Asturies : les mineurs montent au front

Publié le 20 juin 2012 par Lecridupeuple @cridupeuple

Dans l’agenda médiatique, il y a le tweet de Valérie Trierwieller et la défaite raide de la Royal en rade de La Rochelle. Dans l’agenda des gens, il y a plein de choses : le désastre écologique en cours dans le delta du Niger, le mouvement de nos cousins Québécois, la Grèce… Et, pour moi, la grève des mineurs des Asturies dans le nord de l’Espagne. Ce mercredi 20 juin, elle en est à son 22e jour. Puisqu’on en parle bien peu dans les journaux et sur les télés de l’Hexagone, je m’en vais modestement tenter de vous dire ce qui se déroule au-delà des Pyrénées.

En fonction des directives de l’Union européenne sur la libéralisation de tous les marchés, les états européens doivent cesser leurs aides à différents secteurs industriels, pour maintenir la « concurrence libre et non faussée ». Genre. En conséquence directe, les gouvernements espagnols Zappatero puis Rajoy aujourd’hui continuent de couper les vivres à l’industrie minière du charbon, très importante dans les Asturies, la région nord-est de l’Espagne. L’état espagnol diminue de 60 % le montant de ses aides à l’industrie du charbon. Après des coupes de 300 millions d’euros l’an passé, ce sont 111 millions qui sont encore retranchés aux aides publiques en 2012. La fermeture des mines de charbon, programmée pour 2018, pourrait donc intervenir plus tôt, condamnant les 8 000 mineurs encore en activité et les quelque 30 000 salariés dont l’activité dépend des charbonnages.

La brutalité de la mesure a entraîné une vive réaction des mineurs asturiens qui, bien que rejoints dans la lutte par leurs camarades de Castille et Léon mais aussi d’Aragon, autant de hauts lieux des luttes ouvrières hispaniques. L’affrontement de classe est violent, les mineurs rendant coup pour coup à la répression. Vendredi 15 juin, des affrontements ont fait 7 blessés. Rajoy semble vouloir, à la manière de Thatcher avec ses propres mineurs en 1984, casser les reins du mouvement ouvrier pour affirmer son pouvoir dans un pays en proie à de vives tensions économiques et sociales.

C’est donc toute la population asturienne qui s’implique dans la lutte. Mardi 19 juin, les femmes de mineurs se sont rendues au sénat espagnol pour faire entendre leurs voix. Elles ont été reçues… avec des coups. Le pouvoir a tenté de leur interdire la parole. Elles ont été évacuées par la force de la chambre haute du parlement de Madrid. Pourtant, comme elles le scandaient : « Nous sommes des mineurs, pas des terroristes ». Le bras de fer semble parti pour durer. Et c’est bien l’avenir de toute une région qui est en jeu.

J’en parle presque d’expérience. De l’âge de 9 ans à l’âge de 22 ans, j’ai vécu dans le nord du Tarn, à proximité immédiate du bassin minier de Carmaux, rendu célèbre par Jean Jaurès qui en était le député. En 1991, sous l’autorité de Dominique Strauss-Kahn, secrétaire d’Etat à l’Industrie de mémoire et donc tutelle des Charbonnages de France, le gouvernement social-démocrate a décidé la fermeture de la mine découverte de Carmaux, scellant la mort économique du Tarn-nord. J’ai très précisément en mémoire les images que j’ai glanées, tout jeune journaliste à l’hebdomadaire de la fédération départementale du PCF que j’étais. Je me souviens, devant le Pont neuf à Albi, cette rangée de CRS aux regards inquiets confrontés aux mineurs torses nus, barre à mine à la main, casque sur la tête, prêts à en découdre. Je me souviens le déploiement de forces policières dans toute la ville, ma ville, et moi circulant à mobylette pour éviter les barrages de flics.

On a perdu. Et, malgré un parc d’attraction sur l’ancienne mine découverte, malgré le développement du tourisme, malgré les aides à la reconversion, malgré… malgré… le nord de mon département à moi, celui auquel je reste attaché, ne s’en est jamais vraiment remis. C’est que la mine structurait la vie autant que l’activité. A l’école Jean-Jaurès, dans le quartier de la Madeleine à Albi, soit à 30 kilomètres de Carmaux, on parlait de la mine. A 9 ans ! Mon copain de classe Maxime était le fils du maire de Cagnac-les-Mines… Vous voyez ?

Donc, je peux fort bien comprendre ce que vivent les Asturiens. Je vous renvoie d’ailleurs à la lecture de la lettre d’un mineur de cette région, publiée sur le site Mille babords. Cela dit, nos camarades ont aussi de l’expérience dans la lutte. Y compris la plus dure. En 1934, deux ans avant l’élection du Frente Popular, une grève insurrectionnelle a marqué les Asturies. C’est à cette époque qu’apparaît le sigle UHP pour Unios Hermanos Proletarios (« Unissez-vous frères prolétaires »). Ce sigle, qui revient en vogue dans son berceau, constituait un appel à l’unité, qui sera suivi d’actes. Le mouvement ouvrier espagnol des années 30, profondément divisé entre UGT (centrale qui réunissait communistes et socialistes) et CNT (anarcho-syndicalistes), pour les syndicats ; PSOE (social-démocrate), PCE (communistes) et FAI (fédération anarchiste espagnole), se retrouvera au coude à coude, derrière les barricades, pour se défendre face aux agressions de la droite réactionnaire appuyée par l’armée et la police.

Toute ressemblance avec ce qui est en cours en ce moment même dans ce nord de l’Espagne qui m’a vu cheminer l’été 2011 n’est pas fortuite. L’UGT et les CCOO (Commissions ouvrières, proches de Izquierda unida) se retrouvent unies. Les mineurs observent à 100 % le mot d’ordre de grève unitaire. C’est un mouvement exemplaire à la fois dans ses raisons : le refus de l’austérité imposée par Bruxelles, et dans sa forme.

Bonus info : Pour suivre le mouvement des mineurs espagnols, le fil de Monabone75 sur twitter

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Bonus vidéo : Test Dept and The South Wales Striking Minors Choir “Comrades In Arms”