Sacha Baron Cohen est sans aucun doute un grand de l’humour, de cet humour potache, gras, parfois scato mais qui arrive à distiller ici et là quelques petites vérités blessantes. Un peu à la manière de John Waters, artiste génial des 70′s qui repoussait sans cesse les limites du bon goût (pour les curieux taper Pink Flamingos sur Youtube ou John Waters -Divine)
Son Borat - le reporter kazakh venu apprendre l’humour aux States – et son Brüno – journaliste gay, l’autre Autrichien incompris par l’histoire – étaient en fait 2 personnages miroirs qui à travers leur vulgarité, leur connerie, leur racisme et parfois leur naïveté tournaient en dérision notre société si parfaite. Quitte à aller loin, très loin par moments: une fausse interview de Brüno d’un chef du Hamas qui lui conseille de changer de shampoing, une excursion en poom-poom short dans les rues des quartiers ultra-orthodoxes de Tel-Aviv, un détournement de l’hymne américain en plein Texas, des reflexions sexistes dans un débat sur le féminisme et j’en passe… Ces deux personnages apparaissaient dans un contexte précis: Borat en pleine guerre anti-terroriste de l’administration Bush et Brüno en pleine folie des people US pour les causes humanitaires. Ils apportaient un vent d’air frais sur l’humour, le ramenant à sa fonction première et la plus noble: jouer de nos défauts, de nos paradoxes et en rire. Une dose de subversion et de scandale salutaire…
Seulement voilà, Borat et Brüno étaient tournés avec des budgets modestes, à la manière de documentaires caméra au poing. The Dictator a coûté 70 millions de dollars, a eu une très forte promo dans le monde entier (Festival de Cannes, YouTube) et bénéficient d’un casting de célébrités (Megan Fox, Anna Faris, John C.Reilly entre autres). On découvre même que l’immense 5th Avenue à New-York a été réquisitionnée pour les besoins du tournage. On peut se dire que tout cela n’est pas très grave, que ce qui compte c’est le film, que malgré les millions investis dans la promo, Baron Cohen est toujours le même, avec sa dote d’humour crade et percutant et qu’il sait bien s’entourer. Et bien pas vraiment. The Dictator est au final une comédie pop, faussement trash et assez lourdingue qui peine à trouver le parfum de scandale qu’elle semble chercher pendant 1h23 (malgré cela on trouve le temps long). Cohen semble avoir perdu le contrôle de son personnage et de sa comédie, les gesticulations et outrances d’Aladeen ne parviennent pas à fournir une unité à ce qui est davantage une suite de sketchs, parfois drôles mais souvent poussifs. Alors que toute comédie est basée sur le rythme et une qualité d’écriture supérieure, l’acteur et son compère Larry Charles n’offrent aucune épaisseur aux personnages (principaux comme secondaires) et ne proposent aucun politiquement incorrect et vont même jusqu’à s’enfoncer dans le pire travers de la comédie made in Hollywood: l’histoire d’amour à l’eau de rose. Le méchant dictateur arabe est vilain, violent, il n’aime pas les américaines, est antisémite mais va quand même tomber amoureux… d’une gentille jeune bobo engagée, américaine et juive. C’est mignon tout plein, peut-être même la solution au conflit du Proche-Orient!
Mais le film ce n’est pas que cela, tout ne partait pas si mal au départ. Sacha Baron Cohen s’emparait du thème brûlant des révolutions arabes (comme BHL mais en moins drôle et sûrement plus honnête) pour se moquer de ces dictateurs cruels, parfois ridicules et souvent installés au pouvoir par les USA eux-mêmes (et jetés à la poubelle dès qu’ils n’ont plus servi comme l’a bien compris un certain Monsieur Hussein). Se moquer aussi du regard des occidentaux – en particulier les Américains – sur une partie du monde peu connue, complexe et en mouvement depuis 2-3 ans maintenant.
Seulement voilà, là non plus la farce politique ne prend pas et si on le compare à l’intelligence de Borat, le général Aladeen est une somme de clichés politiquement très corrects. Là où Borat tournait en ridicule des puissants au pouvoir encore aujourd’hui, le général Aladeen s’en prend à des pantins arabes (dont l’écrivain Marc-Édouard Nabe disait que « ce n’était pas parce que c’étaient des trous du cul qu’il fallait les enculer ») mais surtout à des morts. Saddam Hussein, Khadafi ne sont pas là pour se défendre – ils l’étaient certes au moment de l’écriture et du tournage – et ont sûrement pris l’habitude des moqueries hollywoodiennes à leur rencontre depuis 20 ans déjà (voir les Delta Force avec Chuck Norris par exemple). Bon soyons honnêtes, il égratigne un peu les USA et le monde « libre » occidental, balance quelques vérités (sur le paradoxe de la société US, démocratique et répressive à la fois) et pose assez finement la question de la liberté d’expression dans un contexte hollywoodien.
Tout n’est donc pas à jeter dans le film, évidemment et le meilleur moment reste ce savoureux discours au Nations Unies. En face des délégations, Aladeen dresse une liste assez profonde de parallèles involontaires entre les USA et la dictature. Offrir une vive critique politique par le biais de la comédie mérite le respect. Et on se dit que l’esprit du moustachu kazakh n’est pas très loin…