L’euthanasie est-elle vraiment la seule manière de soulager la souffrance des personnes en fin de vie? Et est-elle le synonyme de la dignité tel qu’on cherche à nous le faire croire? Dix ans après la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique, il semble nécessaire de réfléchir à cette question.
Un constat indéniable : des soins médicaux appropriés, un accompagnement psychologique et une présence aimante aux côtés du malade suppriment souvent la demande d’euthanasie. Il arrive aussi un moment au cours duquel les traitements curatifs deviennent inutiles et causes de désagréments injustifiés par rapport aux effets escomptés. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire qu’ils doivent être arrêtés pour ne pas tomber dans l’ « acharnement » ; en revanche, il faut maintenir et intensifier les soins d’accompagnement et de confort, les soins palliatifs. Ceux-ci favorisent une authentique mort dans la dignité, tout en évitant d’abréger délibérément la vie. De très nombreux professionnels de la santé et bénévoles accompagnent la vie finissante avec une persévérance qui force l’admiration. Jour après jour, rejetant toute forme d’acharnement thérapeutique, ils mobilisent les ressources de plus en plus efficaces de la médecine actuelle pour soulager et rendre supportable la douleur physique. Par leur écoute, leur professionnalisme et leur générosité de cœur, ils apaisent le malade et le soutiennent jusqu’à son dernier souffle de vie. La présence de la famille et des proches est elle aussi essentielle. En des moments particulièrement intenses, nombreux sont ceux qui ont découvert qu’au lieu de donner la mort, il est plus beau et gratifiant de donner de la qualité de vie jusqu’au bout.
Sans aucun doute, toute demande d’euthanasie est le syndrome d’une vie de douleurs et peut être reçue avec respect et compassion. Mais la société doit-elle nécessairement accéder à cette demande ? Une telle demande est souvent un appel à l’aide. A cet appel, et il faut le redire avec force, la seule réponse appropriée est de soutenir le désir de vivre qui se manifeste dans toute expression d’une demande de mort.
L’euthanasie est souvent revendiquée comme « l’ultime liberté » : celle de pouvoir choisir l’heure et la manière de sa mort, sans prendre en aucun compte que personne ne s’est donnée la vie, mais nous l’avons tous reçu de nos parents et de Dieu.
Elle fait peser sur le médecin la charge de donner la mort ce qui soulève un débat – celui là jamais évoqué : le choix de l’individu de mourir doit-il contraindre la liberté d’un personnel qualifié pour sauver la vie? L’euthanasie est donc loin d’être une affaire purement individuelle. C’est ce qui distingue l’euthanasie de la « liberté » du suicide qui, tout en interpellant la société, ne reçoit pas son aval et n’engage pas le corps médical.
L’autorisation légale de l’euthanasie a quant à elle un impact sur le tissu social et sur notre conception sociétale de la vie humaine et de la médecine. L’euthanasie favorise l’athéisme, en niant le pouvoir souverain de Dieu, seul maître de la vie; elle dégrade la confiance au sein des familles et entre les générations; elle instille de la méfiance à l’égard des médecins; elle fragilise les personnes les plus vulnérables qui, sous l’effet de diverses pressions, conscientes ou inconscientes, peuvent se croire moralement obligées d’exprimer une demande d’euthanasie (peur d’être un « poids » pour les proches, isolement social et familial, culpabilité…).
En dépénalisant l’euthanasie, la Belgique a ouvert une boîte de Pandore. Les dérives envisagées il y a dix ans sont aujourd’hui devenues une réalité. Comme pour l’avortement, on constate que les conditions, qui se voulaient strictes au départ, font l’objet d’appréciations très élargies. Sont ainsi avalisés des cas de suicide assisté de même que des euthanasies justifiées par une souffrance psychique qui ne résulte pas d’une pathologie grave et incurable, alors que ces situations sont exclues du champ d’application de la loi. Estimant en outre que le caractère insupportable de la souffrance est d’ordre subjectif, la commission hésite à vérifier que cette condition légale essentielle est bien remplie. Ne peut-on s’étonner que la commission n’ait jamais transmis de dossier au parquet en dix ans ? Peut-on affirmer, sans parti pris idéologique, que la loi est respectée et que la pratique de l’euthanasie est sous contrôle ? A fortiori, les nombreuses propositions d’assouplissement ou d’élargissement de la loi actuelle, en particulier aux mineurs d’âge et aux déments, ont de quoi inquiéter plus que vivement. Comme il était prévisible, une fois l’interdit levé, nous marchons à grands pas vers une banalisation du geste euthanasique.
Nous devons bien constater également que plus une société refuse de voir la mort et d’en entendre parler, plus elle se trouve encline à la provoquer. Dix ans après la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique, l’expérience atteste qu’une société faisant droit à l’euthanasie brise les liens de solidarité, de confiance et d’authentique compassion qui fondent une société.