Comme une étoile filante
I
L’été froissait de sombres robes dans le jardin trop sage. Sous l’olivier de bohême, les sables savaient l’attente. Et les scarabées ne se permettaient pas un essai de trop.
Tout commençait derrière l’âcre saveur des menthes. Quand les mûres et le goût de feu de l’ortie blanche baptisaient le désir de ravins où la nuit crissait sur de la nuit.
Derrière les ronces, l’eau-de-vie du ruisseau établissait le jour où une enfance jouait.
II
Comme il suffit de peu de choses!
Trois fois rien! Trois plumes noires échappées à la vigilance des eaux mais portées par la ruse du courant, et le moulin de châtaigner où se cachait un monde s’enfonce dans la rumeur orageuse des ombres soudain serrées autour de l’eau fiévreuse, en bordure d’éclair.
III
Ce sera toujours trop tard. Trop loin, déjà pour les mains de l’enfant.
Trop tard. Trop loin, toujours pour nos mots dont les yeux se plissent et clignent sous l’eau morte que d’autres mots ont libérée. Dans nos paroles toujours le regard de l’enfant se noie. Bruit de pas dans les flaques. La nuit.
IV
A sa bouche qui s’ouvre. Cette couleur n’est rien. Rien qu’un peu de nuit qui dégoutte.
Trois fois rien. Trois hoquets qui se penchent une dernière fois sur l’eau comme le ciel sur l’étoile qui file avant de se fermer sur le noir de son pays clos.
Dans ses yeux, maintenant, le ruisseau va son cours dérisoire.
V
Jamais l’eau ne connaîtra cette folie des sources : tourner leurs eaux amont! Jamais elle ne ramènera ces berges aux saponaires roses de silence, ni ces plumes murées dans leurs frissons, ni ce moulin tout au froissement de ses ailes. Air et eau. Musique.
On sait cela.
Tout semble à jamais perdu.
A l’arrière de nos jours, il en va de nous comme de ces feuilles mortes, de celles qui restent en tas dans les allées désertes – nous serions en ces débuts d’hiver quand le froid partage les jours – et qui n’attendent que d’être délivrées de leur dernier poids par le feu afin que portées hors d’elles-mêmes, fumées et cendres, elles passent dans l’air et la terre.
VI
Pourtant. Quand plus rien ne tire en arrière. Que tu jettes tes pas dans la pluie. Froide et qui se fige et tremble dans la lumière sale du réverbère. Qu’une douleur infime et sans cause mais continue tend les cordes de tes yeux. Il se peut que depuis le fond de l’eau qui croupit dans le caniveau, remonte comme une étoile filante.
Son feu nous revient par delà le temps. Et passe sans s’effacer. Ce feu est vent. C’est lui qui attise la cendre de nos songes. Au chaud de son terrier, dans le défaut de toute adresse, nos coeurs reprennent corps.
Devant. S’élargissent les routes.
Alain Freixe
Extrait de Comme des pas qui s’éloignent, collection Grammages, L’Amourier, 1999
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(Du côté de Raphaël Monticelli)
Monde et tant d’œuvres
A déchirer
Du vif de l’œil
Interroger ces traits
Ces flèches ces chants
Soulever les bords
Pour entrouvrir l’espace
Déterrer le temps
Flotter dans la clarté
D’un bâti asymétrique
Chancelant bégayant
Et entrer en résonance
Avec ce qui du monde
Conspire à creuser
De silence nos vies
Pour la chance d’une voix
Le soleil d’une épaule
Et laisser sa chance à l’homme
Et au monde
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(Du côté de Michel Butor)
Remuer le suaire
Mains éblouies
D’encres futures
Donner corps au vide
Couleur à l’intervalle
Laisser courir la déchirure
Comme un soleil pressé
Dans les mots dépliés
Ajustés traversiers
Et le silence d’un sourire
La générosité d’un émoi
Comme parois d’un ciel
Ouverts à tous les vents
Porteurs d’oiseaux à venir
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(Du côté d’Yves Ughes)
Mains d’été
Soleil fou aux doigts
Echarper la lumière
A grands coups d’harmonica
Et la rendre à ses ombres
Fixer la reine déchirée
A ses points de miel
Et douter
Le cœur pris
Dans ses dentelles de silence
Devant la porte de pierre
Et l’eau qui dit
Voici le ciel
Sa chance
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extrait de Aux yeux de qui nous aime
écrire
comme on se confie
au vent dehors
pour personne
sanglots corrigés par le froid
qui rentre par les yeux
et finit flaque de clarté
au fond
flaque
que la marche relève
et plaque verticale
en porte sur le ciel
porte
qui reste là
à trembler
de tout le duvet de son bois
avec dedans
dans le mur
ses gonds rouillés
qui tachent rouge
pousser repousser
de l’épaule des mots ce battant
sur l’envers la doublure
à tous vents déchirée
et parler
comme on s’élargit
dans les lueurs frangées de neige
aux yeux de qui nous aime
Alain Freixe
(Livre d’artiste avec des peintures de Fernanda Fedi, 27 exemplaires, Archivio libra d’artista,Milan)
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extrait de Temps disjoint
Tout est toujours en ordre
en la terre compacte
et nous restons
à perte de vue
à perte de nom
en suspension
à cause des coups
à cause de tout
ce qui nous bat le cœur
dans le temps disjoint
ce n’est pas le rapport au temps
qui importe
c’est son port
comment portez-vous le temps
qui vous porte
comment parlez-vous des morts
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Le Blog D’alain Freixe
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né le 3 décembre 1946, en terres catalanes.
Vit à Nice. Aime à musarder entre philosophie et poésie.
Président de l’Association des Amis de l’Amourier et directeur de publication de la gazette Basilic.
Vice-président, il anime aux côtés d’Yves Ughes, son président, et de Jean-Marie Barnaud, l’association Podio, pour la défense et l’illustration de la poésie à Grasse, qui organise tous les ans, dans le cadre de la Bibliothèque Municipale de Grasse, un cycle de rencontres-conférences Pourquoi des poètes…?
Membre du comité de la revue Friches.
Vice-président du Centre Joë Bousquet et son temps, Maison des mémoires, Carcassonne
Chronique la poésie au journal L’Humanité et dans l’hebdomadaire Le Patriote Côte d’Azur (PCA)
Est présent sur La Toile principalement sur son blog : lapoesieetsesentours.blogspirit.com et sur les sites amourier.com ; remue.net ; bribes-en-ligne.fr, francopolis.net..
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Alain Freixe