réfléchir à partir de septembre 2011. C'est à cette époque que j'ai trouvé le nom. Puis en décembre, j'ai créé la maison d'édition d'un point de vue juridique. Elle a vraiment pris son envol le 1er janvier 2012. « Encré dans mon cœur » est sorti en mars 2012.
Ça peut paraître gonflé de se lancer dans l'édition dans le contexte actuel, non ?
Le chagrin est au centre de ce livre... Un ouvrage où prédomine le thème de l'absence.
Vous parliez de Mme Labonne, l'épouse du préfet maritime de Brest. S'est-elle retrouvée dans cette histoire ?
Elle s'est reconnue dans les petits détails. Dans la jolie robe qu'on achète pour le retour du mari ; dans le calendrier qu'on fabrique avec les enfants... Ce qu'on s'est dit, c'est que nos enfants apprennent à compter à l'envers : « Il reste 45 jours avant le retour de papa, et ainsi de suite ».
Le livre est plein de tendresse mais ne manque pas d'humour. Je pense notamment à la lettre de la maman envoyée au mari, qui est publiée à la fin du livre...
C'est un mail que j'ai vraiment envoyé à mon mari en 2009. Je l'ai adapté pour les besoins du livre, mais l'essentiel s'y trouve. Apparemment, ça a fait le tour du bateau à l'époque et ça a fait rire tout le monde.
L'accueil réservé au livre est jusqu'ici assez exceptionnel...
Je reste toujours très critique par rapport à mon propre travail. Je me dit toujours que j'aurais pu faire mieux, ici ou là. C'est normal car il est difficile de prendre du recul. Mais je reçois des mails d'encouragement pratiquement tous les jours. Les gens semblent aimer les dessins, les couleurs. Les gens me disent aussi qu'ils se reconnaissent dans le livre. Je suis très heureuse de voir comment il est accueilli. En le faisant, mon but était de fournir aux enfants un livre auxquels ils pourraient se raccrocher durant l'absence de leur papa. C'est une histoire qu'ils peuvent se lire tous les jours, et qui se veut rassurante car papa revient à la fin. J'avais envie que les enfants de marins réalisent qu'ils ne sont pas seuls, que beaucoup d'autres enfants connaissent ça. J'avais envie de leur donner du courage, de les aider à surmonter le temps de l'absence...
Je crois savoir que vous serez présente pour présenter votre livre lors des fêtes maritimes, les Tonnerres de Brest, en juillet...
Je serai en effet sur le stand de la Marine où je dédicacerai « Encré dans mon coeur ». Une partie des bénéfices de cette vente sera versée à l'Association des œuvres sociales de la Marine, en faveur des orphelins de la Marine. Car il y a des papas qui partent, mais qui ne reviennent jamais. Cela me tenait vraiment à cœur de faire ce don !
Avez-vous déjà d'autres projets de publication avec les Editions P'tit Baluchon ?
Un autre livre est en préparation avec Catibou, qui a écrit « Les raccommodeuses ». Mon pinceau et sa plume s'accordent à merveille. On doit avoir un peu le même passé, le même vécu. Elle a écrit un très joli texte qui s'appelle « Viens que je te dise petit enfant ». Ça va être très doux, très poétique. Il sortira en septembre. A peu près au même moment, nous sortirons aussi « Notre pense pas bête ». Une quarantaine d'auteurs et d'illustrateurs, dont certains bien connus dans le monde de l'illustration jeunesse, sont réunis autour de ce projet sur la bêtise humaine. Il y aura sûrement un tome 2. Et peut-être même un troisième car c'est un sujet sans fin (rires). C'est Juliette Parachini qui a lancé ce projet-là auquel je participais déjà avant d'avoir créé ma maison d'édition. Puisque celle-ci a vu le jour entre-temps, j'ai décidé de prendre ce « bébé » sous mon aile.
Quelle sera la finalité de ce projet ?