Chaque jour qui passe en est la preuve criante : il apparaît de plus en plus clairement, et surtout depuis l’élection française, que le problème pour l’euro, n’est pas la Grèce, l’Espagne ou l’Italie mais bien l’Allemagne.
Par Anatole Kalentsky (*).
Publié en collaboration avec l'Institut des libertés.
Maintenant que les élections législatives grecque sont passées, les partis pro-renflouement ont semble- t-il acquis assez de sièges, l’Europe peut ainsi revenir à son cycle régulier de « panique, soulagement, déception et panique renouvelée », que nous avons observés pour les deux dernières années. Cette fois, cependant, le point de relais devrait être encore plus court que d’habitude, puisque l’attention du marché va bientôt passer d’Athènes à Madrid, Paris et, surtout, à Berlin.
Puisque l’on sait que la Grèce n’a aucune chance d’atteindre ses objectifs financiers, le nouveau gouvernement devra bientôt concéder d’importantes nouvelles avancées à la troïka. En supposant que l’Allemagne résiste à de telles concessions, ainsi qu’à celles beaucoup plus importantes qui seront bientôt exigées pour l’Espagne, la contradiction fondamentale du projet euro sera de nouveau en ligne de mire. Une monnaie unique ne peut être maintenue au sein d’une union budgétaire et politique que si l’on concède de mutualiser et de monétiser la dette, chose que l’Allemagne refuse de concevoir
Si cette situation persiste, alors deux choses peuvent se produire. Les pays débiteurs pourraient se résigner à la dépression permanente et la faillite car ils sombreront alors davantage dans les trappes à dette et les crises de style grec, qui finiront par les pousser hors du système euro un par un. Ou bien les opprimés pourraient choisir de se retourner contre l’oppresseur allemand.
Au lieu de laisser l’Allemagne imposer sa philosophie économique et politique sur la Grèce, l’Irlande et le Portugal et dans un avenir proche sur l’Espagne, l’Italie et probablement la France, les pays du Club Med pourraient s’unir et imposer leur philosophie économique à l’Allemagne. Car, après tout, chaque jour qui passe en est la preuve criante car il apparaît de plus en plus clairement, et surtout depuis l’élection française, que le problème pour l’euro, n’est pas la Grèce, l’Espagne ou l’Italie mais bien l’Allemagne. Cette même Allemagne qui insiste pour convaincre les pays de la nécessité de l’austérité budgétaire, rendant ainsi intolérables les conditions politiques pour les pays débiteurs. C’est bien l’Allemagne qui bloque de son veto l’assouplissement quantitatif de la BCE qui pourtant pourrait plafonner les rendements obligataires et ainsi soulager les pièges de la dette déflationniste. Et c’est l’Allemagne à nouveau qui décourage la dévaluation de l’euro face au dollar (ce qui pourtant relancerait les exportations) et refuse même de défendre ses propres politiques nationales en matière budgétaire.
Supposons en cas d’école,qu’Angela Merkel refuse toujours de faire des compromis sur la mutualisation de la dette ou sa monétisation par la BCE lors d’une crise politique. La réponse évidente des autres pays de la zone Euro devrait alors être de souligner que l’Allemagne est devenue l’obstacle à une résolution de la crise euro. On pourrait alors être en droit de demander à Mme Merkel, une dernière fois, de respecter les décisions majoritaires nécessaires à la survie de l’euro et conformes à l’intérêt du plus grand nombre de ses membres. Si elle refuse de le faire, l’Allemagne pourrait alors être remerciée. Si Mme Merkel refuse alors de rentrer dans le rang ou de quitter volontairement l’euro, les autres pays pourraient alors facilement la désavouer en créant des conditions qui seraient inacceptables pour le public allemand. Le moyen le plus évident de le faire serait de voter au sein de la BCE un assouplissement quantitatif illimité pour la monétisation de la dette. L’opinion publique allemande devrait certainement s’opposer à cela, mais ils ne pourraient l’empêcher parce que l’Allemagne ne dispose que de deux voix au Conseil de la BCE - et même en supposant le soutien de l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et la Slovaquie, la faction allemande ne détient que 6 voix sur 23. Si les deux représentants allemands de la BCE ont été contraints de démissionner en signe de protestation (encore !), il est facile d’imaginer l’opinion publique allemande devant ce scénario envisagé plus haut. Un DM nouveau pourrait être rapidement émis par la Bundesbank et, tandis que les banques et compagnies d’assurance allemandes devraient subir des pertes importantes en raison d’une inadéquation entre leurs actifs en euros et leurs nouveaux D-Mark passifs, elles pourraient facilement être recapitalisées par un gouvernement soudainement libéré des passifs éventuels imposés précédemment par le reste de la zone euro.
Ce scénario de rupture de la zone euro aurait au moins le mérite d’être le moins perturbateur pour l’ensemble comparé à un scénario de "panne" causée par la dévaluation de la Grèce ou l’Espagne. Dans le cas d’une réévaluation allemande, il n’y aurait pas de contagion ou la fuite des capitaux, comme cela serait le cas si la Grèce, puis l’Espagne, puis l’Italie et la France étaient éliminées de la zone euro un par un. Il n’y aurait pas des poursuites par les créanciers mécontents.
Le scénario le plus protecteur, à la fois du point de vue juridique et du point de vue économique, serait donc de conserver l’euro existant et, grâce à un retrait allemand, de survivre en tant que monnaie pour les autres pays de la zone euro. Avec l’Allemagne en dehors de l’Euro, la France, l’Italie et l’Espagne pourrait rapidement se dévaluer un chemin vers un retour à la compétitivité au sein de l’Europe et aussi au niveau international, en encourageant les nouveaux euros à dévaluer aussi rapidement face au dollar, au yen ou au yuan. Sans opposition allemande, la BCE pourrait imiter la Fed et la Banque d’Angleterre, et acheter des obligations sans limite de manière à réduire les taux d’intérêt à long terme. Et si l’assouplissement quantitatif produit un euro encore plus faible ou même crée de l’inflation, tant mieux, car les pays de la Zone Euro méditerranéens ont toujours compté sur la dévaluation afin de promouvoir la croissance des exportations et sur l’inflation pour éliminer les dettes. On ne change pas des équipes qui gagnent.
D’autre part, à l’international, un éclatement de l’euro causé par le départ de l’Allemagne serait très favorable pour tous les actifs à risque mondiaux, à l’exception évidente de l’exportation allemande et des valeurs bancaires. Les obligations allemandes devraient également subir des pertes énormes, puisque le gouvernement allemand pourrait décider de rembourser ses obligations en euros hérités du passé, plutôt que de re-libeller toutes ses obligations en nouveau DM. Pour un gouvernement qui a choisi de financer des centaines de milliards sur la recapitalisation de ses banques pour les pertes qu’elles ont subies en France, en Espagne et en Italie, il serait tentant de pendre haut et court les détenteurs d’obligations étrangères, plutôt que de leur offrir une manne de devises supplémentaires.
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Traduit de l’anglais par l'Institut des libertés.
Source Gavekal “It might be time to say “Auf Wiedersehen”?
(*) Anatole Kaletsky (né le 1er Juin 1952) est un journaliste et économiste basé au Royaume-Uni. Il est rédacteur-at-Large et principal commentateur économique du Times, où il écrit une colonne trois fois tous les quinze jours sur l’économie, la politique et les marchés financiers. Il a été nommé commentateur du journal de l’année dans le prix ”BBC What the Papers Say” pour 1996. Il a reçu deux fois le Prix de la presse britannique pour Writer Spécialist de l’année, a remporté le prix pour le journalisme économique Wincott administré par l’Institut des affaires économiques, et le Premier Cernobbio-Prix de l’Europe.Il a été conseiller économique depuis 1997, fournissant des analyses et des conseils stratégiques d’allocation d’actifs aux institutions financières, les entreprises multinationales et les organisations internationales par le biais de son entreprise, GaveKal, qui est co-exécuté avec Louis et Charles Gave. Il a été élu au Conseil d’administration de la Royal Economic Society en 1998.