Nous sommes en mars 2013. La France est sortie de l'euro depuis six jours, Keynes, prix Nobel d'économie, se réjouit de cette excellente nouvelle :
"Rares sont les français qui ne se réjouissent pas de la fin de l'euro. Nous sentons que nous avons enfin les mains libres pour faire ce qui est raisonnable. La période romantique est révolue, et nous pouvons nous mettre à discuter de manière réaliste le choix de la meilleur politique possible.
Il peut paraître surprenant qu'une action qui avait été présentée comme une catastrophe désastreuse en soit venue à recevoir un accueil aussi enthousiaste. Mais c'est avec une grande rapidité que l'on aperçut les vastes avantages que le commerce et l'industrie françaises retireraient de l'abandon de nos efforts anormaux à maintenir notre monnaie au dessus de sa valeur réelle.
[...]
La France va donc se relever du milieu de ses cendres avec un honneur intact. Il est vrai qu'elle a joué le jeu jusqu'aux limites du donquichottisme, au risque même de mettre le commerce français au point mort. Que nous éprouvions une certaine exubérance à sentir l'étau se desserrer, que les cours de la Bourse montent de manière vertigineuse et que les os desséchés de notre industrie soient mis en mouvement, il n'y a rien d'étonnant à tout cela.
C'est que si la valeur du Franc sur le marché des changes est réduite de 25% par exemple, l'effet de freinage obtenu sur nos importations sera le même que celui que produirait un tarif douanier d'un montant égal. Mais, tandis qu'un tarif douanier ne ferait rien pour favoriser nos exportations et risquerait plutôt de leur nuire, la dévaluation du Franc de 25% leur offre la même prime de 25% que celle que reçoivent nos producteurs nationaux comme aide dans leur lutrre contre la concurrence étrangère.
Dans de nombreux secteurs économiques, l'industriel français doit être aujourd'hui le producteur le moins cher en termes réels. Et ces avantages nous les obtenons sans réduction de salaires ni conflits sociaux. Nous les obtenons d'une manière qui est rigoureusement équitable pour toutes les classes et sections de la commmunauté, et sans que le coût de la vie en soit sérieusement affecté. En effet, les importations figurent pour moins d'un quart dans notre consommation totale ; il faudrait donc que le Franc se dévalue de beaucoup plus que 25% avant qu'on puisse prévoir une hausse d'au moins 10% de notre coût de la vie.
[...] il y aura, cela est certain, une puissante stimulation de l'emploi."
Keynes est mort mais ce texte, rédigé six jours après l'abandon de l'étalon or par le Royaume-Uni, en septembre 1931, est à conserver au frais et pourra resservir, avec les modifications que j'y ai introduites, pour saluer le retour au franc.
Pour retrouver le texte exact de Keynes il faut remplacer les termes en rouge dans le texte par ceux de cet économiste dont la plupart des partisans de l'euro continuent de se réclamer, ce qui redouble la gravité de leur cas :
euro = "nos chaînes d'or" (l'étalon or)
françaises, français, France = anglaises, anglais, Angleterre
Franc = sterling
en termes réels = "en termes d'or"
La fin de l'euro, allégorie.
Commentaire rapide : Comme en 1931, c'est une logique politique qui conduit à maintenir l'euro, un orgueil mal placé. Le même qui avait conduit les britanniques à vouloir rétablir la livre à sa parité-or d'avant-guerre. Le romantisme évoqué par Keynes était, à l'époque, celui d'un empire britannique éternel, aujourd'hui il s'agit du romantisme des nationalistes européens.
Comme en 1931, on prédit des catastrophes en cas de sortie de l'euro, la réalité c'est que la fin de l'euro marquera le début d'une reprise.
Comme en 1931, on cherchera en vain, une fois que l'euro sera abandonné, qui a pu penser que ce carcan pouvait constituer un atout, au point de penser que vouloir en sortir conduisait au pétainisme...
Pour les curieux, le passage se trouve dans le recueil de textes de Keynes "Sur la monnaie et l'économie", Petite Bibliothèque Payot, 2009 (article La fin de l'étalon-or).