Lire entre les lignes

Par Corboland78

La chose nous est tellement habituelle et quotidienne que plus personne n’y fait attention. Nous lisons des journaux, des livres, consultons des textes sur nos écrans d’ordinateurs, bref, la lecture nous est aussi naturelle que la respiration.

Mais avez-vous songé à ce que serait cette activité si la ponctuation n’avait pas été inventée, pire encore si l’espace entre les mots avait été considéré comme inutile ? Je devine à votre moue étonnée que ce n’est pas le genre de question qui nourrit votre réflexion quotidienne, alors pour faire simple, je vous propose un exemple :

« Unechosemétonneprodigieusementjoseraidirequellemestupéfiecestquàlheurescientifique

Oùjécrisaprèslesinnombrablesexpériencesaprèslesscandalesjournaliersilpuisseexisterencor

edansnotrechèreFrancecommeilsdisentàlaCommissiondubudgetunélecteurunseulélecteurcet

animalirrationnelinorganiquehallucinantquiconsenteàsedérangerdesesaffairesdesesrêvesoud

esesplaisirspourvoterenfaveurdequelquunoudequelquechosequandonréfléchitunseulinstantce

surprenantphénomènenestilpasfaitpourdérouterlesphilosophieslesplussubtilesetconfondrela

raisonoùestilleBalzacquinousdonneralaphysiologiedelélecteurmoderneetleCharcotquinousexpl

iqueralanatomieetlesmentalitésdecetincurabledémentnouslattendons » 

Je suis certain que vous commencez maintenant à comprendre à quel péril nous avons échappé. Alors je pense qu’il serait temps de rendre un hommage appuyé à ceux et celles qui au fil des siècles, ont fait évoluer la langue écrite pour nous la rendre plus aisément compréhensible. A l’heure où les smiley réduisent la communication écrite à des sourires niais ou des grimaces tout aussi futées, je demande, j’exige, qu’on crée une Journée à la mémoire du point, de la virgule, du tiret et de tous ces signes gracieux auxquels nous devons tant, mais auxquels nous ne pensons jamais.   

Avant de vous quitter, sachant que votre temps est compté et que vous n’avez pas cherché à décrypter le texte donné ci-dessus en exemple à mon propos, je vous en donne la version lisible. Il s’agit des premières lignes d’un opuscule d’Octave Mirbeau (1848-1917), titré La grève des électeurs. Aucun rapport avec une actualité récente. Encore que rien ne soit jamais sûr.  

« Une chose m’étonne prodigieusement — j’oserai dire qu’elle me stupéfie — c’est qu’à l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison? Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne? Et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément? Nous l’attendons. »