08 Je suis arrivée tôt ce matin devant la grande poste d’Alger. Je me suis assise à même le sol, sur la dernière marche du grand escalier. C’est dans cet imposant bâtiment que travaillait el-marhoum. C’est là que je l’ai connu. Il revenait définitivement de France. Lorsque je quittais les Cours Pigier il m’arrivait parfois de venir ici poster le courrier de notre école. J’ambitionnais de devenir secrétaire. C’était un métier très respecté. C’est pourquoi mon père m’a inscrite aux cours Pigier. Je les ai fréquentés durant plus de deux ans et demi. Un jour notre directrice m’a demandé de lui acheter des timbres. Une autre fois elle m’a proposé de poster le courrier du centre de formation. En échange elle m’autorisait à sortir quinze minutes avant l’heure officielle. Nous étions quelques élèves à nous porter volontaires pour le courrier. Nous nous en chargions à tour de rôle. Lorsqu’il y avait des lettres avec accusé de réception, à expédier ou à retirer de la poste, c’était à Mahfoud Allah yerhmou que mes collègues ou moi avions affaire. Il m’ouvrait une porte dérobée sur la gauche, ‘bonjour mademoiselle’, et je me retrouvais de l’autre côté, dans l’espace réservé aux employés. Mahfoud disposait d’un petit bureau modestement équipé et qui sentait le vieux papier et l’encre. Dans un cas il me donnait le courrier destiné à Pigier contre une signature sur un registre ad-hoc, dans l’autre c’est moi qui lui en livrais, à expédier avec accusé de réception. Mais dans un cas comme dans l’autre, nous discutions longtemps. ‘Alors comme ça tes parents sont du même village que les miens. Toi aussi ? Moi aussi’. C’est lors de ces rencontres que j’ai appris qu’il s’appelait Zellag comme moi, que nous appartenions au même village, Ifri-Ouzellaguène, et que nous étions cousins. Sa rencontre m’a beaucoup interpellée. Je me disais et je répétais à mes amies ‘le monde est bien petit’. Evidemment, je n’en ai rien dit à mes parents. Lorsque j’ai commencé à travailler chez un grossiste comme employée de bureau, en novembre 1973, on se voyait beaucoup moins, mais nous nous arrangions pour nous téléphoner ou nous écrire. Je lui adressais des poèmes que j’écrivais le soir en rentrant à la maison. Je me souviens de celui-ci, parmi les tous premiers. Je l’avais intitulé : Volent les moineaux.
Tu es arrivé comme un lionceau Et le ciel s’empourpra Dans ton regard j’ai glissé Savane ou jungle Que d’eau, que d’eau ! Et dans ta main et la mienne unies Dansent nos cœurs.
Je ne suis pas restée longtemps chez le grossiste. A la fin du mois de juillet de l’année suivante j’abandonnais mon travail. Quelques semaines plus tôt, par l’entremise de son oncle paternel qui prenait la relève du père disparu, Mahfoud demandait ma main à mon père qui, étant de la même lignée fondatrice du village de la tribu des Zellag, accepta sur-le-champ. Lorsque nous nous sommes mariés en décembre 1974, Mahfoud avait vingt-neuf ans, moi j’en avais onze de moins. Mercredi j’aurai une pensée spéciale pour ce magnifique jour. J’irai au jardin d’essai, au mausolée de Sidi Abderrahmane, j’irai au front de mer et fixerai l’horizon, longuement comme nous le faisions. La vie n’était déjà pas facile ici. Nous avons eu Houria. Plus tard Amine est arrivé. Non la vie n’était déjà pas facile ici. Nous avons dû émigrer. Mahfoud est parti le premier, en mai 1985. Je l’ai rejoint quelques mois plus tard avec les enfants. Grâce à Razi nous n’avons pas trop souffert. Mais tout cela est du passé. Ce matin sur la dernière marche de l’escalier de la grande poste d’Alger, à mes côtés, l’homme était assis sur un tabouret sans âge, adossé à la colonne de marbre. Si-Saber, c’est son nom, est écrivain public. Depuis plus de quinze ans, sauf incident ou événement imprévu, il est là six jours sur sept, assis à la même place, à droite du porche en entrant. Le vendredi il le consacre à sa famille. Devant lui, en guise de bureau, il a posé un vieux pupitre d’école en bois massif avec un encrier en céramique, maculé de bleu, inséré à droite. Sous le plateau il y a un casier assez large pour ranger les documents, au-dessus une machine à écrire Polyjo Super 75 à quatre rangées de signes, plus la barre d’espacement. Elle ressemble étrangement au modèle que nous avions lorsque je suivais la formation de secrétaire aux Cours Pigier. On disait ‘‘Pigier’’ mais en réalité l’école de secrétariat portait un autre nom. Pigier avait été sommé en 1967 de quitter le pays qui désormais prenait une orientation malsaine. Nous continuions à appeler notre école ‘‘Pigier’’, son ancien nom, par habitude. Les gérantes elles-mêmes ne rouspétaient pas car l’ancien nom rehaussait le prestige de l’école. J’ai rappelé mon calvaire à Si-Saber. Ce n’est pas la première fois que je sollicite ses services. Même si je sais écrire une lettre, je préfère m’adresser à lui car je ne sais plus utiliser les astuces, les belles formules, celles qui marquent, qui touchent, qui font mouche. Autrement, si tel était le cas, j’aurais écrit mon courrier moi-même et mon histoire plutôt que de la raconter dans ce micro, je l’aurais écrite. Si-Saber m’a écoutée avec beaucoup d’attention et de compassion. Il m’a demandé pourquoi je ne me rapproche pas des femmes qui manifestent pour retrouver leurs proches, disparus. Je ne savais pas que des femmes manifestaient ici. Il m’a appris qu’il y avait une association de défense des familles de disparus. Il adit ‘‘c’est nouveau, il y a quelques semaines de nombreuses femmes ont même manifesté ici, là, devant la poste, avec des photos de leurs enfants ou de leurs maris enlevés ’’ J’ai spontanément dit ‘‘et pourquoi tout ça ?’’ cela ne lui a pas plu. Il m’a répondu : ‘‘ ‘Pourquoi ?’ comment ça ‘pourquoi ?’, mieux vaut être ensemble dans le malheur que seule tu ne trouves pas ? et puis, peut être que les autorités feront un effort, je ne sais pas moi’’. Razi aussi m’incite régulièrement à me rapprocher des mères qui manifestent. Si-Saber n’a pas tort. Il a rabaissé les lunettes posées sur son front dégarni et a rajusté le tabouret s’apprêtant à taper. Le vieil écrivain public est habitué. Il sait toutes les tournures de phrases, toutes les adresses, toutes les astuces. La lettre d’aujourd’hui n’était pas la première qu’il m’écrivait. Il m’a demandé si j’avais eu des réponses aux précédentes. ‘‘Wallou, wallah wahed ma rad. Rien, je jure que personne n’a répondu, ni la gendarmerie, ni la police. Andi Rabbi. Dieu est à mes côtés.’’ C’est ce que je lui ai dit. L’écrivain est un homme bon. On le voit sur son visage, on le devine à son air serein, dans la douceur de sa voix, à son expression lente, à son regard aussi. Je lui ai tendu une photo. ‘‘Chouf, regarde, lui ai-je demandé, c’est mon fils.’’ Le sourire d’Amine est timide. Il porte une chemise blanche. Sa tête est légèrement penchée. Ses cheveux noirs sont coupés courts. Son œil gauche est légèrement plissé. On jurerait qu’il se prépare pour nous parler. L’écrivain a saisi la photo a regardé le visage, attendri, puis il me l’a restituée en me considérant d’un drôle d’air. Il a murmuré ‘‘Rabbi yessatreh, que Dieu le protège.’’ C’est alors qu’il prononçait ces mots, ‘‘que Dieu le protège’’ que me sont revenus ces mêmes gestes qu’il avait faits, cette même parole qu’il avait prononcée il y a quelques temps lorsque je lui avais montré cette même photo : ‘‘Que Dieu le protège.’’ J’avais presque oublié. La lettre de ce matin, je l’ai destinée au président de l’Observatoire national des droits de l’homme. Afin que Si-Saber recopie mon adresse, je la lui ai dictée tout en lui tendant une copie chiffonnée d’un précédent courrier qu’il m’avait rédigé pour une autre instance. Si-Saber s’est saisi de la feuille, a libéré la machine à écrire de sa housse, a vérifié la petite boite d’effacils, le ruban, a soufflé un peu au hasard sur le clavier, a introduit deux feuilles blanches séparées par un papier carbone qu’il venait de retirer du casier, puis a donné un coup sur le chariot et a noté à gauche mes coordonnées et à droite le destinataire, ‘‘Monsieur le Président de l’ONDH, boulevard Bougara, suivi du corps de la lettre : Monsieur le Président, en ces jours anniversaires de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme je vous saurais gré de bien vouloir vous pencher sur le cas dramatique de mon fils Amine Zellag âgé de 16 ans. Amine a été enlevé il y a maintenant 51 jours, exactement le vendredi 17 octobre 1997 à la tombée du jour, devant mes yeux, à l’intérieur même de ma maison dont l’adresse est sus-indiquée. Il a été kidnappé par quatre hommes armés dont l’un portait une tenue militaire, un autre en civil connu de nombreux voisins et dont le visage est marqué par une balafre. Ces hommes sont venus et sont repartis dans un J5 de couleur beige portant une immatriculation contenant le nombre ‘‘566’’ ou ‘‘5566’’ écrit à la craie. Depuis le 17 octobre je n’ai plus aucune nouvelle. J’ai écrit partout, je me suis déplacée au commissariat, à la gendarmerie, à la caserne, en vain. Monsieur le Président, je vous supplie de veiller à ce que des mesures soient prises de toute urgence pour que mon fils soit jugé s’il est coupable, ou bien qu’il me soit rendu s’il s’agit d’une bavure. Monsieur le Président, je demeure à votre disposition pour toute information complémentaire. Veuillez agréer monsieur’’ et cetera. A la suite de ma signature Si-Saber a ajouté un PS : ‘‘Mon mari a été assassiné par des terroristes islamistes le 22 septembre dernier dans notre village. Je suis seule et vous prie de m’aider. Amine est le seul garçon que j’ai. Que Dieu vous vienne en aide.’’ Une fois la lettre dactylographiée, d’un geste preste il l’a retirée ainsi que la copie collée au papier carbone noir. Il a relu à voix basse, pour lui-même, pour s’assurer qu’il n’avait rien omis, mais surtout que la lettre était lisible, compréhensible dès la première lecture et qu’elle ne comportait ni erreur ni faute. Il a détaché le papier carbone qu’il a remis dans le casier, m’a donné la copie, a plié en quatre l’original et l’a glissé dans une enveloppe appropriée qu’il m’a tendue. Je l’ai remercié, payé, et j’ai mis la copie dans mon sac en plastique noir. A l’intérieur de la poste à l’un des nombreux guichets j’ai affranchi et fait oblitérer l’enveloppe par un postier qui l’a jetée dans une grande caisse en osier. Pour revenir à la maison j’ai pris un taxi-jamaï, collectif, jusqu’à Kouba et de là, un minibus Karsan. Comme je l’ai fait à l’aller. L’idée de transiter par Diar el-baraka m’a effleurée. Parfois il me vient à l’esprit de reprendre la petite Houda, mais je me ressaisis. Houda est heureuse avec Hakim et Houria. Elle leur apporte la compagnie qui leur manque. Elle pose souvent des questions à propos d’Amine, mais hélas mon gendre comme ma fille ne savent que lui répondre. Mon Dieu, fais que mon fils revienne à la maison. Cela va faire bientôt deux mois qu’ils me l’ont enlevé. Je n’avais personnellement jusqu’à septembre aucun ennemi, aujourd’hui encore j’ai du mal à l’identifier. Les assassins de septembre sont mes ennemis, ceux qui les ont laissés faire le sont aussi. Derrière l’enlèvement d’Amine il y a l’indic, d’accord, mais qui est derrière lui, je veux dire qui lui a ordonné d’enlever Amine ? Et pourquoi lui ? Qu’avons-nous fait ? Lorsque je pose la question on me dit ne pas savoir, on me dit d’aller voir au ministère, des gendarmes m’ont dit d’aller voir au maquis ‘‘ton fils est monté au djebel ya el-mahboula.’’ Ils disent que je suis folle, non je ne suis pas folle et Amine est un enfant qui n’a jamais fait de mal à personne. Tout le quartier le sait. Les parents de Omar qui ont beaucoup de chance, ne veulent plus entendre parler de cet enlèvement. Leur fils leur a été rendu, dès lors plus rien ne les intéresse. Omar ne sort quasiment plus disent certains de ses proches. Ils disent me comprendre en ajoutant qu’ils ne peuvent rien pour moi. Amine avait du ressentiment certes, parce qu’on ne nous a pas protégés, parce que cette collision entre les forces de l’oppression et el-irhab, les terroristes, a provoqué la mort de milliers d’Algériens. A cause des déferlements de violences contre les populations civiles, qui demeuraient impunies, et dont certaines, comme dans notre village, n’étaient possibles qu’avec la bienveillance ou la passivité des forces chargées de notre protection, Amine était hostile aux forces de sécurité. De là à prendre les armes, non. Trois fois non. Notre hostilité écrasante, nous l’avions exprimée plusieurs fois par les urnes que les mauvais perdants ont plusieurs fois détruites. Non, trois fois non.
(Ahmed Hanifi - à suivre)
J’avais 16 ans, je venais de perdre mon père, et brusquement tout s’écroula autour de moi. Au lycée personne ne s’en est aperçu, ou plutôt personne ne se préoccupa de ma détresse. Évidemment j’alertais mes camarades de classe par mes silences devenus quasi-permanents. Les enseignants, y compris ceux qui appréciaient mes travaux, constataient mes chutes de résultats sans broncher. Du lycée je fus donc exclu pour cause de contre-performance manifeste sans autre curiosité. Comme de nombreux gamins de mon âge je plongeai dans le monde de la débrouille. Gagner sa vie pour la famille. Passer du statut serein d’enfant scolarisé à celui d’enfant soutien de famille n’est pas chose aisée, c’est passer du cocon protecteur à l’enfer.
Bien que j’acceptais d’assumer ce rôle d’adulte trop grand pour moi - avais-je la possibilité de le refuser ? – je me promettais de me venger de ce destin qui semblait me cerner. Je souffrais en silence. Une porte se présenta à moi. Celle du Centre culturel français d’Oran qui se trouvait à la fin des années 60 à l’emplacement de l’actuel Centre de recherche en information documentaire des sciences sociales et humaines (CRIDSSH), rue Larbi Ben M’Hidi.
Certains de mes amis fréquentaient le centre culturel, alors je me suis mis à mon tour à le fréquenter. Je me suis fait établir une carte. Et mon assiduité fut réelle. Je lisais toute sorte de revues, de romans et d’essais. Mes amis écrivaient tout le temps. Ils faisaient leurs travaux scolaires, écrivaient des lettres diverses. Moi j’écrivais des poésies, je racontais ma vie d’errance morale, je recopiais des extraits de romans. Un jour je suis « tombé » sur un texte qui me bouleversa. Il sera gravé longtemps dans ma mémoire. Aujourd’hui encore je peux le réciter (quoique partiellement). Ce texte sera à la base du décuplement de ma volonté qui finira par me sortir de l’enfermement qui fut le mien des années durant. Le cœur de ce texte le voici :
« Ayant donc formé le projet de décrire l'état habituel de mon âme dans la plus étrange position où se puisse jamais trouver un mortel, je n ai vu nulle manière plus simple et plus sûre d'exécuter cette entreprise que de tenir un registre fidèle de mes promenades solitaires et des rêveries qui les remplissent quand je laisse ma tête entièrement libre, et mes idées suivre leur pente sans résistance et sans gêne. Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion, sans obstacle, et où je puisse véritablement dire être ce que la nature a voulu. (…)
Pour me contempler moi-même avant mon déclin, il faut que je remonte au moins de quelques années au temps où, perdant tout espoir ici-bas et ne trouvant plus d'aliment pour mon cœur sur la terre, je m'accoutumais peu à peu à le nourrir de sa propre substance et à chercher toute sa pâture au-dedans de moi. (…)
Je m'attendrissais sur ces réflexions, je récapitulais les mouvements de mon âme dès ma jeunesse, et pendant mon âge mûr, et depuis qu'on m'a séquestré de la société des hommes, et durant la longue retraite dans laquelle je dois achever mes jours. Je revenais avec complaisance sur toutes les affections de mon cœur, sur ses attachements si tendres mais si aveugles, sur les idées moins tristes que consolantes dont mon esprit s'était nourri depuis quelques années, et je me préparais à les rappeler assez pour les décrire avec un plaisir presque égal à celui que J'avais pris a m'y livrer. Mon après-midi se passa dans ces paisibles méditations, et je m'en revenais très content de ma journée, quand au fort de ma rêverie j'en fus tiré par l'événement qui me reste à raconter. J'étais sur les six heures à la descente de Ménilmontant presque vis-à-vis du Galant Jardinier, quand, des personnes qui marchaient devant moi s étant tout à coup brusquement écartées je vis fondre sur moi un gros chien danois qui, s'élançant à toutes jambes devant un carrosse, n'eut pas même le temps de retenir sa course ou de se détourner quand il m'aperçut. Je jugeai que le seul moyen que j'avais d'éviter d'être jeté par terre était de faire un grand saut si juste que le chien passât sous moi tandis que je serais en l'air. Cette idée plus prompte que l'éclair et que je n'eus le temps ni de raisonner ni d'exécuter fut la dernière avant mon accident. Je ne sentis ni le coup ni la chute, ni rien de ce qui s'ensuivit jusqu'au moment où je revins a moi. Il était presque nuit quand je repris connaissance. Je me trouvai entre les bras de trois ou. quatre jeunes gens qui me racontèrent ce qui venait de m'arriver. Le chien danois n'ayant pu retenir son élan s'était précipité sur mes deux jambes et, me choquant de sa masse et de sa vitesse, m'avait fait tomber la tête en avant : la mâchoire supérieure portant tout le poids de mon corps avait frappé sur un pavé très raboteux, et la chute avait été d'autant plus violente qu'étant à la descente, ma tête avait donné plus bas que mes pieds. (…)
Dieu est juste ; il veut que je souffre, et il sait que je suis innocent. Voilà le motif de ma confiance, mon cœur et ma raison me crient qu'elle ne me trompera pas. Laissons donc faire les hommes et la destinée ; apprenons à souffrir sans murmure ; tout doit à la fin rentrer dans l'ordre, et mon tour viendra tôt ou tard. »
(In : http://mecaniqueuniverselle.net)
Jean-Jacques Rousseau fut un de mes premiers soutiens, rempart contre la dérive. Il y en aura d'autres.
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Chers amis
Mohamed Smaïn (70 ans), infatigable défenseur des droits de l’homme, figure incontournable de la lutte pour la vérité et la justice concernant les disparitions forcées, a été arrêté par les autorités algériennes mardi 19 juin 2012.
Cette arrestation serait due à son refus de répondre aux convocations émanant du parquet général de Relizane, convocations qu’il n’a pas reçues. Mohamed Smaïn, ancien vice-président de la igue algérienne des droits de l’homme (LADDH) est soigné depuis un an pour un cancer de la prostate.
Cette nouvelle affaire le concernant est révélatrice de l’acharnement du régime autoritaire algérien (depuis 2002) contre ce militant des droits de l’homme. L’objectif du pouvoir est de faire taire les voix qui s’élèvent contre l’arbitraire, contre l’instrumentalisation de la justice, pour que la vérité et la justice sur les disparitions forcées se fassent jour. Pour une frange importante du régime algérien en effet, les années noires qui firent plus de 150.000 morts et des milliers de disparus ne doivent être imputées qu’aux seuls terroristes islamistes.
« Hadj Smaïn est l'auteur d'un livre-témoignage sur les crimes commis à Relizane dans les années 1990, publié en 2006 en France par les éditions Bouchène et étrangement aussitôt épuisé. Plus de 7.000 cas de disparitions forcées du fait des services de sécurité et des milices auxiliaires sont reconnus par le gouvernement algérien. Mourad Medelci, le ministre des Affaires étrangères, a affirmé, il y a quinze jours à Genève, devant la Commission onusienne des droits de l'homme, que le traitement du dossier allait avancer. » (Maghreb Emergent)
Merci à vous de m'informer de votre accord avec le contenu de cette pétition en m'indiquant votre nom, prénom et fonction.
Je les transmettrai à la source.
Merci encore.
Ahmed Hanifi.
Le 26 juin 2012
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Pétition
La détention de Mohamed Smain est une honte pour l'Algérie !
Mohamed Smain, militant des droits de l'homme, ancien vice président de la LADDH, figure nationale dans la lutte pour la vérité sur le sort des disparitions forcées, est en prison à Relizane.
La justice de son pays a jugé qu'il devait purger, en juin 2012, deux mois de prison prononcés contre lui en 2002 pour avoir dénoncé dans des journaux "des crimes imaginaires" de la milice d'auto défense de sa wilaya.
210 citoyens enlevés manquent à l'appel à Relizane à la fin des années 90. Les charniers où gisent des disparus ont été localisés et des restes humains exhumés et identifiés.
La justice a choisi d'instruire une autre plainte pour un autre délit. Celui de "diffamation" pour des articles de presse où Mohamed Smain évoquait les disparus de Relizane.
Les procès en diffamation ont établi, devant la presse algérienne et internationale, la réalité des faits et des responsabilités des acteurs cités. La cour de Relizane a persisté à recourir à la peine de prison contre Mohamed Smain.
Près de dix années plus tard, la cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation de la défense. Dix années au cours desquels la santé de Mohamed Smain, 70 ans, moudjahid de la wilaya 5, s'est dégradée. Le militant humanitaire a subi un triple pontage coronarien et soigne aujourd'hui un cancer de la prostate.
Ses avocats ont introduit, aussitôt connue la décision de la cour suprême, une demande d'expertise médicale afin de surseoir à l'exécution de la peine de prison.
Cette procédure, prévue par la loi, devait suivre son cours lorsque le procureur général de Relizane a opéré l'arrestation de Mohamed Smain le mardi 19 juin.
L'incarcération d'une figure internationalement reconnue pour son combat pour le respect de la personne humaine est une honte pour l'Algérie. Elle l'est d'autant plus qu'elle veut, sur un militant affaibli par la maladie, symboliquement punir la dénonciation de crimes imprescriptibles dans le droit de la communauté humaine. Au moment où les peuples de la région avancent vers plus de liberté, de transparence, et de respect du droit humanitaire, la choquante détention de Mohamed Smain veut prendre l'Algérie en otage de ses années les pires de violence et d'arbitraire.
Nous, signataires de ce texte d'indignation, refusons cette escalade irresponsable. Nous demandons la libération sans délais de Mohamed Smain et la mise en oeuvre de l'expertise médicale demandée sur son état de santé. Nous demandons que la lumière soit faite sur les conditions qui ont décidé de cette incarcération inique au préjudice considérable pour le crédit de notre pays déjà bien entamé.
liste des premiers signataires
Dahou Djerbal(universitaire),
Selma Hellal (Editrice),
Mostefa Bouchachi (Député),
Abdelkrim Boudra (chef d’entreprise),
Nourredine Ahmine (avocat),
Cherif Aissat (universitaire) ,
Abed Charef (journaliste),
Said Djaafer (journaliste),
Daikha Dridi (journaliste),
Yassine Temlali (journaliste),
Ihsane El Kadi (journaliste),
Yasmine Ferchiche (universitaire),
Mohamed Mehdi (journaliste),
Ouali Ait Yahia (universitaire),
Arezki Lakabi (cadre supérieur),
Hakim Addad,
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+ Ahmed Hanifi (formateur),
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Reçu ce soir 26 juin 22 heures:
Hadj Smaïn, la glorieuse ALN et le Big Deal
L’arrestation du militant des droits de l’homme, Hadj Smail, à quelques encablures de la célébration du cinquantenaire de l’Indépendance nationale, nécessite quelques rappels.
La galette de l’infortunée
D’abord, c’est faire preuve d’une incroyable légèreté à l’égard de ce peuple, de son histoire et de sa culture que de s’imaginer qu’un évènement aussi essentiel que le cinquantième anniversaire de l'indépendance nationale puisse être contenu dans l’étroite « société du spectacle » des célébrations officielles. Que l’on importe à coup de devises le savoir-faire d’un Caracalla et d’autres « virtuoses de l’art » pour qu’ils nous « fabriquent » une esthétique à la mesure de notre histoire, de ses peines, de ses déchirements, de sa grandeur, de ses faiblesses, de ses chants d’amour et des cris de tendresse blessée qui ont jailli de la terre, du ciel, des poitrines des hommes et des gorges des femmes…C’est se moquer du monde.
Même nos maladresses et nos insuffisances, soigneusement entretenues, par les gardiens du temple de l’incompétence et de l’exclusion, sont, à tout prendre, une meilleure offrande, à ceux qui sont morts pour que vive l’Algérie comme à ceux qui continuent à naître et à mourir par et pour elle, que tout ce que l’on pourrait acheter en s’empêchant de le produire. La galette de l’infortunée a toujours été bonne pour ses enfants dit l’adage du terroir.
En termes de culture, n’importe quel geste authentique d’un groupe humain, pourvu qu’il soit à la fois lucide et sincère, parle mieux des êtres qu’il désigne que tous les musés délocalisés du monde.
En filiation de la glorieuse ALN…
Ensuite, il ya les sorties de promotion des différentes académies et écoles militaires qui sont venues, à l’occasion de ce cinquantenaire, réaffirmer quelques vérités qui appellent à leur tour des précisions.
Vu à partir d’un écran de télévision à l’occasion d’un journal télévisé suivi d’un « sujet » spécial « sorties de promotions », le message d’ordre et de discipline délivré par les défilés et revues militaires, les manœuvres et les simulations de combats ont réjoui les amateurs et quelque peu fait contrepoids au constant (et sournois) martellement télévisuel d’armées arabes en déroute ou bombardant leurs propres territoires. Tandis que sont hissés au rang de héros des peuples, des groupes méconnaissables, qui ne sont ni tout à fait des civils ni tout à fait des militaires, dont l’identité (et le programme ?) se confond avec (ou se réduit à ?) l’origine et la portée des armes qu’ils exhibent. L’ALN, organisation militaire issue d’une organisation politique elle-même issue d’un peuple mobilisé pour sa libération a laissé en patrimoine la notion d’organisation : mounadhama, sur laquelle tout se devait d’être bâti. A commencer par l’Etat de Droit. Pour peu qu’on en ait saisi le sens.
Donc, au milieu de cette tempête militaro-médiatique que nous infligent les télés de la planète entière, le spectacle d’une armée disciplinée en ses écoles et casernes, prête à défendre le pays, sa sécurité et sa souveraineté, n’est pas forcément pour déplaire au public le plus large.
On notera que les discours prononcés à cette occasion ont tous réservé une strophe à l’importance du savoir, des sciences et des nouvelles technologies. Rien à redire.
Mais quand est évoquée la filiation de l’ANP avec l’ALN on a envie de préciser que toute l’Algérie contemporaine est fille de l’ALN : le territoire en ses frontières, le patrimoine en sa diversité, les richesses en leur propriété originelle, le savoir en sa capacité à se constituer, les générations en leur succession…
Et l’ALN, elle-même est fille des hommes et des femmes de ce peuple : Les militants politiques et associatifs au long cours, les lettrés, les analphabètes, les religieux, les agnostiques, les fellahs, les bourgeois, les bandits d’honneur et les déserteurs de l’armée coloniale, les ouvriers, les clercs et les notables autant que les hordes de déshérités pour lesquels Germaine Tillon parlait de « population clochardisée par la colonisation ».
Le Grand Deal
Alors, à chaque fois qu’une institution de l’Etat, ou un groupe au pouvoir essaie de se retirer du service du pays pour se mettre au service d’une partie contre une autre, le peuple est en droit de retirer la couverture de la filiation ALN à tous ceux qui voudraient en privatiser l’usage. C’est cela l’article 1 de la constitution non écrite qui lie les morts et les vivants par delà les générations.
Il n’ya pas d'acte notarié pour ce type de contrat moral. Qui ne peut être contenu dans les limites d’une institution ou du programme d’un parti politique, aussi prestigieux soient-ils, ni dans la pensée stratégique d’un homme seul, aussi génial fut-il. Ce type de contrat réside dans l’humus originel meurtri par la souillure coloniale et dont le soulèvement tellurique n’admettra jamais qu’une caste privilégiée ou un groupe- de quelque obédience- remette impunément cette terre et ce peuple sous le joug. Autochtone ou Etranger.
Hadj Smain ne s’est opposé à aucune institution à la fois légale et légitime agissant dans le cadre de la loi, il a dénoncé des crimes que tous les textes de ce pays réprouvent. Les poursuites à son encontre relèvent du harcèlement et de la hogra la plus brutale. Si véritable réconciliation il doit y avoir un jour, elle doit commencer, dans le respect du droit et de l’éthique politique, par la garantie des droits et libertés individuelles et politiques ainsi que l’intégrité physique et morale des algériens. Dont Hadj Smain.
Salima Ghezali
Mardi 26 Juin 2012
La Nation Numéro 58
Edition du 26 Juin au 2 Juillet 2012
in: http://www.lanation.info
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POUR RAPPEL :
vendredi 22 juin 2012
ALGÉRIE : Placement en détention du défenseur des droits de l'Homme Mohamed Smain
Alger-Paris-Genève, le 20 juin 2012. Le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA), la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) dénoncent l'arrestation et le placement en détention du défenseur des droits de l'Homme Mohamed Smaïn.
Mohamed Smaïn, qui n'a jamais cessé de se battre aux côtés des familles de victimes du conflit civil des années 90, a été arrêté dans la matinée du 19 juin 2012, par des éléments des brigades mobiles de la police judiciaire de la Sûreté de la Wilaya de Relizane, sans mandat d'amener ni d’arrêt. Selon les informations reçues, cette arrestation fait suite au défaut de présentation de M. Smaïn suite à deux convocations du Parquet général de Relizane pour se soumette à une contre-expertise médicale. Or d'après M. Smaïn, lesdites convocations ne lui ont jamais été transmises. De fait, M. Smaïn purge depuis une condamnation à une peine de prison de deux mois.
Nos organisations rappellent que le 27 octobre 2011, la Cour suprême a confirmé la condamnation de M. Smaïn à deux mois de prison ferme, 50 000 dinars algériens d’amende et 10 000 dinars algériens de dédommagement en faveur de chacun de plaignants. Ce procès découle d’une plainte pour “diffamation", "outrage" et "dénonciation de crimes imaginaires" déposée par Mohamed Fergane, ancien maire de Relizane et responsable de la milice dite de “légitime défense" pour la Wilaya de Relizane, ainsi que par huit autres ex-"Patriotes". Cette plainte avait été introduite après que Mohamed Smaïn eut alerté la presse algérienne, le 3 février 2001, sur l’exhumation, par les services de gendarmerie et la milice de Fergane, d'un charnier qu’il avait découvert et sur le déplacement de ce dernier vers un lieu inconnu. Une demande de surseoir à l’exécution de la peine de prison, faisant suite à une demande de grâce auprès du Ministère de la justice introduite par Mohamed Smaïn pour raisons de santé en vertu de l'article 16, paragraphe 8 du Code portant organisation de l'administration pénitentiaire, restait en cours d'examen. M. Smaïn est en effet atteint d'une grave maladie qui nécessite des soins réguliers.
Le harcèlement dont est victime Mohamed Smaïn est symptomatique du climat d’impunité qui prévaut en Algérie. Les activités de Mohamed Smaïn à Oran et Relizane en faveur des familles de disparus et son action pour que la vérité soit faite sur les violations perpétrées en Algérie, particulièrement pendant le conflit civil qui a ravagé le pays dans les années 90, lui valent d’être la cible des autorités. Pour rappel, suite à une plainte pour “actes de torture et de barbarie" déposée le 10 octobre 2003 par la FIDH et la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH), soutenues par la section de Relizane de la LADDH, Mohamed Smaïn a été appelé à se constituer partie civile devant la justice française dans le cadre d'une instruction ouverte à Nîmes contre d'anciens miliciens, les frères Mohamed accusés de s’être livrés à de nombreuses exactions contre la population civile et d'avoir semé la terreur.
Nos organisations appellent les autorités à libérer immédiatement et inconditionnellement M. Mohamed Smaïn et mettre fin au harcèlement judiciaire dont il est victime, qui ne vise qu'à sanctionner son rôle dans la lutte contre l’impunité en Algérie.
Enfin, nos organisations appellent les autorités algériennes à mettre un terme à toute forme de harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme algériens, afin qu’ils puissent mener leurs activités de défense des droits de l’Homme librement, Elles rappellent aux autorités algériennes leur obligation de se conformer, en toutes circonstances, aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme, ainsi qu’aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, qui prévoit notamment en son article 6.b que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, d’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales, et par ces moyens et autres moyens appropriés d’appeler l’attention du public sur la question ».
Contacts:
· FIDH : Karine Appy / Arthur Manet : +33 1 43 55 25 18
· OMCT : Isabelle Scherer : +41 22 809 49 39
· REMDH : Hayet Zeghiche : +32 2 503 06 86
· CFDA : + 33 1 43 44 87 82
in : http://yacinezaid.blogspot.fr
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Arrestation de Mohamed Smain à Relizane
Algeria-Watch, 19 juin 2012
Mohamed Smain, 70 ans, défenseur des droits de l'homme de longue date à Relizane a été arrêté mardi 19 juin 2012 à 10 heures du matin au centre-ville par les éléments de la BMPJ (Brigades mobiles de la police judiciaire) de la wilaya de Relizane, alors qu'il ne faisait l'objet ni d'un mandat d'amener ni d'un mandat d'arrêt.
Il s'est avéré que cette arrestation était motivée par le fait que M. Smain n'aurait pas répondu à 2 convocations du parquet général de Relizane, pour se soumettre à une contre-expertise médicale auprès d'un médecin désigné par ce même parquet dans le cadre de sa demande de grâce. Or, il n'a jamais reçu ces convocations.
Il faut rappeler que M. Smain a été condamné le 5 janvier 2002 par le Tribunal de Relizane à deux mois de prison ferme suite à la publication d'un article dans lequel d'anciens miliciens qui durant des années ont terrorisé la population dans la wilaya de Relizane étaient mis en cause dans des enlèvements et exécutions. Après dix années de procédure, la Cour suprême d’Alger, par une décision du 27 octobre 2011, a condamné Mohamed Smaïn pour « dénonciation calomnieuse » et « dénonciation de crimes imaginaires » à deux mois de prison ferme.
Mohamed Smain qui avait entrepris dès 1995 des enquêtes sur les agissements de ces milices, a pu dresser une liste non exhaustive de plus de 200 personnes disparues, dont la majeure partie a été enlevée par des miliciens, souvent en compagnie de militaires, d'agents du DRS ou de gendarmes. Mais surtout, il a pu dès 1999, grâce au concours d'habitants de la région, localiser une douzaine de charniers à Rélizane et les environs où ont été enterrées des dizaines de personnes torturées et exécutées sommairement.
En 2004, il a publié en France un livre dans lequel il documente de très nombreux crimes commis par ces miliciens mais témoigne également de la cabale montée contre lui depuis près de quinze ans en raison de son engagement en faveur de la vérité et de la justice. Il mène depuis le début de ses investigations un combat contre de redoutables adversaires, puisque ces anciens miliciens étaient des fonctionnaires d’État qui continuent à ce jour de bénéficier de la protection et de l’État et de la justice.
Il faut également rappeler qu'une plainte pour actes de torture et de barbarie et crimes contre l'humanité avait été déposée en octobre 2003 à Nîmes en France par la FIDH et de la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH), soutenue par la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), section Rélizane, contre deux membres des milices de Rélizane, les frères Abdelkader et Hocine dit « Adda » Mohamed. M. Smaïn avait été appelé à se constituer partie civile dans cette affaire.
Suite à la condamnation prononcée par la Cour suprême, Mohamed Smaïn a introduit auprès du Ministère de la justice en mars 2012 une demande de grâce pour des raisons de santé. Il n'est pas concevable qu'il ne réponde pas à une convocation du parquet général pour se soumettre à un examen médical alors qu'il avait entrepris cette démarche. Il avait fourni un dossier médical attestant de la gravité de son état de santé qui nécessite une prise en charge à l'étranger.
Il est évident que cette arrestation a pour but de faire taire l'un des rares défenseurs des droits de l'homme qui dans la région de Relizane a osé affronter des criminels qui très vraisemblablement jouissent à ce jour de protections puisqu'ils n'ont jamais été poursuivis.
Pour rappel
A Rélizane, une seule famille et ses alliés ont dirigé les milices de la wilaya et ce dès 1994, alors que les « groupes d'auto-défense », comme elles étaient appelées officiellement, n'ont été officialisés par un décret qu'en janvier 1997. Parallèlement à ces fonctions paramilitaires, les membres de cette famille avaient été désignés comme délégués exécutifs communaux (DEC) en remplacement des maires élus qui avaient été destitués après le coup d’État en janvier 1992. Ces miliciens-maires régnaient en maîtres sur les mairies de Rélizane, Djédioua, Hmadna, Zemmoura, Oued Djemaâ, Bendaouad, Ouled Sidi Mihoub et Sidi M’Hamed Benaouda et terrorisaient la population.
Le 26 mai 2000 Mohamed Smain prend des photos d'un charnier à Sidi-M'hamed Benaouda, au lieudit Kharrar. Le 6 février 2001, le quotidien arabophone Er-Ray, contacté par des familles de disparus alarmées par des rumeurs faisant état du déplacement de ce charnier, prend contact avec M. Smaïn, mais les forces de sécurité, déjà informées, bouclent le périmètre et avec l'aide de membres de la milice locale, déplacent les restes d'une vingtaine de dépouilles vers le cimetière communal pour les enterrer dans des tombes anonymes. Quant à Mohammed Smaïn, il est convoqué et interrogé pendant des heures par les gendarmes.
Le journal fait sa Une du déplacement du charnier et d'autres organes de presse rapportent ces faits et également l'audition de M. Smaïn par la gendarmerie. Ils évoquent les actes commis par Mohammed Fergane et sa milice en les qualifiant de « crimes contre l'humanité ». Suite à ces révélations, M. Fergane porte plainte contre M. Smaïn, conjointement avec sept ex-membres de sa milice.
Le procès en diffamation qui se déroule le 29 décembre 2001 offre pour la première fois aux familles de disparus l'occasion d'accuser devant un tribunal Mohammed Fergane des crimes qu'il a commis avec sa milice, mais pour lesquels il n'a jamais été jugé. Pour la première fois, elles peuvent raconter les enlèvements de leurs proches, les exécutions sommaires, les massacres, leurs souffrances et leur espoir de voir jaillir la vérité. Ce procès dans lequel Mohammed Smaïn devait être jugé pour diffamation et dénonciation calomnieuse, est celui des miliciens et « des charniers ».
M. Smaïn est néanmoins condamné le 5 janvier 2002 par le Tribunal de Rélizane à deux mois de prison ferme. En appel, cette condamnation est confirmée et multipliée par six, soit une année de prison ferme. Le marathon judiciaire continue cependant jusqu'au 27 octobre 2011, date à laquelle la Cour suprême d’Alger condamne Mohamed Smaïn pour « dénonciation calomnieuse » et « dénonciation de crimes imaginaires » à deux mois de prison ferme, 50 000 dinars algériens d’amende (environ 510 €) et 10 000 dinars algériens (environ 100 €) de dédommagement en faveur de chacun des plaignants.
Il est manifeste que les miliciens qui ont sévi entre 1994 et 1997 dans la région de Rélizane, en particulier ceux enrôlés par l’État et qui portaient des responsabilités administratives bénéficient d'une impunité totale en Algérie. Depuis 1998, leurs crimes sont régulièrement révélés sans qu'ils n'aient à craindre d'être poursuivis.
À ce jour des dizaines de familles ne connaissent pas le sort réservé à leurs parents enlevés par ces miliciens et disparus depuis.
Algeria-Watch proteste vivement contre l'arrestation de Mohamed Smain et demande qu'il soit immédiatement libéré.
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Vérité et Justice Pour l’Algérie
Association pour la défense et la promotion des droits Humains
Communiqué
Algérie :
Halte à la machine répressive,
Libérez Mohamed Smain, membre de la LADDH de Relizane!
Paris le 20 juin 2012
Encore une fois l'Etat Algérien a frappé par sa terreur, seule arme et seule stratégie actuelle employée contre les militants et défenseurs des droits de l'Homme et donc contre celles et ceux qu'il juge opposés à sa politique et dangereux pour son maintient.
Mardi 19 juin 2012, Mohammed Smain âgé de 70 ans, fervent défenseur des Droits de l’Homme en Algérie, a été arrêté par les éléments de la BMPJ (Brigade mobile de la police judiciaire) dépendant de la Sûreté de wilaya de Relizane, à 10 heures du matin au niveau du centre-ville, alors qu'il ne faisait l'objet ni d'un mandat d'amener ni d'un mandat d'arrêt. Motif évoqué, le refus de ce dernier de se rendre à 2 convocations émanant du parquet général de Relizane, pour se soumettre à une contre-expertise médicale auprès d'un médecin désigné par ce même parquet. Or, ces convocations pour se rendre auprès du médecin désigné par le PG de Relizane ne sont jamais parvenus à leur destinataire, qui a pourtant demandé la grâce, pour raison médicales, à sa condamnation en décembre 2011, à 2 mois de prison ferme pour diffamation et dénonciation de crimes imaginaires suite à une plainte de Mohamed Fergane ancien maire de Relizane et, surtout, ancien chef de la milice de la wilaya, réputée pour avoir fait disparaître par dizaines des citoyens de la région entre 1993 et 1997.
L'affaire de Mohammed Smain qui perdure depuis plus de 10 ans aujourd'hui et son arrestation survenue hier par les éléments de la police judiciaire, est révélatrice de l'instrumentalisation faite par le pouvoir exécutif de la justice, soumise aux ordres pour imposer non pas la loi et le droit mais l'omerta et l'interdiction de toute forme d'opposition à l'encontre du pouvoir en place.
D’autre part, depuis plusieurs jours, de nombreux militants et défenseurs des droits de l’Homme sont harcelés et poursuivis pour des accusations fantaisistes « attroupement non armés » et leurs passeports confisqués.
Aujourd'hui, il est plus qu'urgent pour nous militants des droits de l’Homme et pour le changement démocratique en Algérie, de se mobiliser pour mettre fin au règne de l’arbitraire et aux injustices nombreuses que subissent les opposants au régime Algérien, de réclamer la libération effective et immédiate de Hadj Smain gravement malade et incarcéré, ainsi que l’arrêt inconditionnel des poursuites à l’encontre de tous les militants et défenseurs des droits de l’Homme.
P/ VJPA
Nedjma Benaziza
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L'arrestation du militant des droits humains Hadj Smaïn rouvre le dossier des disparus
Samy Injar, Maghreb Emergent, 19 Juin 2012
Le militant des droits de l'homme Mohamed Sma ïn a été arrêté ce mardi matin à son domicile à Relizane pour être placé sous mandat de dépôt. Il attendait une expertise médicale. L'ancien vice-président de la LADDH, 69 ans, est poursuivi par une décision judiciaire définitive de deux mois de prison ferme pour « diffamation ». Une plainte portée en 2002 par la milice locale de Relizane, accusée par les familles d'avoir fait disparaître plusieurs dizaines de citoyens entre 1993 et 1997.
Mohamed Smaïn, connu à Relizane sous le nom de « Hadj Smaïn », figure nationale de la lutte pour la vérité sur les disparitions forcées en Algérie durant les années 1990, est allé en prison ce mardi. Le procureur général adjoint de Relizane, M. Derragui, a fait exécuter un mandat d'arrêt émis à son encontre consécutivement à la décision de la Cour suprême à la fin de l'année dernière de confirmer la peine de deux mois de prison pour « diffamation » prononcée contre lui en 2002 par la Cour de Relizane.
Des policiers se sont présentés ce matin au domicile de la famille Smaïn et ont procédé à l'arrestation du militant des droits de l'homme. Ses avocats avaient présenté une demande d'expertise médicale au procureur. Hadj Smaïn, 69 ans, qui a subi un triple pontage coronarien en 2006, soigne depuis un an un cancer de la prostate. Le procureur de la République a affirmé avoir envoyé des convocations à Hadj Smaïn, ce qu'a nié avec force le détenu, selon un de ses fils qui l'a accompagné à la présentation.
Un marathon judicaire qui dure depuis 2002
L'affaire qui vient de conduire en détention l'ancien vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a été jugée en 2002 en première instance puis en appel. Elle avait produit une sentence de 2 mois de prison ferme et d'une amende à l'encontre de Mohamed Smaïn, accusé d'avoir diffamé Mohamed Ferguène, ancien maire de Relizane et, surtout, ancien chef de la milice de la wilaya, réputée pour avoir fait disparaître par dizaines des citoyens de la région entre 1993 et 1997.
Les deux procès au tribunal de Relizane puis à la Cour d’appel avaient mis face à face, en présence d'ONG internationales, les familles des disparus et les anciens miliciens de la wilaya. Les audiences avaient livré des témoignages directs et sans ambigüité sur le rôle direct de la milice et de son chef dans l'enlèvement de plusieurs citoyens de Relizane, Jdiouia, H'madena et Sidi Mohamed Benaouda. La sentence de deux mois de prison pour diffamation pour des articles parus dans la presse régionale avait été interprétée par la LADDH et les organisations de familles de disparus comme une volonté de maintenir une pression judiciaire sur un animateur important du mouvement pour la vérité sur les disparitions forcées.
Une arrestation en suspens depuis plusieurs mois
La décision prise fin 2011 par la Cour suprême de confirmer les deux mois de prison ferme à l'encontre de Mohamed Smaïn l'exposait à une arrestation depuis plusieurs mois. Le militant des droits de l'homme avait pu, cependant, continuer à se rendre chez son fils à l'étranger, notamment pour des avis médicaux. Il avait décidé d'introduire une demande de grâce médicale consécutive à l'expertise requise mais il semble que la Cour de Relizane n'ait pas fait suivre au ministère de la Justice la requête prévue par la loi dans le cas des petites peines de prison.
La menace d'arrestation de Mohamed Smaïn avait suscité une campagne internationale de soutien des différentes ONG et conduit, pour la première fois, à l'interpellation officielle de l'Algérie par la Commission africaine des droits de l'homme sur le sort fait à un militant des droits de l'homme. Me Mustapha Bouchachi, encore président de la LADDH, avait exprimé sa grande inquiétude après la décision de la Cour suprême mais pronostiquait que l'Etat ne franchirait pas le pas de mettre en détention Mohamed Smaïn avec le risque de s'exposer au monde à nouveau sur le dossier, toujours aussi sensible, des disparitions forcées. Le pas a été franchi en ce début d'été 2012.
Vers la relance, en France, du dossier des disparus algériens
Pour une source proche du dossier des disparitions en Algérie, Mohamed Smaïn pourrait faire directement les frais de la probable relance, avec l'arrivée des socialistes au pouvoir en France, de l’affaire des frères Abdelkader et Adda Mohamed, miliciens à J'diouia durant les années 1990.
En effet, le gouvernement précédent de droite avait accepté, par le biais de son ministère public, de temporiser dans une procédure judiciaire près du tribunal de Nîmes dans le sud de la France qui avait débouché, en 2004, sur la mise sous contrôle judiciaire des frères Abdelkader et Adda Mohamed, refugiés en France et confondus par plusieurs témoins parmi les proches des disparus. Les services de sécurité algériens avaient reproché plus d'une fois à Mohamed Smaïn d'être l'artisan de la venue en France de plusieurs de ces témoins de la wilaya de Relizane.
A quand la vérité sur les disparitions des années 1990 ?
L'affaire de Nîmes avait provoqué un premier refroidissement entre Alger et Paris avant même l'interpellation, en août 2008, de Mohamed Ziane Hassani, diplomate algérien, confondu avec un homonyme impliqué dans l'assassinat d’Ali Mecili en 1987 à Paris. « Les éléments pour organiser un procès des frères Mohamed sont réunis. C'est un blocage politique qui a fait que cela ne s'est pas produit depuis 2004. Mme Taubira, la nouvelle Garde des sceaux dans le gouvernement Ayrault, peut très bien faire reprendre son cours à la justice, à l'abri des pressions diplomatiques », estime cette source juridique.
Hadj Smaïn est l'auteur d'un livre-témoignage sur les crimes commis à Relizane dans les années 1990, publié en 2006 en France par les éditions Bouchène et étrangement aussitôt épuisé. Plus de 7.000 cas de disparitions forcées du fait des services de sécurité et des milices auxiliaires sont reconnus par le gouvernement algérien. Mourad Medelci, le ministre des Affaires étrangères, a affirmé, il y a quinze jours à Genève, devant la Commission onusienne des droits de l'homme, que le traitement du dossier allait avancer.
In : http://www.algeria-watch.org/fr/mrv/mrvrepr/smain_arrete.htm
Boualem Sansal a reçu hier soir, au siège de son éditeur A. Gallimard, le "Prix du roman arabe" pour son dernier roman "Rue Darwin" et je m’en félicite. Un prix dont le jury a expurgé (si j'ose) le mécène, le conseil des ambassadeurs arabes qui avait il y a trois semaines retardé l'attribution du prix (prévue le 06 juin) à Boualem Sansal, « en raison des événements actuels dans le monde arabe » pour mieux l'oublier, confondant l'écriture du romancier avec son voyage en Israël. Car en effet le drame pour ces officiels arabes qui se cachent ou s’expriment à travers ce conseil, est que l'écrivain se soit rendu dans ce pays honni (‘honni’ à juste titre. Entendons nous, honnir: condamner pour cause de transgression des normes éthiques). Personnellement j'applaudis des deux mains cette attribution, quoique symbolique, mais je ne peux exclure ce qui à mon sens devrait faire débat, à savoir le silence de Boualem Sansal lors de sa visite en Israël (du 13 au 16 mai), quant au sort fait par cet état aux Palestiniens. Aller en Israël n'est pas un problème, je l'ai écrit. On ne trahit pas la cause du peuple palestinien par le simple fait de se déplacer dans ce pays. Combien de dirigeants arabes ont trahi les Palestiniens sans avoir eu à s’extraire de leurs bureaux ! Nombre de médias et d’intellectuels arabes tombent sur l'écrivain à bras raccourcis pour la seule raison qu'il s'est rendu dans ce pays (ou pour régler de mauvais comptes). Les médias occidentaux de leur côté ne valent pas mieux, ne mettant l'accent que sur cet aspect en avançant que l'écrivain est un homme libre (ceci est incontestable néanmoins) et en évacuant SYSTEMATIQUEMENT le véritable problème, la question coloniale. La manipulation (ou l'aveuglement) est aussi bien le fait des uns que des autres. Les médias français (à l’exclusion de Médiapart) ne faisant pas même une seule allusion à l'état colonial (ci-dessous Le Nouvel Obs et autres). Sansal, lui, a le droit non seulement de se déplacer où bon lui semble, mais avoir le droit de ne pas soutenir les Palestiniens, de dire qu’il n’y a pas de fait colonial à leur endroit. J’ai le droit à mon tour de le lui reprocher et de lui répondre, comme l'a fait Elias Sanbar récemment : « je suis en total désaccord avec toi quant à ton affirmation qu’il n’y a pas eu et qu’il n’y a pas d’entreprise coloniale en Palestine » (entretien avec Antoine Perraud dans Mediapart - vidéo ci-dessous). Cette question n’a pas été abordée par les médias en France (exemple vidéo sur F. Inter, ci-dessous) , préférant mettre en relief Hamas, qui fait bander nombre de journalistes français rien qu'à l'évocation du nom. "Khamas" disent-ils (en hébreu, "kh" exactement comme le font les Israéliens, car ce terme renvoie tant à l'organisation qu'à un autre sens, détestable... alors...) et ils mettent sous le boisseau les pratiques cruelles de l’Etat hébreux depuis des décennies. Nous en avons l'habitude et ne les connaissant que trop bien.
A.H.
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Boualem Sansal sur France Inter, ce matin:
http://www.franceinter.fr/emission-le-79-boualem-sansal
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Sansal répond aux questions de Médiapart.
http://www.youtube.com/watch?v=xg7GbMz78Mw
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Comment Boualem Sansal a fini par recevoir le prix du Roman arabe
Après une décision honteuse des pays arabes qui finançaient le prix, celui-ci a été remis au courageux auteur de «Rue Darwin», chez son éditeur.
Il y avait du monde, ce jeudi 21 juin, dans le salon bleu des éditions Gallimard. Des gens de la maison, bien sûr, comme le patron (Antoine Gallimard), la mémoire des lieux (Roger Grenier) ou le lauréat du dernier Goncourt (Alexis Jenni). Mais aussi Jean Daniel et, par exemple, le staff qui dirige Radio-France: Jean-Luc Hees, Philippe Val, Olivier Poivre d'Arvor.
Ils n’étaient pas là pour fêter la musique, ni seulement pour avaler des petits fours. Il s'agissait d'applaudir un petit homme coiffé d'une queue de cheval et vêtu d'un blouson d'un vert douteux: Boualem Sansal recevait le prix du Roman arabe pour son dernier roman, «Rue Darwin».
C'est pourtant le genre de prix littéraire dont pas grand-monde ne parle, d'habitude. Sauf que cette fois, on en a beaucoup causé depuis que les pays arabes, qui le financent, ont décidé qu'un personnage comme Sansal ne méritait ni tant d'honneur, ni le chèque de 10.000 euros qui traditionnellement l'accompagne. Ces pays n'ont manifestement pas apprécié que l'écrivain algérien du «Village de l'Allemand» participe, il y a quelques semaines, à un festival littéraire israélien. Ils ont donc annulé la cérémonie initialement prévue, ce 6 juin, à l'Institut du Monde Arabe. Ils ont, surtout, réussi à lui faire la plus belle des publicités, puisque le jury du prix du Roman arabe a bruyamment fini par rompre avec ses mécènes, et par décerner quand même son prix à Sansal, chez son éditeur.
Il a été question de certains ambassadeurs arabes, qui n’auraient agi que sur ordre de leur hiérarchie et des gouvernements qu’ils représentent (son voyage en Israël leur a-t-il servi de scandaleux prétexte pour régler de vieux comptes avec un dissident qui n’hésite guère à dire combien l’islamisation et la dictature le désolent? Certains membres du jury n’excluent pas l’hypothèse). Il a été question de l’indépendance des écrivains, dont il faudra bien comprendre un jour qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes. Il a enfin été question, dans la bouche du romancier, lauréat l’automne dernier du très prestigieux prix de la Paix des libraires allemands, de la paix qu’il faut toujours s’efforcer de promouvoir.
Aujourd’hui, Boualem Sansal repart pour l’Algérie après avoir donné des interviews à France Culture et à France Inter. Il y a dit combien cette affaire lui a semblé «insupportable». Il sait que l’exposition médiatique dont il bénéficie en Europe le protège, dans son pays, des «institutions» et de «l’Etat». Mais il sait aussi que «contre les fous, au contraire, ça expose». Et il suffit, hélas, de lire un peu ce qui s’écrit sur lui dans son pays pour comprendre que cette exposition-là n’est pas seulement d’ordre intellectuel, ou symbolique.
N’empêche. Parce qu’il considère qu’«être silencieux à Alger» rend «peut-être» plus puissant que d’être «causeur à Paris», Sansal trouve plus important d’être «là-bas». Les diplomates pathétiques qui finançaient le prix du Roman arabe n'ont décidément rien compris.
Grégoire Leménager
PS. Présidé par Hélène Carrère d’Encausse, le jury du prix du Roman arabe est composé de Hélé Béji, Tahar Ben Jelloun, Pierre Brunel, Paule Constant, Paula Jacques, Christine Jordis, Vénus Khoury-Ghata, Alexandre Najjar, Danièle Sallenave, Elias Sanbar, Josyane Savigneau et Robert Solé. Olivier Poivre d'Arvor, qui disait en avoir démissionné de manière définitive, l'a réintégré. Et voilà désormais le prix à la recherche d'un «nouveau sponsor», a déclaré Tahar Ben Jelloun à l'AFP. Avis aux amateurs?
le 22-06-2012
http://bibliobs.nouvelobs.com
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Ecrivain sans frontières
Invités tous deux fin mai par la Foire du livre de Prague, Boualem Sansal me dédicaçait amicalement son livre Le village de l'Allemand (Gallimard, 2008), "en souvenir de notre heureuse rencontre à Prague". Justement à Prague, ville carrefour d'une Europe pas si heureuse, autrefois meurtrie, mais ville symbole de Vaclav Havel, et d'autres qui surent par leurs écrits résister aussi au XXe siècle aux étouffements du totalitarisme.
Du nord au sud comme d'est en ouest, l'œuvre de Boualem Sansal questionne les vieux démons totalitaires du XXe siècle. Car Boualem Sansal comme beaucoup d'écrivains est sans frontières ou apatride. Pourtant on croyait bien au pays de Kafka, ces vieux démons du XXe siècle véritablement enterrés, relevant d'une seule fiction, en écho au titre prémonitoire d'un de ses précédents livres Le serment des barbares. Comme si Boualem Sansal depuis son retour en Algérie était lui-même devenu le héros malgré lui de ses propres fictions. S'étant rendu mi-mai à Jérusalem invité à présenter Le village de l'Allemand traduit en hébreu, il est un des rares auteurs du monde arabe à aborder frontalement la question souvent taboue de la Shoah. Pour avoir révélé sur un mode fictionnel dans ce roman l'histoire vraie d'un SS allemand réfugié en Algérie venu y former les cadres de l'armée nationale après l'indépendance. Le retour des fantômes : ici se télescopent réalité et fiction autour des suites de la guerre civile algérienne des années 1990 qui se conclua elle aussi par d'autres centaines de milliers de tueries impunies...
Mais aller à Jérusalem, capitale des monothéismes, pour un écrivain sans frontières est aujourd'hui synonyme de fatwa aux conséquences imprévisibles. Comme les livres, celle-ci circule plus vite relayée par les médias mais ne connaît non plus de véritables limites. Dans leur prêche quotidien du vendredi, les Ayattolahs avaient commencé à coloniser l'Université de Téhéran devenu premier lieu de prière au détriment de la Mosquée pour islamiser peu à peu les lieux profanes de la pensée. Dès septembre 1988, Salman Rushdie banni pour ses écrits par ces Ayatollahs dû éprouver cette condition de l'écrivain maudit pour devoir survivre dans la clandestinité dans différents endroits du monde.
Faudra-t-il que Boualem Sansal continue à se terrer dans son village près d'Alger, à craindre l'incertitude, condamné à distance par le Hamas qui n'a sans doute jamais lu son œuvre mais aussi honni dans son propre pays l'Algérie comme nouvel ennemi fantasmatique de la cause palestinienne ? Boualem sans doute bien mal lu dans le Proche-Orient, souligne l'existence d'Auschwitz et rappelle à sa manière l'existence vraie d'un SS devenu moudjahid. La fatwa déborde les frontières avec d'autres conséquences puisqu'un écrivain peut aussi être discrédité en plein Paris par des ambassadeurs accrédités du monde arabe, réfugiés eux dans leur seule raison d'Etat, ne souhaitant plus aujourd'hui faire décerner ce prix annuel du meilleur roman arabe pourtant déjà attribué par un jury d'écrivains impartiaux pour son dernier roman Rue Darwin.
L'islamisme autoritaire, relayé par ces derniers représentants d'une pensée officielle, a encore une fois banni la liberté d'expression au nom du populisme ou du politiquement correct. Au fond un écrivain, véritable ambassadeur de la paix éveillerait-il des lecteurs à une nouvelle forme de littérature considérée in fine comme "mal voilée" ? Ironie du sort, en 1939, le philosophe Walter Benjamin, juif allemand et donc devenu "sans nationalité", traqué pour se suicider à Port Bou, avait lui songé pour échapper au nazisme à partir en Palestine pour y trouver la liberté... Boualem Sansal pourra enfin la retrouver le 21 juin chez son éditeur à Paris pour recevoir son prix et s'exprimer dans l'attente de printemps meilleurs.
Kristian Feigelson, coauteur de Just images, ethics and cinematic (Cambridge Press, 2011).
Kristian Feigelson, sociologue, Sorbonne-Nouvelle/EHESS
Le Monde.fr | 21.06.2012
In : http://www.lemonde.fr
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Avigdor Lieberman demande à Laurent Fabius d'aider l'écrivain Boualem Sansal
Lors de leur rencontre hier à Bruxelles, le ministre israélien Avigdor Liberman a fait part à son homologue français Laurent Fabius que bien que des éléments radicaux dans de nombreux Etats du Moyen-Orient ont gagné en force, le « printemps arabe » a aussi révélé de nouvelles forces des jeunes, instruits et libéraux. Ces forces comprennent que leur problème n’est pas le sionisme israélien ou les Juifs. Mais qu’il s’agit de la pauvreté, de l’énorme fossé entre la majorité de la population et un petit groupe qui détient les richesses par l’exploitation inéquitable des ressources naturelles et de la division injuste du revenu de ces ressources. Le plus grand danger pour ces nouvelles forces est le radicalisme et les groupes militants identifiés avec le djihad, l’Iran et Al Qaida. (…) Avigdor Liberman a également soulevé la question de l’écrivain algérien Boualem Sansal, qui devait recevoir le prix du roman arabe.
Les commanditaires, les ambassadeurs à Paris des pays de la Ligue des États arabes, ont décidé d’annuler la cérémonie et de retirer le prix à la suite de la participation de Sansal à l’International Writers Festival à Jérusalem en mai.
Le ministre israélien à remis au ministre français une lettre dans laquelle il demande au gouvernement de la France d’aider Sansal, qui vit à Paris, et de soutenir publiquement sa position concernant la discussion et le dialogue entre Israël et les États arabes. Pour Liberman : « c’est le devoir moral du gouvernement français. »
24 Juillet 2012 Par Lucas Martin
In : http://blogs.mediapart.fr/
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Lettre ouverte à Boualem Sansal
Cher Boualem,
Le refus - d'ailleurs embarrassé - des ambassadeurs arabes, qui au surplus n'étaient pas unanimes, de te remettre un prix, a fait de toi une star. Or je sais que tu détestes cela et que tu n'aimes pas profiter, sur un plan personnel, de la défense que tu t'es imposée des justes causes. Tu es un romancier dont le talent est reconnu - je dirais même consacré - par l'un des jurys les plus exigeants d'Europe, celui du Prix de la Paix des libraires allemands.
On ne peut parler de la littérature francophone sans te citer, et il y a autant de gens estimables qui te réprouvent que de gens peu estimables qui t'approuvent. C'est cela qu'Henry de Montherlant, qui a écrit de beaux textes sur notre terre natale, a accepté d'appeler la gloire. Il ajoutait : "Tout le problème ensuite c'est ce qu'on réussit à en faire".
Pour ma part, tu sais avec quelle chaleur et fidélité je partage tes succès littéraires depuis que j'ai lu ton premier livre "Le serment des barbares", depuis que je t'ai écrit qu'il me rappelait mon ami Kateb Yacine, et depuis que tu as participé à un hommage qui m'était rendu aux côtés de Lakhdar Brahimi, ancien ministre algérien et d’Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël à Paris. Déjà, par notre réunion à tous quatre, nous avions abattu nos cartes et indiqué le chemin : celui de la fraternité, de la culture.
"Nous ne sommes pas des modérés"
Pour moi, quelles que fussent les outrances capricieuses que tu te permettais sur notre terre natale et dans notre langue, le français, j'appréciais plus que tout ton indépendance. Ce n'est pas un mot que l'on peut employer à la légère. Car il définit un comportement incroyablement exigeant devant toutes les pressions, toutes les influences, toutes les modes et toutes les injonctions dont nous sommes accablés.
Quelqu'un a dit de moi que mon indépendance était faite de modération et j'en ai été fort irrité. Car c'est tout le contraire. Nous ne sommes pas des modérés, ni toi ni moi : nous combattons sur tous les fronts, et ce presque en même temps. J'ai écrit un livre, un jour, sur la condition juive. Un grand ami disparu, Mohammed Arkoun, m'a fait l'honneur de dire qu'il voudrait pouvoir écrire sur l'islam avec la même liberté que celle dont j'avais alors fait preuve. Des hommes comme toi sont en train de montrer le chemin préconisé par Arkoun.
La sainteté unit
Voici qui me fait penser à tes propres attitudes. Non content d'avoir vitupéré contre tous ceux qui ont confisqué la mémoire et l'honneur d'une révolution algérienne - qui reste grande lorsqu'on n'oublie pas que des hommes et des partis très différents l'ont conduite ; non content de cette iconoclastie, tu t'es rendu librement, spontanément, naturellement, en Israël. La terre qui devrait être sainte, car la sainteté unit et le sacré divise. Tu as rejoint ici l'esprit même de l'universel. Ce que l'on ne dit pas, en te critiquant ou en te rendant hommage, c'est qu'il y a en Israël - je viens d'en apprendre le chiffre - 452 organisations qui ont décidé, soit par la musique, soit par la médecine, soit par l'athlétisme, de fonder leur action sur l’entente israélo-palestinienne.
Tout le monde cite à juste titre les noms de Daniel Barenboim et d’Edward Saïd, qui ont formé des orchestres judéo-arabes un peu partout dans le monde. Mais sait-on qu'un homme comme Daniel Schulman, spécialiste du sanskrit, a créé un organisme chargé de reconstruire, tous les jours, les immeubles des Palestiniens détruits par des nouveaux colons ?
Cette dernière histoire nous rappelle d'ailleurs que ces colons existent - et je parlais d’eux récemment. Avec David Grossman, ce grand romancier dont je suis heureux d'apprendre que tu es devenu l'ami. J'ai eu l'émouvant honneur de partager avec lui un prix à Barcelone. Je suis heureux de te parler de lui pour te suggérer de veiller comme lui à n’être récupéré par personne. Il ne faut pas que notre indépendance profite à nos ennemis. Il est plusieurs Algéries, mais il y a deux Israël, dont l'un, celui des colons, ne fait pas partie de notre univers. L'histoire les a placés là où ils sont, mais eux estiment que c'est Dieu qui les y a installés. Nous avons tous les deux nos obscurantistes. Je répète que l'indépendance consiste à se battre contre eux, et sur tous les fronts. C'est harassant ! Sans doute ! Tu peux en croire ton vieil ami qui t'embrasse !
le 19-07-2012 Par Jean Daniel
In : http://tempsreel.nouvelobs.com
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NOUS N'OUBLIERONS PAS DE SITOT LES POSITIONNEMENTS STIGMATISANTS, PARFOIS HAINEUX et XENOPHOBES DE CERTAINS LEADERS DE LA MAJORITE SORTANTE A L'EGARD DES FRANCAIS D' ORIGINE MAGHREBINE OU DE CONFESSION MUSULMANE
ET DES ETRANGERS
Parfois, certains des propos nauséeux de ces mêmes responsables de l'UMP (quant au FN c'est un de ses fondements), à leur tête l'innommable ex président, nous ont renvoyés aux temps de Vichy et du pire.
AUJOURD'HUI ILS SONT BALAYES PAR LES URNES.
In: Rue89
------------- LISEZ, ECOUTEZ, c'est révoltant et pitoyable, ICI: -----------
http://www.rue89.com/rue89-politique/2012/06/15/nadine-morano-piegee-marine-le-pen-beaucoup-de-talent-233017
----------------------------------L'immigration en France : De la rhétorique xénophobe à la réalité des chiffres
En France, l’instrumentalisation de la question migratoire a historiquement été le fait de l’extrême droite. Désormais, la digue républicaine a été rompue par la droite traditionnelle qui n’hésite plus à reprendre cette thématique et à stigmatiser les immigrés.
En France, l’instrumentalisation de la question migratoire a historiquement été le fait de l’extrême droite. Désormais, la digue républicaine a été rompue par la droite traditionnelle qui n’hésite plus à reprendre cette thématique et à stigmatiser les immigrés. Face à ce discours de conviction ou de circonstance destiné à désigner un bouc émissaire à la crise économique et sociale qui ravage l’Europe, il est intéressant de confronter la rhétorique à la réalité des chiffres.
En France, en pleine campagne électorale pour les législatives du 10 et 17 juin 2012, la droite et l’extrême droite ont axé leur discours sur le thème de l’immigration et la peur de l’étranger. Marine le Pen, présidente du Front National (FN - extrême droite) et l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP - droite) sont unanimes à ce sujet : le principal problème de la France serait l’immigré, responsable des difficultés économiques et sociales du pays, à savoir le déficit public et le chômage.
De façon classique, Marine le Pen accuse l’immigration, officiellement évaluée à 200 000 entrées par an, d’être responsable de tous les maux : « L’immigration représente un coût important pour la communauté nationale[1] ». Elle s’est donc engagée à la réduire de 95%, c'est-à-dire à la limiter à 10 000 entrées par an[2].
Lors de la campagne présidentielle, le candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, dont le conseiller privilégié Patrick Buisson est un transfuge de l’extrême droite, n’avait pas hésité à reprendre le discours de l’extrême droite et à dénoncer l’invasion migratoire en provenance d’Afrique : « Si les frontières extérieures de l’Europe ne sont pas protégées contre une immigration incontrôlée, contre les concurrences déloyales, contre les dumpings, il n’y aura pas de nouveau modèle français et il n’y aura plus de civilisation européenne. Si nous avons fait l’Europe, c’est pour être protégés, pas pour laisser détruire notre identité et notre civilisation[3] ».
Pour l’UMP, les problèmes de la France s’expliqueraient par la présence trop nombreuse de la population étrangère en France. Le président-candidat Sarkozy avait insisté à ce sujet : « Nous subissons les conséquences de cinquante années d’immigration[4] ». Selon l’UMP, qui s’est engagé à diminuer par deux le chiffre de l’immigration légale[5], « il y a trop d’immigrés en France[6] ».
Les chiffres de l’immigration
Ainsi, selon les thuriféraires de « l’identité nationale », le chômage et les déficits publics seraient dus au nombre trop élevé d’immigrés en France. Il convient à présent d’analyser les chiffres de l’immigration légale afin d’évaluer la validité de cette assertion.
Tout d’abord, contrairement à ce qu’affirme Marine le Pen, la France n’est pas la première destination des immigrants en Europe mais la cinquième, derrière le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne[7].
Par ailleurs, l’immigration européenne, le regroupement familial et les étudiants étrangers représentent 80% de l’immigration totale en France. Il est ainsi impossible pour l’Etat français d’agir sur les deux premiers groupes sans contrevenir aux conventions internationales et notamment à la Convention européenne des droits de l’homme pour ce qui est du regroupement familial. La seule marge de manœuvre possible concerne le nombre d’étudiants. Or il est difficile d’imaginer la nation française fermer ses portes à cette catégorie et à se priver ainsi de ce qui fait son rayonnement international, à savoir l’attractivité de ses universités. En effet, 41% des doctorants en France sont des étudiants étrangers[8].
Selon les chiffres de l’Office français pour l’immigration et l’intégration, parmi les 203 017 étrangers (hors Union européenne) accueillis en 2010, se trouvaient 84 126 personnes concernées par le regroupement familial (41,4%), 65 842 étudiants (32,4%) et 31 152 immigrés économiques (26,2%). On découvre ainsi que l’immigration économique n’arrive qu’en troisième position[9].
En réalité, l’immigration est une nécessité économique pour la France. En effet, les allégations concernant l’impact négatif des flux migratoires sur l’économie française (chômage et déficit) sont contredites par la réalité des statistiques. Une étude du Ministère des Affaires sociales portant sur le coût de l’immigration sur l’économie nationale révèle que les immigrés, loin de plomber le budget des prestations sociales, rapportent chaque année aux finances publiques la somme de 12,4 milliards d’euros, contribuant ainsi à l’équilibre du budget national et au paiement des retraites. Ainsi, ces derniers reçoivent de l’Etat 47,9 milliards d’euros (retraites, aides au logement, RMI, allocations chômage, allocations familiales, prestations de santé, éducation) et versent 60,3 milliards (cotisations sociales, impôts et taxes à la consommation, impôts sur le revenus, impôts sur le patrimoine, impôts locaux, contribution au remboursement de la dette sociale – CRDS et contribution sociale généralisée – CSG). Ce solde amplement positif détruit l’argumentaire du FN et de l’UMP au sujet de l’immigration[10].
Les professeurs Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, auteurs de l’étude, se montrent même favorables à une « politique migratoire plus ambitieuse » laquelle « contribuerait à une réduction du fardeau fiscal du vieillissement démographique » :
L’immigration a bien des effets sur les finances de la protection sociale en France. Ceux-ci sont globalement positifs. […] L’immigration, telle qu’elle est projetée dans les prévisions officielles, réduit le fardeau fiscal du vieillissement démographique. En son absence, le besoin de financement de la protection sociale à l’horizon du siècle augmente de 2 points de PIB, passant de 3% à environ 5% du PIB[11].
En outre, selon cette étude, il convient d’ajouter à ce solde positif net de 12 milliards d’euros par an d’autres revenus non monétaires d’une grande importance économique et sociale. Ainsi, les 5,3 millions de résidents étrangers établis en France (11% de la population) occupent dans leur immense majorité des emplois dont les Français ne veulent pas. Par ailleurs, 90% des autoroutes ont été construites et sont entretenues avec de la main-d’œuvre étrangère. Enfin, les prix à la consommation pour les produits agricoles, par exemple, seraient bien plus élevés sans les immigrés, ces derniers recevant souvent un salaire inférieur à celui des citoyens français[12].
De la même manière, dans le domaine de la santé, plus de la moitié des médecins hospitaliers présents dans les banlieues françaises sont d’origine étrangère. Il en est de même dans d’autres secteurs. Ainsi, 42% du personnel des entreprises de nettoyage est issu de l’immigration et 60% des ateliers de mécanique automobile de la région parisienne appartiennent à des entrepreneurs étrangers[13].
Le Comité d’orientation des retraites note, au contraire, que « l’entrée de 50 000 nouveaux immigrés par an permettrait de réduire de 0,5 point de PIB le déficit des retraites[14] ». L'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui regroupe les 34 pays les plus développés, estime de son côté que les immigrés jouent un « rôle décisif dans la croissance économique à long terme[15] ».
Ainsi, la rhétorique xénophobe visant à stigmatiser les populations issues de la diversité ethnique de la planète ne résiste pas un seul instant à l’analyse scientifique. L’immigration, loin d’être un fléau pour la société française, est au contraire une nécessité économique vitale.
Le Front de Gauche contre le Front National
Le Front de Gauche (FDG), qui est devenu en l’espace de trois ans la quatrième force politique du pays, dénonce ouvertement la stigmatisation des populations immigrées et affronte le FN et l’UMP sur ce terrain. Jean-Luc Mélenchon, porte-parole du FDG, a condamné les positions de la droite et de l’extrême droite : « Le problème de la France, ce n’est pas l’immigré, c’est le financier. Ce n’est pas l’immigré qui ferme l’usine. Ce n’est pas l’immigré qui condamne les autres à la pauvreté. C’est le capital financier et ses chiens de garde du Front national[16] ».
Dans son rapport annuel, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, organe du Conseil de l’Europe, a dénoncé la banalisation du discours hostile aux immigrés de la part des hommes politiques. « La réduction des prestations sociales, la diminution des offres d’emploi et l’augmentation conséquente de l’intolérance à l’égard des groupes d’immigrés et des minorités historiques » constituent des « tendances inquiétantes[17] ».
Au lieu d’aborder les questions fondamentales du partage des richesses et de la réduction des inégalités économiques et sociales, l’extrême droite française – désormais rejointe par la droite – préfère surfer sur la haine de l’étranger. En se basant sur des convictions racistes, elles stigmatisent ainsi une population, nommément celle originaire d’Afrique du nord et d’Afrique subsaharienne, et la rendent – à tort – responsable des ravages engendrés par l’application dogmatique de la doctrine ultralibérale.
Salim Lamrani
1. Front national, “Immigration : stopper l’immigration, renforcer l’identité française”. http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/autorite-de-letat/immigration/ (site acessado em 1º de junho de 2012).
2. Samuel Laurent, “Sarkozy-Le Pen: ce que rapproche leurs programmes, ce qui les separe”, Le Monde, 26 de abril de 2012.
3. Nicolas Sarkozy, “Discours de Nicolas Sarkozy, Place de la Concorde”, 15 de abril de 2012. http://www.lafranceforte.fr/medias/presse/discours-de-nicolas-sarkozy-place-de-la-concorde-dimanche-15-avril-2012 (site acessado em 2 de junho de 2012).
4. Nicolas Sarkozy, “Discours de Grenoble”, 30 de julho de 2010. http://videos.tf1.fr/infos/2010/le-discours-de-nicolas-sarkozy-a-grenoble-dans-son-integralite-5953237.html (site acessado em 2 de junho de 2012).
5. Le Point, “Sarkozy répète qu’il y a ‘trop’ d’immigrés en France”, 1º de maio de 2012.
6. Le Monde, “‘Il y a trop d’immigrés en France’, a déclaré Sarkozy sur RMC/BFMTV”, 1º de maio de 2012.
7. Cédric Mathiot, “Non, la France n’est pas le pays d’Europe qui accueille le plus d’immigration”, Libération, 28 de março de 2012.
8. Le Monde, “Les étudiants étrangers constituent 41% des doctorants en France”, 31 de maio de 2012.
9. Departamento Francês para Imigração e Integração, “Rapport d’activité 2010”, junho de 2011, p. 50. http://www.ofii.fr/IMG/pdf/OFII-RapportActivites_2010-Client-150DPI-FeuilleAF.pdf (site acessado em 2 de junho de 2012).
10. Xavier Chojnicki e Lionel Ragot, “Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale : une évaluation par l’équilibre général calculable appliqué à la France”, Centre d’études prospectives et d’informations internationales, maio de 2011, n° 2011-13, p. 41. http://www.cepii.fr/francgraph/doctravail/pdf/2011/dt2011-13.pdf (site acessado em 2 de junho de 2012).
11. Ibid.
12. Ibid.
13. Organização para a Cooperação e Desenvolvimento Econômico, “Perspectives des migrations internationales”, 2010. http://www.oecd.org/document/42/0,3746,fr_2649_201185_45626986_1_1_1_1,00.html (site acessado em 2 de junho de 2012).
14. Jean-Luc Mélenchon, “Discours de Strasbourg”, 22 de maio de 2012. http://www.dailymotion.com/video/xr0h1l_j-l-melenchon-discours-de-strasbourg_news (site acessado em 2 junho de 2012).
15. Le Monde, “Le Conseil de l’Europe s’alarme de la montée des discours xénophobes”, 3 de maio de 2012.
Article original en portugais :
http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/22276/imigracao+na+franca+da+retorica+xenofoba+a+realidade+dos+numeros+.shtml
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).
In : http://www.cameroonvoice.com/news/news.rcv?id=7153
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Sur son site, l'UMP propose des «questions de la semaine» stigmatisant les «étrangers». Les formulations sont aussi effarantes que les résultats.
«Pour lutter plus efficacement contre les actes de délinquance commis par une frange de la population qui a fait de la violation de la loi pénale son mode habituel de vie, doit-on expulser les étrangers auteurs de tels faits?» Non, vous n'êtes pas sur le site du Front national, mais sur celui de l'UMP, comme l'a repéré le blogueur Dadavidov. Dans la rubrique «agir» de son site officiel, le parti présidentiel propose aux internautes de répondre à la «question de la semaine» - présentée comme un «sondage» - par «oui» ou par «non».
«Les réponses ne seront pas utilisées pour des propositions de loi, elles seront consultées à titre informatif», peut-on lire. En réalité, les questions sont très orientées et la réponse attendue est «oui». Les résultats avoisinent d'ailleurs les 90% de réponses affirmatives (cf capture ci-dessous). Exemple: «Endetté, le département de la Corrèze, présidé par François Hollande, doit-il geler les salaires de tous ses élus et faire ainsi preuve, comme l'Etat, de gestion saine et rigoureuse?».
Les thématiques choisies sont également orientées. Sur 20 questions, 5 concernent les «étrangers», dont trois sur les huit dernières questions.
In : http://blogs.mediapart.fr/blog/marine-turchi
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Le FN et l'UMP menacent les malades et les minorités
Le FN a proposé de parquer les personnes vivant avec le VIH, qu'il tient pour contagieuses, dans des "sidatoriums". Marine Pen défend le pape dans sa croisade obscurantiste contre les préservatifs. Elle s'en prend aux étranger(ère)s, aux précaires, aux malades, aux LGBT (lesbiennes, gaies, bi(e)s et trans), et à de nombreuses autre minorités, qu'elle cherche à opposer entre elles. La politique que défend le Front national est incompatible avec la liberté, l'égalité, la fraternité, mais aussi la lutte contre le sida et les enjeux de santé. Quelle prévention du VIH réaliser auprès des populations les plus exposées dans un cadre politique qui les stigmatise, les réprime, les enferme ?
Ce cadre, nous le connaissons déjà en grande partie. Cela fait longtemps que l'UMP applique la politique du Front national : multiplication des propos racistes, xénophobes, sexistes ou homophobes ; délire sécuritaire qui attente aux libertés publiques et compromet les actions de prévention auprès des usager(ère)s de drogues, des prostitué(e)s ou des étranger(ères)s ; mise en avant de la prison et de l'enfermement comme seule réponse à tous les "problèmes de société", au mépris de la catastrophe sanitaire qui se déroule au sein du monde pénitentiaire, des personnes gravement malades sans soins de qualité, des nombreux décès ; et bien sûr application décomplexée du principe de préférence nationale aux politiques de santé.
Le parti de Nicolas Sarkozy a ainsi rendu l'Aide médicale d'Etat, la couverture maladie réservée aux sans-papiers, payante. Cette mesure discriminatoire est une entrave supplémentaire à l'accès au système de santé, notamment au dépistage et à la prise en charge précoce. De même, l'UMP a démantelé le titre de séjour pour soins obtenu de haute lutte par les associations en 1998. Dorénavant, grâce à Nicolas Sarkozy, on peut condamner à mort des personnes malades en les expulsant dans des pays où elles n'auront pas accès aux soins. Oui, sur la santé, comme sur bien d'autres sujets, le FN et l'UMP mènent les mêmes combats.
D'ailleurs, quand Le Pen père estimait que nous, personnes vivant avec le VIH, étions contagieuses, donc dangereuses, Nicolas Sarkozy, lui, maintient une discrimination à notre égard qui repose sur le même raisonnement : il a refusé de lever l'interdiction de soins funéraires qui pèsent sur nous, qui nous oblige à enterrer nos proches dans des conditions indignes, parfois dans des états de décomposition avancée. C'est pourquoi nous avons appelé le président sortant le candidat de la putréfaction.
Si nous faisons les comptes des votes Le Pen, Sarkozy et Dupont-Aignan, ce sont 48 % des votant(e)s qui, pour une raison ou pour une autre, ont donné leur soutien à des partis qui prônent la haine des minorités, stigmatisent les malades, les étranger(ère)s, les précaires, les LGBT, les drogué(e)s, les putes, les prisonnier(ère)s, et tant d'autres. Or, nous en sommes. Et si ce n'est pas nous, ce sont nos frères, nos sœurs, nos amant(e)s, nos maîtresses, les personnes avec qui nous travaillons, nos voisin(e)s, ou des inconnu(e)s.
Pour toutes ces raisons, nous appelons sans équivoque à en finir avec Nicolas Sarkozy. Or, cela ne sera possible que si le débat publique de l'entre-deux tours se polarise autour d'enjeux fondamentaux : les droits des personnes, la santé, le logement, les revenus, la qualité de vie. Cela implique que François Hollande rompe avec son discours abstrait, et s'engage concrètement contre tout ce que représente la droite extrême. Le candidat socialiste n'en prend pas le chemin.
Prenons l'exemple des franchises médicales. Cette mesure adoptée par l'UMP stigmatise les malades et les personnes handicapées, en les désignant comme coupables des déficits publics - une rhétorique en elle-même démagogique et d'extrême-droite. François Hollande refuse aujourd'hui de promettre concrètement son abolition dès les premiers mois de son mandat, laissant entendre qu'il veut d'abord assainir les comptes publics. Ce faisant, il donne raison aux partisans des franchises qui estiment que nous coûtons trop chers. Nous ne sommes que l'une des variables d'ajustement d'une logique économique à courte vue et sans considération des enjeux de santé publique.
Or François Hollande n'a aucune raison d'opposer les logiques budgétaires à nos vies et nos santés. Il peut par exemple diminuer drastiquement le prix éhonté des médicaments (donc s'en prendre aux actionnaires de l'industrie pharmaceutique plutôt qu'aux personnes handicapées qui gagnent à peine 700 euros par mois avec l'Allocation adultes handicapés). Cette mesure rapportera bien plus que les franchises. Il peut aussi intégrer les sans-papiers dans la CMU, ce qui permettra à la fois l'amélioration de l'accès aux soins, mais aussi des économies importantes, comme l'ont montrée les associations, des administrations comme l'IGAS ou l'IGF ou encore... des parlementaires socialistes. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres des apories du programme actuel de François Hollande, de son incapacité chronique à s'abstraire des discours démagogiques de la droite extrême, et à opposer à nos demandes pragmatiques, raisonnées, argumentées, des fin de non-recevoir purement idéologiques.
Il est temps que le PS tire des leçons de ses erreurs passées, qu'il en finisse avec son mépris vis-à-vis du mouvement social et qu'il s'affranchisse du discours de la droite sur la sécurité, l'immigration, les logiques budgétaires. Pour en finir avec Sarkozy, François Hollande doit réagir à gauche. Il en va de nos santés, de nos droits, de nos vies.
Arthur Vuattoux, vice-président d'Act Up-Paris
Le Monde.fr | 25.04.2012
in : http://www.lemonde.fr
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Halal : Sarkozy stigmatise "les musulmans", selon Moscovici
Le directeur de campagne de François Hollande estime que le chef de l'Etat "manie des symboles un peu douteux contre l'économie".
Pierre Moscovici, directeur de campagne de François Hollande, a estimé dimanche 4 mars que la proposition de Nicolas Sarkozy d'étiqueter la viande en fonction de la méthode d'abattage "stigmatise de façon sournoise les musulmans de France et fait écho aux thèmes du Front national".
Interrogé sur RTL, le député PS du Doubs a estimé "qu'au lieu d'étiqueter il faut réglementer les techniques d'abattage, faire en sorte qu'il y ait de la transparence et de la qualité".
Des conséquences économiques néfastes
"C'est une erreur économique d'abord. Cette question de l'étiquetage a déjà été envisagé au niveau du Parlement européen qui s'y est refusé parce qu'il y a aussi une question économique pour la filière, la filière ovine-bovine, et la filière de l'abattage qui connaît de grandes difficultés", a-t-il poursuivi.
"Quand on mange halal, ou quand on mange casher, on ne mange pas la totalité d'une bête, et si on l'étiquette à ce moment c'est comme si on la découpait en tranches, et qu'on faisait perdre des revenus considérables aux agriculteurs".
"Voilà comment Nicolas Sarkozy manie des symboles un peu douteux contre l'économie", a conclu le responsable socialiste.
A Bordeaux, samedi, Nicolas Sarkozy avait déclaré qu'il fallait reconnaître "à chacun le droit de savoir ce qu'il mange, halal ou non" et souhaiter "l'étiquetage des viandes en fonction de la méthode d'abattage".
le 04-03-2012
in : http://tempsreel.nouvelobs.com
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Tribune publiée dans Libération : « De l’arrogance en politique… »
Arrogance de François Hollande? Non, arrogance de la droite, des plus hautes autorités de l’Etat, qui ont dévoyé la parole publique et les institutions de la République depuis près de cinq ans.
Par Benjamin Abtan (secrétaire général du Egam, European grassroots antiracist movement) et Sandrine Mazetier (députée de Paris et secrétaire nationale du Parti socialiste en charge de l’immigration).
Le jeudi 2 février 2012.
A la recherche d’une improbable martingale contre le candidat socialiste à l’élection présidentielle, le Président de la République, le gouvernement et l’UMP accusent désormais François Hollande et la Gauche «d’arrogance». On serait tentés de sourire, tant la tentative de retournement est grossière, si ces attaques n’étaient portées par les plus hautes autorités de la République.
L’arrogance en politique ne consiste pas en l’emploi du futur de l’indicatif plutôt que du présent du conditionnel dans quelques phrases évoquant la Présidence de la République après le mois de mai, puisque c’est de cela dont il s’agit. Elle se situe, en revanche, dans l’insolente permissivité avec laquelle les plus hautes autorités de l’Etat ont dévoyé la parole publique et les institutions de la République depuis près de cinq ans. Elle se manifeste aussi par le mépris, voire une forme de jubilation, avec lesquels elles ont transgressé en toute impunité les valeurs de la démocratie sur la scène européenne.
Dévoiement de la parole publique
Ainsi, lorsque le Ministre de l’Intérieur Claude Guéant, en charge des cultes, déclare en avril 2011 que «l’accroissement du nombre de musulmans, un certain nombre de comportements, posent problème», il ne contribue pas à la paix sociale et religieuse comme ses fonctions le lui intiment. Bien au contraire, il stigmatise une partie de la population française sur critère religieux, détournant ainsi en toute quiétude le sens de l’institution qu’il dirige.
Ce dévoiement de la parole publique par des représentants de l’Etat crédibilise les discours populistes et d’extrême droite non seulement dans notre pays, mais également à l’échelle européenne. Ainsi, c’est en référence directe aux débats français sur l’identité nationale et sur la burqa, qui avaient occasionné de nombreux discours aux relents nauséabonds, que l’extrême-droite suédoise a réussi à imposer une rhétorique antimusulmane dans la campagne législative de septembre 2010, ce qui a permis aux « Démocrates Suédois » d’entrer au Parlement pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Transgression institutionnelle
Plus récemment, les déclarations sur les Roms du Conseiller d’Etat Arno Klarsfeld, qui préside le Conseil d’Administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) depuis septembre 2011, s’inscrivent dans cette même logique. Il a en effet déclaré, lors d’un déplacement à Bucarest en octobre 2011 qu’ «on ne fait pas huit enfants quand on n’a qu’une pièce. Après, les chefs des mafias viennent et disent: « Tu vas m’en donner deux pour aller mendier ou faire le trottoir ».» Il a tranquillement réitéré ces propos lors de son audition par la Commission des lois de l’Assemblée nationale le 11 janvier, provoquant le départ des députés de gauche.
Ce faisant, il inscrit l’institution qu’il représente en contradiction avec sa mission principale, qui est l’accueil et l’intégration des migrants. Cette transgression institutionnelle a été autorisée par celle de l’actuel Président de la République qui avait convoqué en juillet 2010 une réunion à l’Elysée pour «faire le point sur la situation des Roms et des gens du voyage». C’était la première fois depuis 1945 qu’une catégorie supposée «ethnique» de la population faisait l’objet d’une réunion à l’Elysée, qui se mettait alors en contravention coupable avec l’esprit et la lettre du fonctionnement des institutions de la République.
Avec ces déclarations, le Conseiller d’Etat non seulement manque à son devoir de réserve, mais surtout entame le crédit porté tant à son institution de rattachement qu’à celle qu’il préside. De plus, tout comme le funeste Discours de Grenoble, discours aux accents antirépublicains prononcé par un Président de la République, elles ont une résonnance particulière en Europe, en particulier en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie ou encore en Slovaquie. Dans de nombreux villages de ces pays, les Roms sont parqués dans des quartiers séparés, et ils sont régulièrement victimes de meurtres racistes. Ces paroles institutionnelles françaises apportent un soutien de poids à ceux qui décrivent les Roms comme une population qui pose problème partout et par essence, et dont il faudrait en toute logique se débarrasser.
Soutien de l’UMP à Orban
L’accueil chaleureux réservé à Viktor Orban lors du Congrès du PPE organisé par l’UMP à Marseille en décembre, comme le soutien entier que lui ont témoigné les députés européens de l’UMP lors de sa controversée venue au Parlement européen le 18 janvier, fournissent un dernier exemple, parmi tant d’autres, de ce dévoiement «décomplexé» des valeurs de la République et des institutions démocratiques.
Alors même que le Premier ministre hongrois détruit chaque jour un peu plus la démocratie dans son pays et porte au pouvoir les idées de l’antisémite et anti-Roms Jobbik, allié du Front national au niveau européen, c’est sans complexe que les élus de l’UMP lui ont affiché leur soutien, au mépris du mandat qui leur a été confié par les Français et qui commande la défense inconditionnelle des valeurs démocratiques.
Pour le respect de ces valeurs en France comme dans le reste de l’Europe, il est urgent de mettre un terme au dévoiement en toute impunité de la parole publique et des institutions de la République, qui constitue aujourd’hui la véritable arrogance en France
Benjamin Abtan, secrétaire général du Egam, European grassroots antiracist movement.
Sandrine Mazetier, députée de Paris et secrétaire nationale du Parti socialiste en charge de l’immigration.
http://www.sandrinemazetier.fr
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VOICI CE QUE (avec d'autres) nous criions, déclarions en décembre 2009: ( Mon spot ici-même N° 180- NON A MAURRAS, NON A VICHY )
NON A MAURRAS, NON A VICHY
Depuis quelques mois se dessine en France l’idée qu’il n’y a de salut pour ce pays que dans l’ethnocentrisme, la xénophobie, voire le racisme. Des relents nauséabonds d’une époque pas si lointaine que cela refont surface notamment parmi les dirigeants français, parfois au plus haut sommet de l’Etat. Les nombreux discours intolérables faisant référence à la droite réactionnaire et xénophobe du début du 20° siècle en sont un signe qui ne trompe pas.
Le débat sur « l’identité nationale », lancé pour détourner l’attention des français de leur difficile quotidien et des échecs politiques, sociaux et économiques, est un facteur de division, de haine. Des exemples récents suffisamment médiatisés nous confortent dans nos propos. Nous disons non au vichysme, non à l’immobilisme.
Nous publions ci-dessous deux textes s’inscrivant tous deux dans l’opposition à cette dérive.
Ahmed HANIFI, Marseille.
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Une honte nationale
Par Edwy Plenel
Article publié le vendredi 18 décembre 2009 in Médiapart
« Nous ne débattrons pas » est suffisamment explicite pour se passer de commentaires. En revanche, son succès en appelle. Son ampleur, la diversité de ses signataires comme leur croissance ininterrompue en ligne, est un événement qui va au-delà de son propos initial, le refus principiel de cautionner une machine infernale, de division et d’exclusion. Pour nombre des premiers pétitionnaires qui, de plus, ne sont pas tous dans l’opposition systématique au pouvoir en place, il n’allait pas de soi de proclamer un refus symbolique de débattre alors même que la démocratie suppose la libre discussion et l’entière délibération. S’ils ont franchi ce pas, vaincu leurs réticences et, pour certains, quitté leur silence, c’est qu’ils partagent ce sentiment diffus que, dans cette affaire d’identité nationale, autre chose est en jeu qui nous dépasse et nous requiert : le salut d’une certaine idée de la France et du monde face à un pouvoir qui, l’abaissant et l’humiliant, nous fait honte. Sans précédent depuis l’élection en 2007 de Nicolas Sarkozy, ce sursaut a pour moteur la compréhension qu’avec ce « grand débat sur l’identité nationale », se donne à voir la nature profonde du régime. Non plus seulement ses apparences et ses tactiques, ses coups ou ses esbroufes, son agitation ou sa personnalisation, mais sa régression essentielle, sa dangerosité véritable. Car cette manœuvre détestable ne se réduit pas à l’évidente fuite en avant d’un pouvoir privé de résultat tangible et confronté à sa propre faillite, quadruple faillite financière, économique, sociale et morale, largement documentée sur Mediapart. Tout en cherchant à masquer cet échec, cette exacerbation du national comme pathologie de l’identité et fantasme de l’autre, comme fixité et fermeture plutôt que comme mouvement et ouverture, dévoile ce qui est politiquement à l’œuvre derrière le personnage présidentiel, les références partagées qui unifient son propre entourage et celui de son premier ministre, le projet idéologique qui réunit leurs principaux collaborateurs et conseillers. Ici, deux discours font preuve. Ils ont été pesés, pensés et mûris. L’un a inauguré la séquence « Identité nationale », explicitant la mission confiée à Eric Besson : c’est celui de Nicolas Sarkozy à La Chapelle-en-Vercors, le jeudi 12 novembre. L’autre l’a prolongée, maintenant le cap malgré la polémique croissante : c’est celui de François Fillon, au colloque de l’Institut Montaigne, à Paris, le vendredi 4 décembre. Deux discours, deux moments, deux personnalités, deux fonctions, et, cependant, du président de la République au premier ministre, le même contenu, les mêmes références et la même intransigeance. Il faut les lire avec attention, mot à mot, ligne à ligne, afin de prendre l’exacte mesure du retour en arrière que MM. Sarkozy et Fillon veulent imposer à la France. Une régression dont le levier est une insidieuse négation historique, révision mensongère de notre passé aux fins de libérer, honorer et banaliser les idées, les hommes et les époques qui ont incarné le refus des idéaux démocratiques et républicains.
Effacé, le souvenir de l’Etat français de Vichy. Le discours de Nicolas Sarkozy, d’abord.
« Depuis deux cents ans, à part l’expérience sanglante de la Terreur, nul totalitarisme n’a menacé nos libertés. C’est que la culture française est irréductible au totalitarisme » : ne se rendant même pas compte de l’énormité de ce qu’il affirme, le président de la République énonce ce mensonge juste avant d’affirmer qu’en 1989, avec la chute du « Mur de la honte » , « les valeurs de la démocratie et de la République triomphaient » Pour le coup, c’est la France qui, soudain, a honte. Car, d’une phrase d’une seule, l’actuel chef de l’Etat vient d’effacer le souvenir de l’Etat français de Vichy (1940-1944) et des indiscutables crimes du régime incarné par Philippe Pétain, synonyme de dictature personnelle, de terreur policière et de persécution raciale. Lequel régime, on l’oublie trop, issu de la droite extrême plutôt que de l’extrême droite, garda, au grand dam des authentiques fascistes français, trois des symboles nationaux auxquels Nicolas Sarkozy voudrait aujourd’hui, dans le même discours en Vercors, réduire l’ « honneur d’être français » : le drapeau tricolore comme oriflamme, La Marseillaise comme hymne et le 14 juillet comme fête. Preuve, s’il en était besoin, que l’espérance républicaine ne s’y résume pas, et forcément les outrepasse. Cette énormité fut donc prononcée dans un discours dont les trois autres points d’ancrage sont l’affirmation de « la Chrétienté » (avec majuscule) comme identité première de la France, placée pour la forme à équivalence avec les Lumières ; la dénonciation de « l’égalitarisme » comme source du renoncement et de l’abandon national ; enfin, la revendication du rétablissement de l’autorité comme priorité, autorité explicitement identifiée à celles de la police et de l’Etat, lesquelles institutions sont ici libérées de toute définition contraignante, « la Police » , elle aussi avec majuscule, et non pas la police républicaine ; un Etat sans qualité, et non pas l’Etat de droit (la justice n’est pas mentionnée). Ainsi entendue, la France serait, à la fois, une éternité dont « la morale chrétienne » serait le socle ; une distinction dont l’élitisme suppose le refus d’une égalité niveleuse ; et une discipline dont l’observation respectueuse suppose obéissance et cohésion. Une France, n’hésite pas à affirmer en 2009 celui qui la préside, où la République est surtout débitrice de l’Ancien Régime dont elle aurait « accompli le vieux rêve capétien d’une France une et indivisible et d’un Etat dominant les féodalités ». La logique de cet énoncé est de désigner ceux qui, pour reprendre précisément les mots de ce discours présidentiel, ne méritent pas l’honneur d’être français ou ne peuvent le devenir car n’adhérant pas « à une forme de civilisation, à des valeurs, à des mœurs » dont les seuls symboles ici énumérés sont les cathédrales, le Mont-Saint-Michel, Notre-Dame de Paris, la cathédrale de Reims et chaque église de village avec son clocher « qui le surplombe depuis dix siècles ». Ces mauvais sujets sont évidemment étrangers, étrangers voulant nous rejoindre ou déjà parmi nous, étrangers même s’ils sont français d’apparence administrative, immigrés, Français d’ailleurs, Français différents, Français dissidents. C’est bien ce que suggère l’énumération présidentielle qui, par le détour d’une seule mention particulière, celle de la burka, évoque l’islam, confondu avec son extrémisme ultra-minoritaire, et, surtout, nie tout droit légitime à une partie de la population vivant en France, ne la rappelant qu’à des devoirs, devenus la condition de l’accès aux droits. Ce passage du discours illustre parfaitement à quoi sert cette imposition de la question nationale comme ordre du jour central : à une immense régression sociale, à transformer des droits en privilèges, à remettre en cause l’idée même d’une justice sociale, bref, à renforcer les inégalités et à accroître les injustices. La France, dit Sarkozy, « demande qu’on la respecte. On ne peut pas vouloir bénéficier des droits sans se sentir obligé par les devoirs ». Suivent alors les mentions de la sécurité sociale, des allocations chômage et de la gratuité des études comme trois avantages dont on ne pourrait ni « bénéficier » ni « profiter » si l’on ne se comporte pas en citoyen conforme, obéissant et discipliné, c’est à- dire toujours prêt à « se demander ce que l’on peut faire pour son pays ». L’ennemi, dans cette mise en guerre du pays avec lui-même, outre l’étranger immigré ou le Français fidèle à son passé étranger, c’est « l’assisté » , dont il va falloir « exiger qu’il fasse tous les efforts » qu’appelle sa déplorable condition, et, bien sûr, tous ces mauvais Français incapables d’aimer suffisamment la France pour vibrer à cette définition sarkozyenne, pourtant d’une stupidité abyssale : « Un Français reconnaît d’instinct une pensée française, une région française et il s’y sent chez lui. » François Fillon en disciple de Maurice Barrès Loin de nuancer ce nationalisme d’un autre âge, comme l’ont cru des commentaires pressés, le discours de François Fillon à l’Ecole militaire, le 4 décembre, l’a accentué. Revendiquant sa volonté politique de mettre « la question nationale » au cœur du débat politique et critiquant vivement ceux qui s’y refusent, le premier ministre a prononcé cette phrase : « Ce mutisme assumé, je pense qu’il révèle bien des malentendus qu’un siècle de critiques a pu creuser entre les Français et l’idée même de la Nation. » Il s’agit donc bien de revenir un siècle en arrière, de renouer avec le bouillon de culture des idéologies conservatrices de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, d’oublier leur responsabilité directe dans les catastrophes meurtrières qui ont ensanglanté l’Europe et de donner finalement tort à ceux qui, à la Libération, des gaullistes aux communistes, imposèrent à une droite conservatrice, défaite et discréditée, sinon la réalité accomplie du moins les valeurs référentielles d’une démocratie libérale et d’une république sociale qu’elle avait toujours eu en horreur. « Être français, c’est d’abord appartenir à un très vieux pays d’enracinement. » La France de François Fillon, dans le même discours, est par essence une immobilité, une « France des origines » tissée de « lignées anciennes ». C’est pourquoi l’imaginaire de ce nationalisme conservateur est d’abord géographique, fait de paysages éternels, tant il redoute l’histoire imprévisible, ses ruptures, ses mouvements, ses aléas, sa liberté en somme. Exprimant une peur panique du présent et du mouvement, de l’inattendu et de l’imprévu et, donc, de l’hôte de passage, de l’invité surprise, bref, du surgissement du monde, il a pour mot de passe, de l’antidreyfusard Maurice Barrès au souverainiste François Fillon, l’enracinement. Et pour cible, évidemment, les déracinés, titre du plus connu des bréviaires barrésiens. Les déracinés, autrement dit tous ceux qui témoignent d’identités de relations plutôt que de racines, d’identités en mouvement et en déplacement, faites de liens et d’échanges, de brassages et de mélanges, de rencontres et de partages. Dès le début du discours du premier ministre, la référence à Maurice Barrès est explicite. Evoquant successivement, comme les trois périls qui menacent la France, « une société sans âme, dominée par un individualisme forcené », une Europe « plus technocratique que politique » et « une mondialisation désincarnée qui ferait de nous des pions anonymes », il les résume d’un seul mot, le déracinement : « Les Français ne peuvent souscrire à un tel déracinement. » Contre ces trois perditions, l’individu, l’Europe et le monde, il faudrait donc défendre nos racines. Et quelles sont-elles pour François Fillon ? Tout simplement, la chrétienté, la ruralité et l’unicité. Une France qui « tient aux rythmes d’une tradition chrétienne et rurale », une France qui « n’oublie ni ses villages, ni ses coutumes », une France qui, face à la « pluralité », « a su opposer les vertus centralisatrices d’un principe fort ». Ici, les concessions à la laïcité sont de pure forme, balayées par l’insistance chrétienne : « La France est laïque, mais la France est tout naturellement traversée par un vieil héritage chrétien qui ne saurait être ignoré par les autres religions installées plus récemment sur notre sol. » « Plus récemment » est ici essentiel, affirmation non seulement d’une supériorité faite d’antériorité mais, surtout, d’un devoir de soumission des autres religions et, par extension, des cultures différentes. Une droite maurrassienne, orléaniste et élitiste « C’est aux étrangers qu’il revient de faire l’effort d’intégrer la France », lit-on quelques phrases plus loin, injonction qui transforme l’espoir de devenir français en épreuve contraignante plutôt qu’en rêve émancipateur : « Être français et vivre en France, c’est une chance mais c’est aussi une charge. » La France de MM. Sarkozy et Fillon n’accueille plus. Au mieux, elle recrute. Dans tous les cas, elle exige. Qu’on s’assimile, qu’on se soumette, qu’on se conforme, qu’on se convertisse, qu’on se noie et qu’on se perde. C’est une France de la ressemblance où la différence n’a pas sa place. Quant à l’idéalisation de la ruralité, apparemment anachronique dans nos sociétés industrielles, elle résonne comme une citation qui fait sens, formule magique libérant une tradition politique refoulée. Dans son récent discours aux agriculteurs, Nicolas Sarkozy n’avait pas craint d’identifier la Terre, avec majuscule, à une saine identité nationale, comme en écho au fameux « la terre, elle, ne ment pas » du troisième appel du maréchal Pétain, lu le 25 juin 1940. Un appel rédigé par Emmanuel Berl, symbole de ces égarés de la gauche que leur égocentrisme sans boussole amènera à côtoyer Vichy, tout comme l’ancien communiste, socialiste, chevénementiste Max Gallo inspire aujourd’hui cette vision étatique d’une France éternelle fondée par la rencontre de la monarchie et de la chrétienté. Vision mythologique bien sûr, fort éloignée de l’histoire avérée. Et pourtant vision désormais officielle, au risque international d’un ridicule qui ne tuera pas François Fillon : « Le fait est que, dans la tempête des invasions barbares, il n’y a guère que le petit peuple franc qui ait surnagé. Sans doute parce qu’en contrepoids d’un caractère belliqueux, incontestable, la légitimité et le droit étaient déjà deux obsessions françaises. » C’est alors que, dans ce discours du premier ministre, surgit la référence à Jacques Bainville, évoquant Jeanne d’Arc tombant à genoux devant le dauphin. Bainville, ce fidèle de Charles Maurras, cette plume de L’Action française, dont les obsèques, le 13 février 1936, furent l’occasion d’une tentative de lynchage de Léon Blum, dont la voiture avait par mégarde croisé le cortège funèbre. Du leader socialiste, Maurras avait écrit : « Voilà un homme à fusiller, mais dans le dos », tandis que, pour son acolyte Léon Daudet, « Blum était le bruit que font douze balles dans la peau d’un traître ». Les processionnaires de l’enterrement de Bainville avaient ces mots-là en tête, et les mirent en pratique. Soixante-treize ans plus tard, ce lapsus maurrassien dans la bouche d’un chef de gouvernement ne saurait relever de l’inculture. D’autant moins qu’il est cohérent avec l’ensemble des propos qui, du chef de l’Etat au premier ministre, dressent le portrait d’une France élue à la grandeur bien avant que la république ou la démocratie ne s’en mêle. Ou, mieux encore, grande malgré la république (réduite ici à la centralité du pouvoir) et malgré la démocratie (amputée ici de l’exigence d’égalité). Une France qui doit « être aimée et servie », dans l’obéissance, la cohésion et la discipline : « Les 65 millions de Français doivent faire bloc », insiste François Fillon, qui met en garde ceux qui ne voudraient pas en être, ceux qui critiquent, discréditent, voire, dit-il, «débinent constamment notre nation et ses valeurs », ici, l’emploi d’un verbe familier élargit l’interdit à notre quotidienneté. De cette Anti-France, M. Fillon dessine clairement les contours en trois mots : « Aujourd’hui, dans nos stades, dans nos cités, parmi nos élites, émerge parfois la tentation de défier la République, en affichant le mépris de ses symboles.» Stades, cités, élites : trois mots qui suggèrent le peuple, les immigrés et les intellectuels. Evidemment, ces deux discours sont aussi parsemés de précautions ou d’allusions qui en masquent ou en atténuent la cohérence. Mais ce ne sont là que dénégations orwelliennes, mots vides de sens et références privées de signification. L’essentiel est ailleurs : pour la première fois depuis 1944-1945 s’énonce, au sommet de la République, l’idéologie de la droite extrême, celle qui fut au pouvoir avec Philippe Pétain sous Vichy, cette droite à la fois maurrassienne, orléaniste et élitiste qui n’avait jamais admis la démocratie libérale et qui vécut la victoire de l’Allemagne nazie comme sa divine surprise, cette droite que seules la victoire des Alliés et la personnalité de Charles de Gaulle obligèrent à admettre le principe de la République et sa devise de liberté, d’égalité et de fraternité. Défendre l’esprit des Lumières et le droit naturel La bataille des Lumières n’est donc pas terminée, et elle se joue ici même face à un pouvoir qui leur tourne le dos. C’est parce qu’elle les refusait que la droite extrême d’hier combattait la République sans Dieu. C’est parce qu’elle entend les remettre en cause que la droite extrême d’aujourd’hui veut nous imposer sa Nation de Chrétienté. Qu’est-ce, en effet, que les Lumières sinon l’inverse de ce que rabâchent ces deux discours ? Un appel à l’émancipation du sujet humain des entraves du passé et de la religion, de l’obscurantisme de l’une et des immobilismes de l’autre. Une théorie du droit naturel où l’égalité est au principe des droits de l’homme. Une affirmation de la primauté de l’individu sur la société et de sa liberté comme garantie de l’émancipation. L’égalité, donc : des hommes naturellement égaux en droit, des droits égaux entre individus libres... Et pour l’intellectuel de cette droite extrême que fut Charles Maurras, l’ennemi, c’est justement l’égalité, et son credo l’inégalité, entre individus, entre classes, entre peuples, entre nations, etc. Si la démocratie est le régime que Maurras abhorre, c’est parce que sa promesse subversive est celle de l’égale valeur politique des individus. La combattre suppose de rétablir des hiérarchies, des différences, des aristocraties, bref, un ordre stable d’inégalités garanti par l’autorité incontestée d’un pouvoir central capable de conjurer cette menace : la vitalité démocratique d’une pluralité d’égaux. C’est d’ailleurs pourquoi l’Eglise de Maurras est si peu chrétienne et purement d’ordre, à tel point qu’il considère l’Evangile comme un dangereux pamphlet révolutionnaire parce que d’esprit égalitaire. De Maurras, par exemple, dans Mes idées politiques (1937) : « Toutes les fortes crises modernes ont un caractère oriental ; bibliques par leur esprit ou juives par leur personnel. » Où l’on croise le fantasme occidental des désordres orientaux, aujourd’hui ravivé par notre époque de transition et, donc, d’incertitude et de peur. Critique de l’égalité, éloge de la chrétienté, hommage à la royauté, méfiance de l’étranger, enracinement de la nation, soumission à l’autorité, etc. : tous les refrains actuellement mis en musique par le pouvoir ramènent à ces sources idéologiques de la droite extrême d’avant-guerre, jusqu’alors tenues en lisières d’une droite de gouvernement peu ou prou issue du gaullisme. Telle est la véritable rupture incarnée par Nicolas Sarkozy : la clôture du gaullisme comme s’il ne s’était agi que d’une parenthèse ouverte par un accident historique, la défaite de l’Allemagne nazie et, donc, de la « Révolution nationale » de Vichy qui avait saisi comme une divine surprise l’opportunité offerte par la collaboration avec le IIIe Reich. Les racines du sarkozysme plongent au-delà, retrouvant l’idéologie des droites extrêmes d’avant-guerre pour inventer la cohérence d’un pouvoir qui allie, de façon inédite, souverainisme nationaliste, libéralisme économique et illibéralisme politique. Le discrédit moral qui, fort légitimement, accompagne le pétainisme nous fait trop souvent oublier l’effrayante normalité et continuité dont le régime de Vichy était porteur. « Dictature pluraliste », selon le mot de l’historien Stanley Hoffmann, il rassemblait autour d’un chef charismatique aussi bien la droite antirépublicaine que la droite technocratique, des catholiques et des libéraux, des traditionalistes et des modernistes, des maurrassiens de droite et des non-conformistes de gauche, etc. Dans une remarquable synthèse sur cette période, l’historien Jean-Pierre Azéma, signataire de notre Appel, souligne combien l’idéologie vichyssoise est « un syncrétisme français » , prenant « le contre-pied des principes de la démocratie libérale et des fondements de la synthèse républicaine : la condamnation définitive de l’individualisme, le refus de l’égalitarisme, un appel au rassemblement national, une pédagogie anti-intellectualiste, la défiance à l’égard de l’industrialisme, le rejet du libéralisme culturel, et enfin l’affirmation d’un nationalisme fermé et ethnocentrique ». Où l’on retrouve bien des ingrédients de l’offensive idéologique actuelle... Quand Alain Badiou se risqua, dès 2007, à évoquer le pétainisme à propos du sarkozysme, la comparaison pouvait surprendre, voire scandaliser. Désormais, c’est le pouvoir lui-même qui y incite avec ses obsessions et ses références qui, loin d’être sans histoire et sans précédents, ont un parcours et des antécédents, des racines en somme. « Je ne suis pas en train de dire que les circonstances ressemblent à la défaite de 1940, et que Sarkozy ressemble à Pétain, prenait soin de préciser Badiou dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Lignes, 2007). Pas du tout. Je dis que la subjectivité de masse qui porte Sarkozy au pouvoir, et soutient son action, trouve ses racines inconscientes, historico-nationales, dans le pétainisme. » Pétainiste, précisait le philosophe, étant entendu ici comme « le transcendantal, en France, des formes étatisées et catastrophiques de la désorientation ». Le sarkozysme témoigne de la désorientation d’une partie de nos élites politiques, économiques, administratives, face à l’actuel décentrement du monde, au croisement d’une révolution industrielle imprévisible et d’une perte d’emprise de l’Occident. Sa perdition idéologique évoque irrésistiblement le constat dressé à l’été 1940 par un homme que les discours de MM. Sarkozy et Fillon convoquent mais qu’ils trahissent, faute de l’avoir bien lu : le grand historien et futur martyr de la Résistance Marc Bloch, dans L’Étrange Défaite . « Français, je vais être contraint, parlant de mon pays, de ne pas en parler qu’en bien », prévenait-il avant de mettre en évidence la responsabilité dans l’affaissement moral de la nation d’une bourgeoisie qui « avait cessé d’être heureuse » et qui, devenue « anxieuse et mécontente, était aussi aigrie ». L’Appel de Mediapart signifie simplement le refus de cette déchéance. A cette aigreur, remugle de méfiance et de crispation, de faiblesse et de violence, de petitesse et de peur, il oppose une façon très française de vouloir la France qui est toute de refus et de hauteur, d’exigence et de réclamation, d’alerte et d’ambition, de curiosité et de générosité. Car critiquer la France, c’est l’aimer. La vouloir, la réclamer, l’exiger. Et ne pas supporter qu’on la critique, c’est en revanche la déserter. L’ignorer, l’oublier, la délaisser. Drapés dans l’alibi du national, les conservatismes de tous horizons, les renoncements de tout acabit voudraient une France immobile et éternelle, figée et achevée. La vérité, c’est qu’ils ne l’aiment pas telle qu’elle est. Telle qu’elle bouge, évolue, change, se transforme et se modifie dans une fidélité frondeuse à son histoire et à ses promesses, à sa présence au monde et aux autres.
Edwy Plenel. contact@mediapart.fr
Pour signer : http://www.mediapart.fr/journal/france/021209/lappel-de-mediapart-nous-ne-debattrons-pas
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Mediapart lance avec deux cents personnalités un appel à refuser le «grand débat sur l'identité nationale» organisé par le pouvoir. Nous souhaitons que cet appel soit à l'origine d'une grande pétition citoyenne qui suscite un vaste rassemblement.
Vous pouvez le signer ici :
http://www.mediapart.fr/journal/france/021209/lappel-de-mediapart-nous-ne-debattrons-pas#petition
Nous ne débattrons pas
Par
principe, nous sommes favorables au débat. A sa liberté, à sa
pluralité, à son utilité. C'est pourquoi nous refusons le « grand débat
sur l'identité nationale » organisé par le pouvoir : parce qu'il n'est
ni libre, ni pluraliste, ni utile.
Il n'est pas libre car c'est le gouvernement qui le met en scène, qui pose les questions et qui contrôle les réponses. Il n'est pas pluraliste car sa formulation réduit d'emblée notre diversité nationale à une identité unique. Il n'est pas utile car cette manœuvre de diversion est une machine de division entre les Français et de stigmatisation envers les étrangers.
Affaire publique, la nation ne relève pas de l'identité, affaire privée. Accepter que l'Etat entende définir à notre place ce qui nous appartient, dans la variété de nos itinéraires, de nos expériences et de nos appartenances, c'est ouvrir la porte à l'arbitraire, à l'autoritarisme et à la soumission.
La République n'a pas d'identité assignée, figée et fermée, mais des principes politiques, vivants et ouverts. C'est parce que nous entendons les défendre que nous refusons un débat qui les discrédite. Nous ne tomberons pas dans ce piège tant nous avons mieux à faire : promouvoir une France de la liberté des opinions, de l'égalité des droits et de la fraternité des peuples.
La liste des 202 premiers signataires de l'Appel
Dominique A, auteur/ compositeur/interprète, Josette Alia, journaliste, Paul Alliès, politologue, professeur à l'université Montpellier 1, Clémentine Autain, directrice de Regards, membre de la Fédération pour une alternative sociale et écologique, Jean-Loup Amselle, anthropologue, directeur d'études à l'EHESS, Philippe Artières, historien, chargé de recherche au CNRS, Louis Astre, syndicaliste, Aure Atika, actrice, Raymond Aubrac, commissaire honoraire de la République, Martine Aubry, maire de Lille, premier secrétaire du Parti socialiste, Stéphane Audeguy, écrivain, Jean-Pierre Azéma, historien, professeur honoraire à l'IEP de Paris (…)_____________________________________
Arrêtez ce débat, Monsieur le Président !
Depuis le 2 novembre 2009, la France a été entraînée, malgré elle, dans les tourments d’un débat sur l’identité nationale. De nombreuses voix s’étaient pourtant élevées pour avertir que le lien posé d’emblée entre l’immigration et l’identité nationale était de nature à libérer une parole au « mieux » stigmatisante, au pire raciste.
Malheureusement, ces prédictions apparaissent aujourd’hui se situer bien en-deçà d’une réalité inquiétante et nauséabonde. En effet, depuis plusieurs semaines, les débats sur l’identité nationale sont apparus comme des espaces de libération d’une parole raciste, prompte à remettre en cause, de façon insidieuse ou explicite, la légitimité de la présence sur le sol national de catégories entières de la population.
Un nombre substantiel de réunions nous font honte tant les propos qui y sont tenus heurtent nos consciences de républicains et de démocrates, attachés aux valeurs du vivre ensemble. Propos violents envers les immigrés et leurs enfants, vision caricaturale des « jeunes de banlieue », obsession autour de la figure du musulman comme euphémisation d’un racisme anti-arabe qui n’ose plus s’exprimer en ces termes : voilà quelles semblent être les principales réflexions qui émergent des réunions tenues sur le territoire.
Pire, des responsables politiques de premier plan ont cédé au tropisme de la stigmatisation. Ainsi, il y a quelques jours, une Ministre de la République, Nadine Morano, livrait en creux sa vision du musulman, essentialisé dans la position de celui qui refuse de s’intégrer à la Nation, fût-il français.
La technique consistant, face aux tollés soulevés par de tels propos, à expliquer que ces derniers ont été mal compris ne doit pas faire illusion. La preuve n’est plus à faire que le débat sur l’identité nationale, bien loin de renforcer l’adhésion aux valeurs de la République, est un facteur de haine et de désunion, là où notre pays devrait s’atteler à cultiver le vivre ensemble. Un vivre ensemble trop fragile pour qu’il soit affaibli à travers un débat qui, posé en ces termes, ne pouvait finalement rien produire d’autre.
Face à cette réalité qu’il est inutile de vouloir camoufler, il est tout aussi inutile de sortir la carte du « peuple dont l’expression est légitime ». Car, dans notre pays comme dans toutes les grandes démocraties, le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit. À cet égard, les propos racistes tenus dans des réunions organisées par les préfectures sont d’autant plus graves que l’Etat vient apposer sa légitimité à l’expression de pensées qui n’ont pas lieu d’être dans l’espace public.
C’est pourquoi nous vous demandons, Monsieur le Président de la République, de mettre un terme à ces réunions, sans quoi la République française que vous représentez aura fait le choix de laisser se tenir en son sein et avec son assentiment un débat de nature à briser durablement les fondements de notre vivre ensemble.
in: http://www.arretezcedebat.com/
Ont signé:
Ameziane ABDAT - Président de l'association Zy Va
Isabelle ADJANI - Comédienne
Pierre AIDENBAUM - Maire du 3ème arrondissement de Paris
Jean-François AMADIEU - Professeur Université Paris 1
Pouria AMIRSHAHI - Secrétaire national du PS chargé des droits de l’Homme
Nathalie ANDRE - Réalisatrice
Mouloud AOUNIT - Co-président du MRAP
Pierre ARDITI - Comédien
Gérard ASCHIERI - Secrétaire général de la FSU
Eliane ASSASSI - Sénatrice de Seine-Saint-Denis (PCF)
David ASSOULINE - Sénateur de Paris (PS)
Yvan ATTAL - Comédien
Martine AUBRY - Première secrétaire du Parti Socialiste, maire de Lille
Clémentine AUTAIN - Co-directrice du Mensuel Regards
Josiane BALASKO - Cinéaste
Massira BARADJI - Porte parole de la FIDL
Claude BARTOLONE - Président du Conseil Général de Seine-Saint-Denis
Pierre-Louis BASSE - Journaliste - écrivain
Eric BASSET - Producteur
Djamel BEN SALAH - Cinéaste
BENABAR - Chanteur
Ghaleb BENCHEIKH - Théologien
Jean BENGUIGUI - Comédien
Yamina BENGUIGUI - Réalisatrice - Adjointe au Maire de Paris
Jean-Luc BENNAHMIAS - Député européen, vice-président du Modem
Pierre BERGE - Président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent
Charles BERLING - Comédien - Réalisateur
Jean-Louis BIANCO - Député et président du Conseil général des Alpes de Haute-Provence
(...)
Pour signer la pétition : http://www.arretezcedebat.com/