Gerhard Richter, Rouleau de papier toilette, 1965
L’exposition consacrée à Gerhard Richter au Centre Pompidou (jusqu’au 26 septembre) est en tout point remarquable. Le travail de peinture de Richter est un des plus passionnants parmi nos contemporains, entre figuratif et abstraction, entre proximité photographique du réel et complexité de la distance. Elle montre ses cheminements, ses indécisions, ses impasses, ses explorations : ‘d’horribles ébauches bariolées’ dit-il lui-même dans une des salles du début à propos de ses premières tentatives abstraites. On sera plus ou moins sensible à son trait de peinture agrandi sur quinze mètres, à ses ‘sculptures’ de panneaux de verre, à ses assemblages de monochromes de nuanciers, ou à ses récents émaux sous verre, mais c’est toujours une affirmation, envers et contre tout, de la prééminence de la peinture (‘je ne sais rien faire d’autre’ dit-il, ‘ma profession, c’est d’être peintre’).
Gerhard Richter, Nu dans l'escalier (Ema), 1966
Les références sont là, que ce soit un tableau de Duchamp contre lequel Richter peint (Nu descendant un escalier), des photographies familiales, tragiques ou nostalgiques, mais toujours assumées, ou des événements historiques. Sa série sur la bande à Baader (18 Octobre 77, voir plus bas), quasi intégralement présentée ici, est de la vraie peinture d’histoire, une volonté délibérée de regarder en face un moment difficile et ambigu de l’histoire de son pays et d’explorer comment le regard du peintre peut transformer le nôtre.
Gerhard Richter, Septembre, 2005
Ayant lu il y a peu la monographie de Richard Storr, je suis resté longtemps devant Septembre, que j’imaginais plus grand, plus fort, où rien n’est dit, rien n’est explicite et tout est montré, de la tragédie elle-même et du changement du monde après elle. Seule la peinture peut ainsi montrer l’immontrable ; là où les photographies du 11 septembre ne font que rappeler la catastrophe, la peinture de Richter l’habite et la transfigure.
Gerhard Richter, Marine (mer-mer), 1970
Peut-être furent-ils une étape dans son cheminement vers l’abstraction : ses tableaux de nuages m’ont fasciné. On sait depuis toujours (et encore plus depuis Stieglitz) que le nuage est un motif parfait pour questionner, et la représentation, et son cadre : motif qui s’échappe sans cesse, qu’on ne peut fixer, ni délimiter, motif mouvant, imprévisible et pourtant immuable. Faute de forme, c’est la matière picturale même qu’on peut voir là (c’est aussi le cas pour le tableau plus bas montrant un iceberg dans la brume : la fluidité et l’incertain diaphane lui vont bien) et la définition même d’une non-composition picturale.
Gerhard Richter, Cage 4, 2008
Il serait vain de tenter de lire, dans les grandes compositions peintes en écoutant la musique de John Cage, une écriture musicale, une influence directe. Après divers tâtonnements (qui continuent encore aujourd’hui, différemment : la dernière salle, avec ses plus récents tableaux, est plutôt déroutante, mais Richter expérimente toujours), il a trouvé, avec l’abstraction, sa structure, son rythme, tant mental que pictural, et cette série aux spontanéités calculées en est un des sommets.
Gerhard Richter, Iceberg dans la brume, 1982
D’où vient alors qu’on ressorte de cette exposition avec un certain sentiment de frustration, d’incomplétude ? Sans doute est-ce simplement le fait que, dans une exposition se voulant aussi complète, aussi pédagogique, couvrant de son mieux toutes ses étapes, toutes ses errances et ses incertitudes, ses incohérences et sa permanence, il est difficile de souffler, de s’isoler, de se concentrer sur une toile : si l’intérêt reste constant, l’émotion, elle, s’évapore. Je suis revenu quelques jours plus
Gerhard Richter, Confrontation (18 octobre 1977, Ulrike Meinhof), 1988
tard pour ne regarder que Septembre, traversant les autres salles les yeux clos, soumis à ma seule obsession. C’était bien mieux. Peut-être ne faut-il pas tenter de tout saisir, de tout intégrer, peut-être Richter est-il un peintre à goûter à petits pas, une toile après l’autre.
Tout autant, sinon plus que le catalogue, je recommande la lecture de la monographie de Dietmar Elger, chez Hazan, remarquable.
Photos 1, 4 & 7 de l'auteur.