Moubarak : la longue agonie de l’Égypte militarisée

Publié le 20 juin 2012 par Sylvainrakotoarison

Moubarak est-il toujours vivant ? Un symbole qui est en train de partir pendant une semaine décisive pour sa succession. L’Égypte parviendra-t-elle à éviter le pire ?

En cette nuit du solstice (à cause du 29 février, l’été est le mercredi 20 juin), cela grouille de partout. On dirait une fourmilière en pleine activité malgré la nuit, avec des petits vers qui gigotent dans tous les sens.

Ce ne sont pas des fourmis mais des manifestants, des révolutionnaires qui se rassemblent une fois encore, depuis fin janvier 2011, place Tahrir, au Caire. Ce ne sont pas des petits vers mais des drapeaux qui s’agitent inlassablement au bout de la nuit.

Ils ne viennent pas manifester contre le verdict clément de l’ancien autocrate, ni non plus pour se recueillir sur sa future dépouille, ils viennent pour que l’armée ne vole pas leur victoire.

Future dépouille ? Étrange dépêche une demi-heure avant minuit qui explique que Hosni Moubarak est "cliniquement mort" après un accident vasculaire cérébral. Les journalistes reprennent l’expression sans être capables d’en dire plus. Mort ou pas mort ? Une heure après, le verdict tombe : pas encore mort. Dans le coma. Entre la vie et la mort. État critique. Qui se dégrade. Et les médecins cherchent à le réanimer. Défibrillation cardiaque. 84 ans. Dont près de trente en raïs.

Cela me fait penser à la mort de Pierre Bérégovoy le 1er mai 1993. On parlait alors du "corps" de l’ancien Premier Ministre alors qu’il était encore vivant. Plus pour longtemps.

Le 2 juin 2012, Moubarak a été condamné à la prison à perpétuité (il risquait la peine de mort) pour avoir donné l’ordre de tirer sur la foule pendant la révolution. Des centaines de morts sur la conscience. La foule de la place Tahrir a résisté.

Après avoir annulé l’élection de nombreux députés islamistes, le pouvoir militaire, qui conserve le pouvoir dans l’attente d’une transition démocratique, a dissout le parlement le samedi 16 juin 2012 : juste pendant le second tour de l’élection présidentielle, les 16 et 17 juin, qui doit départager l’islamiste Mohamed Morsi du militaire Ahmed Chafik. Les résultats seront annoncés officiellement jeudi 21 juin 2012.


Les deux camps réclament déjà leur victoire. Les uns condamnent l’action de l’armée qui veut réduire les pouvoirs du futur Président et pensent qu’il s’agit déjà d’un coup d’État, les autres craignent la mise en place de la charia dans le pays de manière irréversible.

Apparemment, les deux candidats seraient au coude à coude. Mais avec un léger avantage au candidat islamiste, selon des sondages étrangers (et indépendants).

Les révolutionnaires de 2011 ne sont ni islamistes ni, bien sûr, moubarakiens.
Ils ont déjà perdu l’élection présidentielle.

Ils aimeraient une autre voie, une troisième voie qui est à la fois démocratique et modérée. À la fois laïque et civile. C’est curieux qu’il ait fallu l’autoritarisme pour garantir à la fois la laïcité et les positions modérées sur le plan international et que la démocratie des urnes engendre la charia la plus rétrograde et la plus liberticide.

C’est la vraie problématique des révolutions arabes. Effacer la dictature des tyrans laïcs parfois militaires, plus ou moins sévères, comme ce fut le cas en Tunisie, en Égypte, en Libye, en Irak, ou encore maintenant en Syrie et en Algérie, mais ne pas la remplacer par une dictature religieuse, islamiste.

Il devient de plus en plus clair qu’il y a un pays qui essaie de trouver cet équilibre politique ultrafragile, la Turquie. Dominée par l’armée pendant des décennies pour garantir la laïcité, la Turquie a réussi tant bien que mal sa transition démocratique par la victoire renouvelée d’un parti islamiste. Un parti "démocrate musulman". Comme il existe des partis démocrates chrétiens en Europe.

Y aura-t-il ce genre de transition dans tous ces pays de la révolution arabe ?
Pas sûr…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 juin 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Entre vert moutarde et vert croissant.
Vade-mecum des révolutions arabes.
Faut-il intervenir en Libye ?
Et si l’on écoutait Michel Rocard ?
La fuite de Ben Ali.
La Syrie en contestation.
Moubarak démissionne.
Transition égyptienne : entre colère et raison.
L’Égypte, fin janvier 2011.

 

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/moubarak-la-longue-agonie-de-l-118775