Jean-Luc Mélenchon a été inculpé jeudi pour injure envers la présidente du FN, pour l'avoir traitée de "fasciste". Si Marine Le Pen devait être lavée de l'accusation de fascisme devant la justice, Jean-Luc Mélenchon aura contribué plus que quiconque à la banalisation du Front National au sein de la vie politique française.
Par Stéphane Montabert.
L'affrontement entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dans la circonscription de Hénin-Beaumont aura été un des points d'orgue des législatives françaises.
Après une campagne donnant lieu à bien des excès de part et d'autres, la fumée du champ de bataille s'est dissipée, laissant les deux prétendants sur le carreau. Ceux-ci ne sont pas prêts à rendre les armes pour autant : les amertumes accumulées sont trop grandes. Ils semblent décidés à porter la lutte jusque devant les tribunaux, chacun accusant son adversaire de diverses ignominies. Mais ce qui ne mériterait peut-être qu'un entrefilet dans la rubrique judiciaire pourrait avoir des conséquences pour le moins inattendues...
Ainsi, dans un des derniers épisodes de l'histoire, le Front National prend l'offensive en traînant Jean-Luc Mélenchon devant les tribunaux, pour reprendre la formule subtile du Matin. Le motif ? Le leader du Front de Gauche a publiquement affirmé que Marine Le Pen était "fasciste" :
Interrogé sur des sondages plaçant Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon avait lancé : "Pourquoi voulez-vous que le peuple français soit le seul peuple qui ait envie d’avoir un fasciste à sa tête, pourquoi ils seraient comme ça les Français ?"
La candidate du FN avait dans la foulée saisi le doyen des juges d’instruction de Paris d’une plainte pour "injures publiques", reprochant à M. Mélenchon d’avoir utilisé le terme "fasciste" pour la caractériser.
Un communiste s'offusquera rarement qu'on le traite de communiste, puisque pour lui le terme n'aura rien d'une insulte. Ici, Marine Le Pen prend assez mal le qualificatif employé par M. Mélenchon ; il y a donc visiblement une divergence sur le sens qu'on lui donne.
La seule possibilité pour M. Mélenchon d'éviter une condamnation infamante (fusse-t-elle d'un euro symbolique) sera d'affirmer qu'il n'a rien dit d'autre que la vérité. La ligne de défense prise par son avocate, Me Raquel Garrido, semble aller dans ce sens : "Pour nous, le terme fasciste n’est pas une insulte mais une caractérisation politique".
Par voie de conséquence, la justice française sera amenée à trancher les points suivants :
- Le qualificatif de "fasciste" est-il une insulte ?
- Quelles sont les caractéristiques d'un mouvement politique ou d'une personnalité "fasciste" ?
- Marine Le Pen correspond-t-elle à cette définition ?
À supposer que la plainte soit recevable, elle pourrait amener des développements intéressants. Si la Cour évacue le dossier en estimant que le qualificatif de "fasciste" n'est pas une insulte, nous resterons sur notre faim. Cela contribuera juste à rendre le terme encore plus galvaudé qu'il n'est aujourd'hui.
Mais si la justice s'attardait sur le sens du mot fascisme, nous verrions alors pour la première fois une définition juridique du terme. D'après wikipédia (pour ce que ça vaut) le fascisme "générique" s'étend à tout mouvement politique ou organisation s'appuyant sur un pouvoir fort au service d'une classe humaine dominante, la persécution d'une classe ennemie chargée de tous les maux, l'exaltation du sentiment nationaliste, le rejet des institutions démocratiques et libérales, la répression de l'opposition et un contrôle politique extensif de la société civile. L'analyse de la justice française diffèrera-t-elle ?
Une fois le fascisme défini, il sera aisé de dire si Marine Le Pen correspond ou non à ses critères. S'ils sont assez ouverts pour inclure le Front National, il sera intéressant alors de voir à quels autres mouvements politiques - au hasard, le Front de Gauche - ils pourraient aussi s'appliquer. Remplacez "immigrés" par "riches bourgeois" ou "finance juive apatride" et vous obtenez facilement quelques variantes...
Et si Marine Le Pen est lavée de l'accusation de fascisme devant la justice, Jean-Luc Mélenchon aura bien des raisons de s'étrangler : grâce à ses déclarations permettant à une cour de justice de statuer noir sur blanc que Marine Le Pen n'est pas fasciste, il aura contribué plus que quiconque à la banalisation du Front National au sein de la vie politique française !
Quelle que soit la conclusion du volet judiciaire de l'affaire, Marine Le Pen et le Front National semblent avoir tout à gagner de ce procès.
Mise à jour: Jean-Luc Mélenchon est formellement inculpé pour injure. Fidèle à sa ligne de défense, il donne une définition plus précise du fascisme à ses yeux :
"Fasciste n'est pas une injure, c'est une caractérisation politique (...) qui est une description d'un processus, d'une identité politique caractérisée par des faits extrêmement précis" a répliqué jeudi Jean-Luc Mélenchon après sa mise en examen, citant notamment "la haine et le refus des mouvements ouvriers organisés"
"C'est très typique de l'attitude du Front national qui ne cesse de dénoncer les syndicats comme corrompus, comme vendus au patronat", a-t-il poursuivi.
"Deuxièmement, c'est une vision de l'organisation de la société par corporation. Voilà ce qu'est le fascisme historiquement". "J'estime donc que personne n'a à se sentir injurié dès lors qu'il est l'objet d'une caractérisation", a-t-il poursuivi, en accusant son adversaire lors de la présidentielle et des législatives dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais (Hénin-Beaumont) d'instrumentaliser la justice.
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