« Le Solitaire » de Michael Mann : mais où sont les extraterrestres ?

Par Tred @limpossibleblog

Non, Le Solitaire n’est pas, après Battleship, la nouvelle adaptation par Hollywood d’un classique du jeu de société…  enfin… de cartes… Enfin non, Taylor Kitsch n’y joue pas le valet de trèfle devant empêcher une invasion extraterrestre fomentée par le huit de pique (quel salaud ce huit de pique). Non, « Le Solitaire », c’est le tout premier film de Michael Mann, un film aussi vieux que moi qui porte assez mal son titre français, auquel il vaut mieux préférer l’original « Thief ». Pour ceux qui se demandent pourquoi « Le solitaire » irait mal à une adaptation du célèbre jeu de cartes en solo, je rappelle que non, ce n’est toujours pas une adaptation du jeu de cartes.
« Le Solitaire » est un film noir dans lequel James Caan, alors pimpant quadra, arpentait les rues de Chicago de nuit pour perpétrer des vols de diamants audacieux, tout en gérant une concession de voiture le jour pour faire bonne figure. Le problème du titre français c’est qu’il laisse entendre que le héros serait un hors la loi… euh, solitaire donc, alors que ce n’est pas vraiment le cas. Entre son partenaire de casse qu’il entraîne toujours avec lui et avec qui il va à la plage en famille, sa nouvelle femme avec qui il veut absolument vivre, le bébé qu’il veut adopter, son vieux pote qu’il essaie de faire sortir de taule parce qu’entre eux, c’est à la vie à la mort, son autre vieux pote qui lui fabrique ses outils pour faire des casses… non je crois qu’on peut dire que le solitaire n’est pas si solitaire que cela (d’où le doute, le titre ne laisse-t-il pas finalement entendre qu’il s’agit bel et bien d’une transposition cinématographique du jeu de carte, et Robert Prosky ne va-t-il pas à un moment ou un autre révéler qu’en fait il est un extraterrestre venu conquérir la Terre ?).
Quoi qu’il en soit, Michael Mann prouvait déjà à l’époque sa finesse dans la construction d’une atmosphère cinématographique, à travers un univers urbain et nocturne majestueux. Il développe ici une certaine idée de la mise en scène qu’il perfectionnera dans « Heat », qui reprendra presque des plans de « Thief » près de quinze ans plus tard, notamment ces nombreuses rencontres nocturnes dans les diners. Le souci de « Thief », comme cela peut arriver chez Mann, vient du scénario. Toute la difficulté de ce genre de film, c’est de trouver un déroulement au récit qui soit adéquat à l’atmosphère puissante. Et le problème, c’est que Mann est tellement focalisé sur sa cité nocturne qu’il ne se rend pas compte à quel point le récit est quelque peu rocambolesque et mal rythmé. Les puristes me diront « Nan mais c’est pas grave, c’est la mise en scène qui est importante dans le film », tout de même. J’ai un peu de mal à avaler un personnage qui en l’espace de quelques jours invite une fille à dîner un soir, lui demande de vivre avec elle, lui achète une maison dans laquelle ils s’installent immédiatement, et ensemble ils adoptent un bébé. Le tout en deux ou trois semaines. Hum hum… Je ne peux décemment pas reprocher à Prometheus d’être habité de personnages n’ayant ni queue ni tête, et pardonner la même chose à Michael Mann parce qu’il a réalisé son film l’année de ma naissance.
Je sais, je sais, je fais ma fine bouche et je ne me laisse pas assez porter par le pouvoir de la fiction. Mais bon. Après des semaines à avoir couru après le film depuis qu’il est ressorti en version restauré, des semaines à l’avoir idéalisé, des semaines à me dire que j’allais le rater… quand enfin je me suis calé dans un large fauteuil de la salle 2 du Grand Action, un samedi soir à 21h30 pendant que sur le trottoir d’en face, russes et polonais regardaient les matches du Championnat d’Europe de foot… eh bien ça m’a agacé de découvrir que déjà à l’époque, Michael Mann était plus doué pour le sens du cadre que pour celui du récit. Pour autant il est amusant de noter à postériori à quel point Drive de Nicolas Winding Refn doit au « Solitaire ». Après tout, peut-être que sans le film de Michael Mann, nous n’aurions pas eu droit à l’ébouriffante conduite de Ryan Gosling. Alors forcément, il est plus facile de pardonner le laxisme scénaristique…