Alors aujourd’hui, parlons de Sanctum chez Glénat, un seinen centré sur l’apocalypse, la religion, une déesse et une dramaturgie totalement biblique. Ce titre est issu de l’association du bien connu Boichi (dont je vous ai déjà parlé ici et là) et du scénariste Masao Yajima que nous avons connu dessinateur sur le manga Journaliste (chez Delcourt).
La série a été publiée dans le magazine Morning (Billy Bat, les Gouttes de Dieu) de la Kodansha entre 2009 et 2010 et s’est achevée en 5 tomes.
En route pour la chronique !
Est-elle une déesse ou l’anté-christ ?
Luna Hazuki est la seule survivante d’une tragédie. Il y a sept ans, au beau milieu du Nevada et non loin de la fameuse zone 51, un camion citerne a percuté la voiture familiale. Dans la morgue qui a reçu les corps de ses parents et de son frère, Luna a scellé un pacte avec avec le démon Abraxas et elle vit depuis avec sa famille ressuscitée… Mais tout a un prix.
La vie de sa famille va lui être repris pour que s’enclenche l’apocalypse dont Luna est la pierre angulaire. De retour au Japon avec ses deux amis d’enfances Issa et Toshiya, Luna voit la mort et la destruction se rapprocher d’elle. Au fur et à mesure qu’Abraxas refait surface et que les morts s’amoncellent sur la route de notre belle lycéenne, les organisations secrètes religieuses s’intéressent de très près à son cas.
Une querelle vieille de plus de 1 800 ans entre le christianisme et le gnosticisme, religion dissidente, est sur le point de refaire surface. Pendant que certains voient en Luna la déesse qui sauvera le monde, d’autres sont persuadés qu’elle est l’antéchrist qu’il faut détruire pour éviter l’apocalypse. Luna, esseulée par son destin, va devoir choisir elle même sa voie… Et ses amis aussi.
L’évangile selon Boichi et Yajima
En lisant les premières pages de Sanctum, force est de constater que Boichi et Masao Yajima étaient fait pour se rencontrer. Dans Hotel, recueil antérieur de nouvelles signées par Boichi, ce dernier avait évoqué le thème de l’apocalypse, mais avec maladresse et surtout avec trop peu de pages pour en faire quelque chose de solide.
Néanmoins, les scènes théâtrales et les destin mystiques qui entourent ce genre d’histoires lui collent depuis longtemps à la peau. Comme il l’explique lui-même en préface du tome 1, il a fait sa scolarité dans des établissement catholiques, du collège à l’université, et il aime discuter de cette religion relativement méconnue au Japon.
Quand au scénariste, il apprécie la Bible autant pour son intérêt religieux que littéraire, et il a décidé de s’en inspirer mais aussi de la remettre en question. Pour sa fiction, il retourne aux sources de l’ésotérisme et principalement l’ésotérisme chrétien, en faisant s’opposer différents lectures des évangiles et y ajoutant des croyances et mythes beaucoup plus modernes tel que le mouvement New Age ou l’existence d’une vie extra-terrestre.
Le cœur du problème autour du cas de Luna est sans doute le débat le plus intéressant de l’ouvrage et il oppose clairement, à partir du volume 3, les deux groupes les plus puissants de l’aube du christianisme : les catholiques et les adaptes du Gnosticisme… Arrêtons nous d’ailleurs deux secondes sur cette lutte millénaire.
Que la Gnose soit avec vous…
Et donc, selon Saint Thomas et les apocryphes, les adeptes du gnosticisme ont établi que les hommes sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel créé par un dieu mauvais ou imparfait, de son petit nom le démiurge. Après avoir vu Jésus faire des miracles et voir ce que notre monde en a fait, ça se tient et ce dernier n’est donc pas le fils du créateur mais celui qui montre aux hommes comment s’en délivrer en atteignant la gnose (d’où le nom de la religion).
Vous comprenez donc que le père de Jésus chez les catholiques, Dieu, se révèle un ennemi à abattre chez les autres. Historiquement, c’est le catholicisme qui a eu le dernier mot. Si le gnosticisme a atteint son apogée au deuxième siècle, il sera qualifiée d’hérésie et aura quasiment disparu un siècle plus tard, non sans ayant influencer d’autres mouvements comme la manichéisme et les cathares (dont l’emblème est ci-contre) par exemple.
Dans Sanctum tout l’enjeu est donc de savoir qui est Luna et quelle est sa destinée. Pour les adeptes de la gnose, elle est leur déesse et pour les catholiques elle aurait pu être la réincarnation de Dieu sur Terre. Mais voilà, Luna est une femme, donc elle ne peut-être que satanique. On ne renie pas deux millénaires de machisme donc la demoiselle est l’antéchrist…CQFD.
Trop de référence tue la référence…
En plus d’une idée de scénario passionnante, ce manga qui bénéfice du trait maîtrisé et réaliste de Boichi semble donc avoir tous les atouts de son coté. Sauf que…
Pour cet article il m’aura fallu attendre le troisième volume pour y voir un peu plus clair. Le volume 1 est la confirmation du talent graphique de Boichi,certes, mais aussi un joyeux fourre-tout pour ne pas dire un foutoir : modification du continuum espace-temps, Zone 51, des croix christiques à tout bout de champ, Abraxas qui nous dévoile ses vérités dans des speechs totalement incompréhensibles… Le mystère et le suspens c’est bien, mais il ne faut pas en abuser.
Le tome 2 mélange un errant immortel et le groupe industriel / secte Nitobe et obscurcit le destin de Luna en engluant le lecteur qui a bien du mal à suivre…
On poursuit cependant la lecture grâce à des personnages comme Luna, Issa ou le président Nitobe, protagonistes « Boichiesque » comme on les aime de par leur densité, leur humour ou leur volonté sans faille. Les femmes possédent, comme à l’accoutumé, des formes que le dessinateur aime mettre en valeur, non par des scènes de sexes mais par des plongées ou contre-plongées… Sans ambiguïté. Dans ce registre, sachez que, via leur couverture, la lecture du tome 3 ou 4 dans le métro vous fera passer pour un pervers
Pour en finir sur les personnages… On regrette que les rapports soient parfois trop stéréotypés et le triangle amoureux est complétement téléphoné – la faute à la dramaturgie chrétienne ? – mais les individualités restent heureusement plus complexes et intéressantes.
Il faut en tout cas attendre le volume 3 pour que tout s’éclaire et qu’on se prenne totalement au jeu… Dommage pour une histoire qui va s’achever deux tomes plus tard. La richesse des influences, des références et des destinées fait de Sanctum une histoire trop courte et étriquée pour tout ce qu’elle semble avoir à dire. Les fins de volumes sont heureusement là pour expliquer la terminologie et les bases philosophies et religieuses du récit mais les pistes sont tellement nombreuses qu’il est impossible de tout absorber. On ne voit pas non plus comment tous ces chemins pourront se recouper à la conclusion de l’histoire.
Finalement, ce seinen vaut le déplacement pour tous ceux qui sont intéressés par les histoires d’apocalypse, qui recherche des angles nouveaux et savent se montrer patient. Malgré un début qui part dans tous les sens, Sanctum finit par trouver sa voie au commencement du troisième opus. Boichi et Masao Yajima nous entraînent alors dans le revival d’une lutte séculaire prenante qui balance entre la sauvegarde du monde et sa destruction ! Avis aux amateurs…
Titre : SANCTUM – RAQIYA
Auteur : Boichi (dessin), Masao Yajima (scénario)
Date de parution : 18 janvier 2012
Éditeurs fr/jp : Glénat / Kodansha
Nombre de pages : 224
Prix de vente : 9.15 €
Nombre de volumes fr / jp : 3 / 5
Visuels RAQIYA © 2009 Masao Yajima and Boichi / Kodansha Ltd.
Retrouvez toutes les chroniques du chocobo sur l’index du blog.