VOIX DE FEMME
On accueille la paix, on lui ouvre les bras –
allègres : quitter les usines d’armes,
plus de caisses d’obus ; sortir en plein jour,
le ciel est sans avions.
Et ces gars que la guerre nous a
rendus, étrangers, mutilés tous,
on les prend dans nos bras.
On fait vie avec. On refait vie avec.
Aller librement dans les ruines,
chercher librement de quoi nourrir,
habiller, bercer – se blottir, se reposer –
ouvrir grand les bras, embrasser,
recevoir les baisers, aimer,
serrer fort.
On va dans la paix
par écœurement du sang versé,
par lassitude d’avoir tant de morts à enterrer et d’être encore vivantes,
par désir de silence,
par envie de dormir –
pour se réveiller,
pour s’y mettre, à nettoyer le plancher, à lessiver le sang noirci,
pour faire tomber les ruines et en profiter, faire de nouveaux plans, une passerelle,
planter un jardin qui ne sera pas dévasté –
pour avoir le temps,
pour partir à la recherche de ceux qui restent – qui a survécu ?
pour se venger, enquêter, poursuivre,
les jeter en prison, eux –
pour prendre le temps,
pour faire des plans – loin et proches,
pour dire à l’enfant né :
toi tu auras le temps –
pour dire, pour que tous disent :
il y a défaite
générale.
On ne fête pas d’avoir gagné :
personne n’a gagné.
Perdu, nous avons tous perdu, tout le monde a perdu,
il n’y a pas de victoire.
On fête : pas de victoire ;
on ne fête pas d’avoir été vainqueurs.
On fête : tous vaincus.
On fête : enfin il n’y aura plus de vainqueurs, jamais.
On fait des enfants qui vivront.
Laurent Grisel, Un hymne à la paix (16 fois), publie.net, Collection Zone risque, 2010, pp. 8-10.
.
.
.
KYOTO
Dans les futurs des coqs chanteront
Dans les cours, dans la ville désertée,
Dans les stades où l’on ne jouera plus
Il y aura des temples au coin des rues
Loin des rivières, près des ateliers
Des chiens de pierre, bandelettes
De papier blanc autour des chevilles
Tête dressée, tournée sur la gauche
Feront leur concert d’aboiements secs dans l’ombre
Distributeurs automatiques d’offrandes
Prières suspendues, standards de souffrances et de souhaits
Accrochés pour longtemps, à l’ombre, à l’abri
.
.
.
PISCINE
C’est nouveau, je rêve.
J’étais avec quelques autres au bord d’une piscine bleue, couverte en partie.
Une troupe d’animaux en peluche, bleus aussi, s’avance vers nous.
Il y a là des lions, des ours, des gazelles, des girafes moyennes, des coqs grands, des loups de taille réelle.
Leurs oreilles sont éclairées par derrière, leurs yeux d’animaux en peluche nous regardent.
Nous avançons, ils reculent : ça va, nous sommes tranquilles.
Je vois alors un de ces renards du désert aux grandes oreilles, un fennec, qui vole au dessus de la piscine
et passe dans l’eau, en ressort du même vol, s’éloigne à gauche au fond.
Pourquoi ne pas s’y mettre ?
Je descend seul dans l’eau
vais jusqu’à l’autre bord
vois un crocodile, un vrai, qui me regarde, je commence de revenir comme si de rien n’était
à la fin du virage il me saisit à l’épaule de l’extrémité de sa gueule
sans une goutte de sang sans rien brusquer je nage nous nageons jusqu’à l’autre bord
et c’est tout.
Ce rêve devrait avoir encore un autre épisode, je trouve.
Laurent Grisel, extrait de S’en sauver (aux éditions Wigwam)
.
.
.
Le pillage et l’incendie d’un village
Hommes armés gardent l’église, regardent le pillage,
ne servent à rien. Il a protesté. On le prend à la gorge.
On le tue. Elle est allongée, en chemise, sans vie.
Il est allongé, bras levés, sans vie. On passe devant.
On pousse les villageois, mains dans le dos attachées.
Un piquier y suffit. Et on remplit les chariots.
On vide les maisons. On emmène les chevaux,
les brebis. Un bâton y suffit. Et les images gravées
vont durer – imaginations, inverses, adverses.
.
.
.