En ce début d’année, vous avez peut-être été troublés de trouver, au détour d’une ruelle parisienne, un objet ensanglanté : téléviseur, fauteuil, bouillotte… Si c’est le cas, félicitations ! Vous faites partie des rares privilégiés à avoir eu la chance d’observer les œuvres de Lor-K « dans leur milieu naturel ».
Grâce à son projet OBJECTICIDE, l’artiste s’est particulièrement faite remarquée. Piqués pas la curiosité, nous avons voulu en savoir un peu plus. Et plutôt que de vous fournir une interprétation somme toute personnelle de la chose, nous sommes aller directement chercher l’information à la source : en zone 3 du RER B, dans la cave de Lor-K.
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Rencontre avec Lor-K – interview #5 pour Splash My Sound
Adrien : SALUT LOR-K !
Lor-K : Salut Adrien !
ALORS, POUR COMMENCER, EST-CE QUE TU POURRAIS UN PEU NOUS DÉCRIRE D’OÙ TU VIENS, QUEL A ÉTÉ TON PARCOURS ET COMMENT TU ES ARRIVÉE A L’ART URBAIN ?
Je suis née dans le sud ouest à Pau. Mais je n’y ai jamais réellement habité, mes parents sont directement montés en région parisienne pour trouver du travail. Je suis la fusion d’un père électromécanicien et d’une mère passionnée de couture. Je pense que mon intérêt pour la pratique plastique vient d’eux ! Enfant j’adorais bricoler ! Et en grandissant j’ai été attirée par la récupération. J’allais faire les encombrants avec mes parents et on “chinait” des objets…
J’ai rencontré le street-art sur le chemin de l’école, je croisais des tags, du genre « 6TRON », « 1NSTIN », « SEE1 » etc. Ce seront mes premières influences qui me feront m’intéresser à l’art de rue.
Dans mon garage enfant, il y avait toujours des bombes de peintures – noir, blanc, doré – mon père s’en servait pour le travail. Du coup j’essayais d’écrire mon blaz sur des planches, pour imiter ces vues urbaines. Je pense, avec le recul, que c’est à ce moment que je me suis tournée vers cet art.
Je pratiquais toute sorte d’activités manuelles et je m’essayais a tout. J’avais donc dès jeune la volonté de suivre un cursus d’études artistiques. Mais faute de résultats suffisants, le parcours commercial s’est imposé à moi ! J’ai été du CAP au BAC avec pour objectif LE changement de filière. Durant ces années, je me sentais rejetée des institutions artistiques, j’évitais tout ce qui ressemblait à des expos, musées, etc. Ne perdant pas mon objectif de vue, le bac me permit d’intégrer la fac de la Sorbonne en licence d’arts plastiques. C’est là que tout à changé, je me suis mise à fond sur ma pratique, j’ai pu me recentrer sur l’essentiel et avancer concrètement dans mes recherches !
Même si mes études commerciales m’ont paru longues, je ne les regrette pas aujourd’hui car elles sont un atout dans ma pratique.
POUR PROMOUVOIR TON TRAVAIL ?
Oui pour promouvoir ce que je fais mais pas seulement. Ces études m’ont permis d’apprendre, de comprendre et de développer un avis sur notre société de consommation.
Mon travail est imprégné de notion marketing, c’est un mélange des genres qui en fait sa force !
C’EST DONC DURANT TES ÉTUDES DE COMMERCE QUE TU ES OFFICIELLEMENT DEVENUE LOR-K.
Oui. C’est lors de ma dernière année d’études commerciales (1er année de BTS, que j’avais du faire en dépit d’avoir été acceptée en école d’art) que j’ai commencé à préparer mon site internet, mon blog, ma page Facebook, pour que tout soit près. On me disait « l’art c’est bouché, tu n’arriveras à rien, vu ton parcours tu n’auras jamais ta place dans une école ! » et pourtant à force de ténacité on atteint ses objectifs. Il faut foncer et faire ce qui nous plait sans ce soucier des avis ou des débouchés. Déjà faire et après on verra !
Objecticide
UNE FOIS QUE TU ES DEVENUE LOR-K, QUELS ONT ÉTÉ TES PREMIERS PROJETS ?
Au début, j’ai testé le mur car c’était mes premières influences, mais je n’arrivais pas à trouver mon identité.
Le premier projet qui m’a permit de trouver ma voie c’était TRACE. J’avais pris le plan de Paris, et tracé mon logo dessus, pointillé le tracé en 30 points, récupéré 30 bouteilles de bière que j’ai numéroté et signé puis je suis allé les fixer à chaque intersection pointée.
C’est à ce moment-là que je me suis réellement rendu compte que la 3D n’était que trop peu exploitée dans le street-art. J’ai donc décidé de créer des interventions urbaines en trois dimensions, avec des objets éphémères. Des artistes, comme Slinkachu, m’ont marqué dans mes recherches !
Je sais pas si tu connais ?
SI SI, CARRÉMENT !
Ouais, Slinkachu, Mark Jenkins, Peter Gibson, Scott Jarrett, Brad Downey … ce sont des artistes dont je me sens proche. J’aime le principe de photographier l’œuvre dans son contexte. Cet acte permet de recontextualiser l’œuvre et dans mon taff c’est essentiel pour moi. Toutes les œuvres que je crée dehors sont abandonnées et non-déplaçables, il ne m’en reste donc que la photographie. Je ne fais pas de reproduction d’œuvre, même pour des lieux d’expositions.
EN GROS TU NE FAIS PAS SUR DEMANDE, TU TIENS A CE QUE CELA RESTE SPONTANÉ ?
Oui, je pense que c’est important de garder une certaine sincérité dans son travail, que les choses ne soient pas faite POUR autre chose!
La demande n’est pas pour moi une raison de créer. La création vient d’une décision personnelle.
TU AS CITE SLINKACHU DANS TES INSPIRATIONS. EST-CE QUE TU T’INSPIRES VRAIMENT DU TRAVAIL D’AUTRES ARTISTES, OU ES TU SIMPLEMENT UNE FAN ?
En fait ce n’est pas vraiment de l’inspiration. Ce sont plus des artistes dont je me sens proche, avec qui je serais curieuse de discuter.
JUSTEMENT DANS TON TRAVAIL, CET ASPECT 3D COMME TU DIS, LE RESSENTI QUE J’EN AI C’EST VRAIMENT QUE TU RÉALISE LA JONCTION ENTRE LE STREET-ART ET L’ART CONTEMPORAIN.
Haaaaa, OUAIS ! C’est exactement ça ! (sourire béat)
EST-CE QUE TU PENSES DONC QUE C’EST LE GENRE D’INITIATIVES QUI VONT PERMETTRE DE DÉVELOPPER LE STREET-ART OU MÊME QUI LUI SONT NÉCESSAIRES ?
Oui, c’est vrai qu’après ses 30 années d’existence le street-art n’a jamais réellement muté. C’est, pour moi, une manière de développer cet art à travers ma pratique. Je crée des pièces qui pourraient faire office de sculpture en lieu d’expo mais je décide de les abandonner en extérieur. C’est une sorte de contresens, le courant veut que ce soient les artistes qui vont “du mur à la toile” ou “de la rue au musée”. Là c’est en quelque sorte l’inverse…
LE MILIEU DU STREET-ART EST MAJORITAIREMENT MASCULIN. EST-CE QUE CA T’A POSÉ DES DIFFICULTÉS, OU AU CONTRAIRE CA T’A OUVERT PLUS DE PORTES ? ET VIS-A-VIS DES GENS DANS LA RUE QUI TE VOIENT EN TRAIN D’EXERCER, EST-CE QUE CA CHANGE QUELQUE-CHOSE ?
Personnellement je ne me suis jamais posé la question. J’ai le contact facile avec les gens, donc quand je travaille dehors, c’est un aspect que je n’anticipe pas vraiment.
Oui, être une fille, doit, dans certains cas, faciliter un peu les choses. Les gens n’osent pas venir m’embrouiller. Ils se disent :” boh c’est rien, juste une ouf qui peint un caddie en rose ou qui fracasse la gueule à un objet », alors qu’un mec aurait tendance à être vu comme un vandale.
Les gens m’abordent généralement en douceur et ne sont pas dans des rapports conflictuelles.
ALORS MAINTENANT J’AIMERAIS QUE TU NOUS PARLE UN PEU DE TON PROJET OBJECTICIDE : COMMENT T’ES VENUE L’IDÉE ? COMMENT TU TROUVES ET CHOISIS TES OBJETS… ET SURTOUT SA SIGNIFICATION. PARCE QUE QUAND ON VOIT TON TRAVAIL, DE BUT EN BLANC ON IMAGINE QUE SA VIOLENCE DÉNOTE UN CÔTÉ DÉNONCIATEUR.
Consomas
J’me suis rendu compte que dans mes précédents projets je n’utilisais que des objets identiques avec un acte prémédité (par exemple le projet CONSOMAS = caddie/frigo, remplis de déchets peint d’une couleur)
J’ai donc voulu partir sur un projet plus spontané. Contrairement au reste qui était vraiment cadré de A à Z, OBJECTICIDE est une pulsion. L’idée c’est littéralement la mort, peut importe l’objet choisi. Tous ces liens que l’on crée avec les objets qui nous entourent, sont rompus avec OBJECTICIDE. Et pour moi c’était aussi un moyen d’exploser, sans prévoir l’acte au préalable. Je me retrouve confrontée à un objet que je dois tuer immédiatement et rapidement, mon temps de réflexion est limité, les idées arrivent vite et l’acte est instantané.
J’ai mon sac sur moi (scie, pied de biche, tournevis, bombe et peinture liquide de couleur rouge) et je pars à la recherches d’objets. Les interventions n’excèdent pas 30 minutes. Ce que j’aime aussi dans ce projet c’est le fait que chaque objet peut avoir son message en soit, même avec le sens commun qui les relit tous. Comme par exemple la télé qui saigne ou la bouillotte morte.
DONC LA TÉLÉ QUI SAIGNE PAR EXEMPLE, COMMENT PEUT ELLE ÊTRE INTERPRÉTÉE ?
Pour moi la télé qui saigne est la mort de cet outil de communication. Elle pourrait s’appeler :”Plus on à de chaînes, plus on zappe”.
Personnellement je regarde très peu la télé.
JE VOIS QUE TU AS PLEIN D’IDÉES EN TÊTE. EST-CE QUE TU AS DÉJÀ D’AUTRES PROJETS PRÉCIS A VENIR ?
Oui, mon prochain projet se nomme Carré Fétiche. Il sera mis en place dans les rues de Paris cet été !
Et, à mon propre étonnement, l’œuvre sera composé d’une partie murale.
Mais je n’en dis pas plus, faudra passer sur le site !
ET DIS MOI… QU’EST-CE QUE TU ÉCOUTES COMME MUSIQUE ?
HA ! Ça c’est LA question que je résout vite fait, parce que je n’écoute pas de musique !
Enfin j’écoute la musique des gens quand je suis avec eux, mais j’écoute leur musique uniquement et c’est vrai que moi je n’ai pas d’identité musicale.
Je m’y suis résolue jeune, à l’époque où toutes mes copines découpaient des photos de chanteurs dans les magasines pour les coller dans leurs chambres, je trouvais ça bizarre et j’sais pas, j’ai du lié ça a la musique.
Tu vois par exemple là dans ma cave je n’ai pas de musique, je suis dans le silence complet ! La musique étant un art qui me fait réfléchir, elle me déconcentre trop lorsque je suis occupée.
MAIS COMME TU N’ÉCOUTES PAS DE MUSIQUE, QUE PENSES TU DE SPLASH MY SOUND ?!
Bah justement, j’ai été faire un tour vite fait, car je ne connaissais pas avant. J’ai vu que c’était plus musique, du coup j’ai pas trop poussé ! J’ai plus regardé les différentes rubriques qui composent le site.
Mais j’irai quand même y jeter une oreille !
BON, LE MOT DE LA FIN : COMMENT TU TE VOIS D’ICI 1 AN ? 2 ANS ? 5 ANS ? 10 ANS ?
Ce que j’aimerais ce serait d’avoir un vrai atelier, à moi, où je puisse pratiquer, avoir un petit boulot tranquille et faire mon art peinard. Continuer à faire ça mais paisiblement, j’ai pas envie d’être opprimée ou d’avoir la pression des ventes ou des galeries. J’aime exposer, mais je ne veux pas dépendre des expositions.
TU VEUX GARDER TON ART EN TANT QUE TEL MAIS PAS FORCÉMENT EN FAIRE TA VIE EN FAIT ?
Si, bien sûr, j’aimerais en vivre mais il faut réfléchir. Et comme je disais, je préfère gagner ma vie avec un petit boulot à côté plutôt que d’attendre après des ventes d’œuvres. J’ai envie de me dire “je travaille pour pouvoir créer” sans être obligée de me dire “je suis obligée de vendre pour pouvoir créer”. Donc, pour moi, travailler à côté me permet de garder cette liberté.
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Propos recueillis par Adrien
Crédit photographique : Lor-K (œuvres) et Adrien (cave).
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