Jean-Pierre et Benoît( qui se fait appeler Not) sont deux frères pour le moins dissemblables. Alors que le premier est vendeur de matelas dans un grand magasin, marié et père de famille, le second est un marginal qui se définit comme le plus vieux punk à chien d'Europe. Tous les deux déjeunent tous les dimanches chez leurs parents, des originaux qui tiennent un restaurant spécialisé dans la pomme de terre. Pourtant, leurs vies sans problèmes basculent le jour où Jean-Pierre, qui ne supporte plus la pression de son travail et dont la vie de couple se délite, pète les plombs de façon magistrale. Seul Not est là pour le soutenir et lui faire découvrir la seule chose importante dans la vie : la liberté.
Les films de Kervern et Delépine, c'est toujours un concentré de "Groland" auquel on aurait ajouté une forte dose de poésie. C'est à chaque fois le même plaisir immense de retrouver cet univers unique dans le septième art. Il y a chez les deux réalisateurs une profonde humanité qui se traduit par le fait que leurs personnages sont toujours des humbles, des petites gens broyés par un système qui les dépasse. Mais leurs héros finissent toujours par s'en sortir, à trouver des arrangements avec la sordide réalité. Ici, Not et Jean-Pierre n'arriveront pas à renverser le monde comme c'était leur projet (on peut le dire, ce n'est pas un secret), mais peu importe, ils redécouvrent qu'ils sont frères et que la vie leur offre bien d'autres possibilités que celle d'être des consommateurs.
Comme toujours, on a une critique radicale et désabusée de notre société contemporaine. Une fois de plus le constat qu'ils font sur notre monde est noir. Sauf qu'ils arrivent à rendre cette noirceur jouissive grâce à cet humour d'un cynisme incroyable (à voir absolument la scène avec l'homme qui veut se suicider).
On ne saurait imaginer un film de Kervern et Delépine sans leurs acteurs fétiches : on retrouve dans des tous petits rôles Yolande Moreau, Miss Ming, Bouli Lanners ou Gérard Dépardieu (extraordinaire en voyant péruvien) et évidemment Benoït Poelvoorde extraordinaire de finesse et de drôlerie dans le rôle de ce punk attardé, de ce révolté permanent qui a choisi la liberté plutôt que de devenir esclave de la société de consommation.
Et puis, il y a les trouvailles. Albert Dupontel dont la place dans l'univers de Delépine et Kervern est tellement évidente qu'on se demande comment il a fait pour ne pas apparaître dans les précédents. Il y a une scène où il se bat avec un arbre, qui est moment d'anthologie. Mais surtout, il y a la trouvaille des trouvailles : faire jouer le rôle des parents par Brigitte Fontaine et Areski Belkacem. Honnêtement, ces deux-là, on ne pourrait pas leur confier des enfants, même adultes, sauf s'il s'agit justement de Dupontel et Poelvoorde. Et croyez-moi, voir Brigitte Fontaine éplucher des patates avec des ongles manucurés et vernis, cela vaut son pesant de cacahuètes.
Allez voir "Le grand soir", le monde vous paraîtra peut-être encore plus sombre, mais une chose est certaine : il y a des gens formidables dans ce monde.