Dans quelques semaines, Londres et les Londoniens auront l’immense bonheur d’accueillir les Jeux Olympiques et permettront au monde d’oublier les petits soucis quotidiens en regardant de frêles jeunes filles lancer des poids avec grâce dans l’azur ensoleillé de la capitale britannique, ou de fringant jeunes hommes trottiner sur 100 m sans l’aide d’aucune potion magique à 36 km/h de moyenne. Et puis après, le monde s’effondrera.
Enfin, pour le monde, je ne sais pas. Mais pour l’équilibre budgétaire de la municipalité de Londres, en revanche, là, je suis sûr qu’il va morfler sévère.
« Rooh », se dira le lecteur habituel et blasé. « Encore une dose de méchanceté et de mauvaise foi ! Qu’a-t-il donc à reprocher à cette magnifique manifestation d’entente planétaire dans une compétition saine et colorée ? Tout ça, c’est bien sûr, parce que la France n’a pas décroché la timbale en 2005 lorsque les jeux furent attribués à Londres plutôt qu’à Paris ! »
En fait, rien de tout ça, mais avant d’entrer dans le sujet, revenons rapidement en juillet 2005 : après un suspens insoutenable, le Comité Olympique annonce que bah non, Paris ne gagne pas le droit d’organiser les jeux de 2012, ce sera Londres.
C’est la déception dans les rangs français, emmenés, on se le rappelle, par Bertrand Notre Dame de Paris Delanoë, qui va d’ailleurs s’épancher dans le journal de France 2, snif snif, c’est terrible de voir tout ce vivrensemble qui vient de se prendre une tarte maousse pas du tout bisounours :
Eh oui, comme le dit Bertrand, « une défaite un peu inexplicable » compte-tenu du graissage de patte quasi-industriel qui avait eu lieu avant mais qui n’a pas suffi devant la distribution de bonbons encore plus forte côté britannique, et qui a donc plongé le Maire de Paris dans un désarroi lacrymogène. Sur le coup, donc, euphorie londonienne et pleurnicheries parisiennes. Enfin, officiellement.
Officieusement, côté britannique, certains avaient déjà fait des calculs et commençaient à tirer une tête bien sombre. En France, pas mal (dont moi-même) poussèrent un ouf de soulagement en apprenant la défaite de Paris, suivi d’ailleurs immédiatement d’une joie un peu sadique en constatant la mine défaite de l’improbable maire parisien. Nous aussi avions fait nos calculs.
Nous voici sept ans plus tard, au moment où les jeux vont débuter.
On peut déjà parier que ces jeux seront, sur le plan sportif et événementiel, parfaitement organisés, et il est probable qu’ils seront une belle réussite. Les touristes, venus pour l’occasion, en auront pour leur argent, au moins en ce qui concerne le sport (pour la bonne chère, ça reste l’Angleterre, tout de même, n’exagérons rien).
Mais pour le reste, on comprend déjà que tout ne va pas être aussi génial. S’il y a bien quelque chose qui va décidément être sportif, ce sera le rétropédalage des autorités lorsqu’il s’agira d’expliquer que l’opération globale des jeux olympiques menés à Londres n’est pas un gouffre financier.
Non pas que les Jeux Olympiques devraient, par nature, représenter un bonus économique important. De loin en loin, depuis les jeux de Los Angeles en 1984, pas une seule fois les Jeux n’ont rapporté un kopeck à ceux qui les avaient organisés.
On pourrait, à la limite, se contenter d’un budget à peu près équilibré permettant d’éviter de creuser les poches des contribuables. Mais là encore, que nenni : c’est, de façon systématique, un gouffre financier avec, littéralement, des milliards d’euros, de dollars ou de livres sterling dépensées sans espoir de retour. « Roooh » va-t-on encore me sortir ici, doublé d’un « Ce n’est pas possible, avec toutes les retombées médiatiques, le tourisme, et tout ça, l’opération doit être bien moins catastrophique qu’il le prétend, cette mauvaise langue ! »
Sauf que lorsqu’on épluche la presse et les chiffres évoqués pour les chantiers londoniens en cours, on obtient ceci : en 2002, le montant de la facture des Jeux était estimé à 2.8 Milliards de dollars. En 2012, la municipalité de Londres avoue en avoir dépensé 15, ce qui fait un joli x5. Ici, ce sont les contractants qui se frottent les mains, et les contribuables les yeux : un dépassement de budget d’un rapport cinq, c’est tout de même une performance assez remarquable. D’autant que la dernière estimation du coût final, une fois les Jeux terminés, s’établit à présent bien au-delà des 24 milliards de livres (38 milliards de dollars, à la louche). Là encore, on parle d’un gros facteur 13, ce qui donne un peu le vertige.
Évidemment, la facture finale pour Londres, alors que la crise s’est déchaînée entre les larmes de Delanoë, en 2005, et maintenant, remet en perspective les craintes de ceux qui redoutaient ces jeux pour leur capitale (qu’ils fussent parisiens ou londoniens), notamment lorsqu’on se rappelle d’une précédente capitale, Athènes, et de sa petite note de 11 milliards de dollars largement supportée par le peuple grec puis le reste de l’Europe par le truchement d’une tuyauterie financière qui n’a plus de secret pour personne.
En réalité, les Jeux, s’ils sont Olympiques, le sont surtout du côté des dépenses générées. On entend souvent que les jeux se rembourseront, mais la réalité est que la plupart des équipements sont construits de façon spécifique pour les sports qui vont y être pratiqués le temps des jeux (un mois) puis être, purement et simplement, détruits ou abandonnés. Par exemple, il n’y a pas bousculade de licenciés pour du handball en Angleterre, et le kayak, en Grèce, n’a jamais mobilisé les foules.
Le fait d’héberger les jeux pendant un mois signifie effectivement que la ville va voir l’activité économique exploser juste avant, mais cette activité profite surtout à des contractants extérieurs qui connaissent les besoins, contraintes et spécificités des infrastructures de ce genre d’événementiels. Rares sont les contractants locaux habitués à gérer ces paramètres. L’argent dépensé par les Londoniens dans ces conditions finit donc par quitter la ville, voire le pays, dans sa plus grosse partie. En outre, les emplois créés le sont de façon purement temporaire : la folie des jeux retombée, il n’en reste plus qu’une toute, toute petite partie.
Observation vraie pour les emplois qui s’étend au tourisme : boosté le temps des jeux, les touristes ne viendront pas plus l’année prochaine à cause d’infrastructures désertées ou démontées. De surcroît, les touristes qui peuvent se permettre d’aller aux jeux (avec des dépenses afférentes de plusieurs milliers de dollars) sont peu nombreux, et ne reviendront pas. Quant à l’idée que les jeux provoquent une ruée sur les sports ainsi médiatisés et entraînent donc un regain de consommation correspondante, c’est juste ça : une idée, fausse de surcroît. Je ne pense pas que vous vous soyez récemment rué sur une paire de pompes en ayant regardé Usain Bolt réaliser ses performances. À la limite, ça aurait même tendance à décourager.
Non, pas de doute : les jeux sont des gouffres financiers. Colorés, joyeux, festifs, forcément citoyens (du monde) adossés à une compétition dans un esprit de partage et de fraternité évidemment planétaire avec des rafales de bisous écoconscients en package bonus. Mais ça reste des gouffres.
En ces temps de crise violente, on comprend maintenant mieux les grimaces des londoniens, et mieux aussi pourquoi le petit Bertrand semble avoir largement digéré la pilule.
En effet, quand on sait que la Ville de Paris est, techniquement, dans la dette et les déficits jusqu’au cou, que ses dépenses ont bondi sous l’ère Delanoë de plus de 44%, en parallèle d’une explosion du nombre d’employés et de l’absentéisme, bref, que la situation financière de la ville est proprement catastrophique, on imagine qu’avec les Jeux Olympiques, la facture finale aurait été démentielle.
Tous comptes faits, les Français en général et les Parisiens en particulier pourront remercier chaudement le Comité Olympique d’avoir choisi Londres plutôt que Paris. Les larmes de Delanoë de 2005 prennent un goût étonnamment sucré.