La demande lui fut faite par Jean Leduc, membre de son atelier, qui rêvait d'incarner un rôle rendu mythique dans les années 80 (au théâtre et à la télévision) par la tonitruante Marthe Mercadier. Pierre Palmade, élevé comme beaucoup d'entre nous (trentenaires et jeunes quadras) aux boulevards portés par les Maillan, Pâcome, Roux et autres Le Poulain ne se fit pas longtemps prier et s'attela à l'adaptation et au dépoussiérage de cet immense classique du genre qu'est "13 à Table". Pour le plus grand plaisir d'un public qui se rend en masse au Saint-Georges applaudir ce qui s'apparente à une savoureuse madeleine de Proust.
Commençons par écrire que la pièce de Marc Gilbert Sauvajon conserve, malgré le temps qui a passé depuis sa création (1953), une efficacité redoutable. Le travail de Palmade est d'ailleurs très intelligent . L'humoriste n'a en effet pas cherché à sauver l'oeuvre ou à moderniser à outrance une intrigue de toute façon un brin désuète. Il s'est contenté de lui apporter du rythme, en coupant ses longueurs, et de lui insuffler quelques petites touches de fraîcheur et de XXIème siècle. Il évita cependant de céder aux sirènes de l'assez pénible mode du name dropping, bien souvent cache misère, et conserva les traits de personnages, certes d'une époque révolue, mais remarquablement dessinés. A l'exception du rôle principal, de genre féminin, qu'il fut obligé de "masculiniser" pour Jean Leduc. Ce qui nous donne un couple homo en tête de distribution et ne nuit nullement à l'intrigue. Au contraire.
L'intrigue, justement. Vous la connaissez probablement. Le soir de Noël, à deux heures de son dîner de réveillon, le maître de maison, d'une superstition maladive, s'aperçoit avec effroi qu'ils seront 13 à table. S'ensuit alors une course vaine et effrénée pour tenter d'être 14 ou 12 autour de la table, et ce à n'importe quel prix. Quitte à reconduire à la porte des convives déjà arrivés, ou à inviter le plombier s'il est disponible... Au grand dam de son compagnon.
Comme toujours au boulevard, le succès repose sur le charisme du comédien incarnant le premier rôle. Ici Jean Leduc révèle une personnalité à l'abattage extraordinaire. En diva quelque peu hystérique, il déclenche les rires avec une régularité qui force le respect. Et ce en dépit d'une diction qu'il serait bon de soigner et d'une technique de jeu qu'il faudra préciser. Sa faible expérience des planches expliquant cela. A ses côtés, pour jouer les invités, des partenaires tous issus de l'Atelier Palmade. De manière générale, nous pourrons délivrer les mêmes reproches, mais leur nature comique et le plaisir communicatif qu'ils prennent sur le plateau gomment bien souvent ces défauts. Ainsi nous sommes nous régalés de l'entrain et, pour le coup, de la précision de Christophe Canard et Camille Cottin, irrésistibles lorsqu'ils sont éméchés, réjouis de la composition de Teresa Ovidio en improbable guerillera sud américaine (nous rappelant avec délice les généraux d'opérette de Feydeau), amusés encore de la pointe de malice donnée par Loïc Blanco au personnage du domestique. De son côté, Yann Papin, en conjoint de Jean Leduc, possède la lourde tâche de jouer les contrepoints. Plus calme et plus en nuances, il s'y emploie avec une sincérité plutôt convaincante, même s'il est, du coup, un peu trop effacé pour le moment.
La mise en scène de Pierre Palmade obéit en tous points aux règles du genre. Enlevée, carrée, elle ne laisse rien au hasard. Son amusant clin d'oeil lors du salut ("La pièce que nous avons jouée pour vous ce soir...") à l'émission de Pierre Sabbagh, Au Théâtre Ce Soir, conclut un moment de rire réussi, presque hors du temps, parfait pour une soirée d'été.
Plaisant divertissement.
Tout l'été au Saint-Georges.
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