Cinéaste animalier, il a filmé aux quatre coins du monde... et dans les Pyrénées
Quand on le voit, comme ça, en ville, entre les deux rendez-vous d'un homme pressé qui produit ses propres films, on a un peu de mal à imaginer l'autre Michel Tonelli, celui qui peut passer des jours, des semaines parfois, loin de tout, enfermé dans un affût qui lui laisse à peine la place de s'étendre, pour capter les images rares d'une nature sauvage.
Ce Pyrénéen de naissance a depuis toujours pratiqué ce qu'il appelle « le cinéma de terrain ». Même pendant les dix premières années de sa vie professionnelle où il exerçait comme architecte. La passion du cinéma a fini par prendre toute la place. En 1985, il créé “Blizzard Productions“, un nom qui signe son désir d’aventure et de grands espaces. Il est cinéaste animalier pour Christian Zuber et “Caméra au poing“, Félix Rodriguez de la Fuente et la TVE espagnole puis filme pendant huit années des expéditions sportives et scientifiques dans le monde entier pour les “Carnets de l’Aventure“ et “Ushuaïa“. Il réalise des documentaires ethnologiques sur les indiens d’Amazonie, les Berbères du Haut-Atlas ou les Bushmen du Kalahari, travaille comme cinéaste de guerre « avec des organisations humanitaires, sur des conflits que personne ne couvrait : Érythrée, Mozambique, Angola, Rwanda en Afrique, mais aussi la Roumanie où, loin de la frénésie médiatique de la chute de Ceausescu et de la manipulation de Timisoara, je filme l’horreur des orphelinats roumains », explique-t-il. Le baroudeur, à ce moment-là, travaille avec le bruit des armes.
Mais depuis quinze ans, il est revenu à ses premières amours et au silence du cinéma animalier. Si son travail l'amène à voyager dans le monde entier, il revient régulièrement filmer « ses » Pyrénées, où il a fini par s'installer une maison avec les bureaux de sa société, en pleine nature « dans cette nature aux lumières chaudes et saturées des terres du Sud », lointaine réminiscences peut-être, des luminosités de sa Toscane d’origine.
Il travaille alors avec France 3 Sud, la station régionale, et apporte sa contribution à la réalisation de nombreux documentaires sur le patrimoine naturel et bâti du Sud pour l’émission “Méridionale“, puis toujours pour France 3 Sud et France 5, il collabore à l’émission “Les dessous de la terre“ et réalise plusieurs documentaires sur les sciences de la terre, glaciers, monde souterrain, paléontologie, préhistoire…
En 1996, les premières réintroductions d'ours slovènes dans le massif sont l'occasion d'un documentaire très remarqué, “ L'ours: histoire d'un retour “, qui scelle une passion pour le plantigrade née vingt ans plus tôt. Cinq années de tournage pour raconter les premiers conflits nés de ce premier plan de renforcement de la population d’ours dans les Pyrénées
“ Vivre avec les ours “, le second volet de l'histoire, semblait donc une évidence. Ces cinquante-deux minutes de film ont nécessité pas moins de seize mois de tournage (2006-2007) entre Pyrénées, Slovénie, Espagne (monts Cantabriques), Autriche et Trentin, les territoires où vivent les derniers ours bruns d'Europe. Le résultat de ces rencontres est une mise en perspective de la question de l'ours dans les Pyrénées, au regard des expériences de nos voisins européens.
Bien plus qu'un inventaire de témoignages, ce voyage à travers l'Europe des ours est aussi un moyen de mieux comprendre la biologie de l'animal et donc son comportement. Des images magnifiques et rares comme celles fournies par une caméra infrarouge filmant la naissance de trois oursons dans la tanière d'une ourse, mais aussi le quotidien d'ours en liberté.
Dernier volet de cette trilogie, “ Des Bêtes et des Hommes “, qui met en perspective les rapports complexes de cohabitation des hommes avec le retour des grands prédateurs que sont le loup, l’ours et le lynx. Deux années de tournage entre les Alpes, les Pyrénées et le Jura.
« Pour la réalisation de ces documentaires, j’ai croisé plusieurs fois la piste des ours. J’ai pénétré leur territoire, ressenti leur formidable adaptation aux terrains que les hommes leur avaient laissés en partage. J’ai dressé le constat des difficultés nées de la cohabitation homme-ours, j’ai montré les degrés d'acceptation ou de rejet, j’ai établi un lien direct entre l’acceptation du partage de ce territoire, et leur conservation. Mais à chaque fois, le travail de réalisation avec les témoignages des différentes parties qui s’opposent sur le terrain portait sur la problématique de cohabitation avec cet animal.
Bien entendu, pour la réalisation de ces trois documentaires, j’ai travaillé avec l’appui technique et scientifique de l’Équipe ours. Dans chaque film, elle apparaissait comme l’une des composantes de ce retour. Les scènes tournées avec elle constituaient un élément de narration sur la problématique exposée où les interventions étaient montrées comme explications à des situations factuelles dans le déroulement de ces différents plans de restauration. Alors, m’est apparue de manière évidente, la réalisation d’un dernier film documentaire sur le travail de terrain de l’Équipe Ours qui a en charge le suivi de la population des ours dans les Pyrénées. »
“Pisteurs d’Ours“, depuis les premiers lâchers en 1996-97 jusqu'à aujourd'hui, ce film est le seul témoignage de ce renforcement de la population d’ours, tant dans son aspect purement animalier - écologique et biologique - que sociologique. À partir du portrait intimiste des membres de cette Équipe Ours ce documentaire nous donnent à voir et à entendre leurs analyses, leurs ressentis, leurs émotions et leurs évolutions aussi par rapport au retour de cet animal emblématique dans les Pyrénées.
Ce sont des films qui demandent des mois - des années - de tournage, car Michel Tonelli aime tourner sur toutes les saisons, dans toutes les lumières. Et s'il rapporte régulièrement des images rares, exceptionnelles, ça n'a rien à voir avec la chance. Il s'est imposé depuis ses débuts une grande connaissance de la biologie des animaux qu'il filme, du terrain, en même temps qu'il s'est créé un réseau d'informateurs: gardes chasse, gardes forestiers, gardes moniteurs de parcs nationaux, biologistes, qui l'appellent, « alors, je réunis rapidement l’équipe où je pars seul avec ma caméra ».
Du respect, de la patience et de l’humilité...
Voilà peut-être le secret des réussites des films de Michel Tonelli. Même s'il avoue qu'il lui est arrivé de craquer: « J'ai filmé dans des affûts impossibles à détecter, couverts de terre, qui deviennent de vrais réfrigérateurs, même en plein été. Une fois, alors que je filmais depuis plusieurs jours des animaux qui évoluaient au soleil, à 35 degrés, moi je me gelais, il faisait cinq dans l'affût. C'était très dur! J'ai fini par sortir. Une autre fois, au Botwana dans le delta de l’Okavango, je filmais les chasses des lions qui venaient prédater des antilopes près d’un point d’eau. J’étais immergé jusqu’à la taille dans un affût placé dans le marigot et alors que j’étais entouré par toutes sortes de prédateurs : lions, hyènes, chacals, de centaines de buffles, d’impalas, de zèbres, ma plus grosse difficulté a été de lutter des heures durant avec les moustiques et les sangsues !!».
« Quand je me retrouve en voiture, coincé dans un bouchon, je me demande ce que je fais là, et puis une fois que j'y suis, je fais comme tout le monde, plus vite peut-être encore. Je vis à 200 à l'heure. Je crois que je fais du cinéma animalier comme une thérapie, un balancier qui me calme. Quand je suis resté plus de six mois sans partir, j'écris les projets, je cherche l'argent, je monte la production - je me sens en manque. Alors je prends ma caméra et je vais faire des images au calme ».