Pietro da Cortona (Pietro Berrettini, dit ; Cortona, 1596-Rome, 1669),
La Femme adultère, sans date
Huile sur toile, 132 x 97,4 cm, Château de Schleissheim, Staatsgalerie
Tourment, extase, sentiments a priori opposés, mais que le Baroque, dans sa volonté de fondre en un même mouvement les contraires n’hésita pas à associer pour les ériger, entre autres oxymores, en manifestes d’un goût rénové rendant compte au plus près des passions. Délaissant un moment sa terre d’Espagne pour l’Italie, l’ensemble Los Músicos de Su Alteza nous propose, dans son troisième disque pour le label Alpha, d’explorer quelques expressions de la piété ultramontaine au mitan du XVIIe siècle.
L’Italie du Seicento est sans doute une des périodes de l’histoire de l’art et, plus particulièrement, de la musique
les plus passionnantes à observer. Véritable laboratoire à ciel ouvert, elle voit les expérimentations menées par les différentes cours – Ferrare, Florence, entre autres – au cours du siècle
précédent, dont un des buts principaux était de retrouver la musique de l’Antiquité, conduire à la fixation ou à la création de formes qui vont perdurer ensuite durant des siècles, comme
l’opéra, la sonate, l’oratorio ou la cantate. Encouragée par les préceptes de la Contre-Réforme édictés par le Concile de Trente achevé en 1563, l’expression de la foi se veut ainsi plus
directe, impliquant nécessairement une musique s’adressant au cœur plus qu’à l’intellect du fidèle, au rebours de la polyphonie franco-flamande qui avait régné jusqu’alors en maîtresse.
Les œuvres de ce programme nous conduisent dans la Rome des années 1640, dans laquelle le mécénat développé par les papes et
les grandes familles dont ils sont issus, comme les Barberini (voir ici) ou les Pamphilj – ces derniers furent ensuite les protecteurs d’Alessandro Scarlatti, de Corelli ou de Händel –, entretient un jaillissement
créatif permanent. Attribuée par la majorité des musicologues à Luigi Rossi, un compositeur originaire des Pouilles ayant probablement effectué son apprentissage musical à Naples avant de faire
l’essentiel de sa carrière au service de deux prestigieuses familles romaines, les Borghese jusqu’en 1641, puis les Barberini qu’il rejoignit en exil en France à la demande de Mazarin vers
1645, la cantate Un peccator pentito illustre parfaitement la volonté de peindre en musique les passions de l’âme, ici celles du pécheur « ennemi du monde et du Ciel » en
proie aux visions de l’enfer qui lui promettent mille tourments mais sera finalement sauvé si les larmes de son repentir lui ouvrent les portes de la miséricorde divine. Les effets abondent
pour souligner ou illustrer les mots propres à exciter la pitié, la crainte et l’espérance du fidèle et le compositeur, quelle que soit son identité, en use avec un sens dramatique consommé qui
est d’un maître.
Il s’en faut de très peu pour que l’ensemble Los Músicos de Su Alteza (photographie ci-dessous) signe avec Il tormento e
l’estasi un disque exceptionnel. En effet, dès les premières secondes du disque, il est absolument évident que Luis Antonio González, qui dirige ses troupes du clavecin, a une idée très
claire de ce répertoire dans laquelle entre, à parts égale, la science et l’instinct. Dans les trois pièces vocales, le chef impose une théâtralité haletante immédiatement convaincante et très
justement dosée qui insuffle à chaque caractère une vitalité assez incroyable. Les allégories d’Un peccator pentito ou les personnages de Jephte s’animent et se font êtres de
chair et de sang qui s’avancent vers nous pour nous conter leur histoire et nous faire participer aux émotions qui les traversent. Il faut souligner le soin avec lequel ont été visiblement
pensés les équilibres, les contrastes, la mise en place globale de chaque œuvre, un travail de fond qui leur permet de déployer toutes leurs richesses et d’avoir un impact émotionnel souvent
saisissant.
Sans pouvoir, pour les limites techniques exposées ci-dessus, lui attribuer l’Incontournable de Passée des arts qu’il aurait amplement mérité avec de meilleurs chanteurs, je vous recommande néanmoins de ne pas manquer cet Il tormento e l’estasi en tous points passionnant et qui porte haut les couleurs de la musique italienne du XVIIe siècle. On espère sincèrement que le processus de maturation en cours au sein de Los Músicos de Su Alteza va se poursuivre, car les musiciens espagnols nous délivrent dans ce disque une leçon d’éloquence que l’on n’oubliera pas.
Los Músicos de Su Alteza
Luis Antonio González, clavecin & direction
1 CD [durée totale : 64’09”] Alpha 183. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Anonyme, attribué à Luigi Rossi : Un peccator pentito
Comparir voi non osate
2. Biagio Marini : Passacaglio
3. Giacomo Carissimi : Jephte
Abiit ergo in montes (Filia, écho)
Olalla Alemán, soprano
Des extraits de chaque plage peuvent être écoutés ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Rossi Mazzocchi Carissimi: Il tormento e l’estasi | Compositeurs Divers par Los Músicos de Su AltezaIllustrations complémentaires :
Claude Gellée, dit Le Lorrain (Chamagne, c.1604/5-Rome, 1682), Vue de Rome, 1632. Huile sur toile, 60,3 x 84 cm, Londres, National Gallery
Giovanni Francesco Romanelli (Viterbo, 1610/11-1662), Jephté reconnaît sa fille, sans date. Huile sur toile, 205 x 216 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum