Je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici un article déniché dans un vieux magazine, Marianne magazine, du mardi 27 juin 1939, sur Léon-Paul Fargue, mon ancêtre « piéton de Paris » (en toute modestie!). Le texte et les images en sont savoureux.
D’ici vous apercevez, la Madeleine, l’Opéra, le Panthéon, tout Paris enfin…
« Léon-Paul Fargue, qui est le chroniqueur le plus étincelant est aussi l’un de nos plus grands poètes. Il vient de publier à la N.R. F. un livre remarquable, d’une mélancolie profonde, et qui obtient le retentissement qu’il mérite, ce livre s’appelle le Piéton de Paris.
Bien des gens, nous confie le poète de « Vulturne », font de moi un Parisien foncier, spécifique; incurable. Mais j’ai voyagé. A part la Russie, je connais assez bien l’Europe. La Chine m’attire beaucoup. Je grommelle ce projet-là depuis longtemps. J’ai connu autant de Chinois que de Japonais. Je voudrais comprendre de plus près cet esprit relativiste pour qui 2 et 2 peuvent faire 4, 5 ou 139. Ce n’est pas pour eux une question de mode, c’est l’affaire d’une construction de l’esprit.
Je suis né à Paris dans le 1er arrondissement, au 8 de la rue Coquillière, dans une maison où il y avait deux magasins importants et significatifs, la crémerie Nortier, célèbre par son beurre et la çharcuterie Battendier, par ses pâtés en croûte. Cela explique bien des choses, ma gourmandise notamment.
Mon père était né à Paris de famille bordelaise. De son côté nous avions parmi nos ascendants l’architecte Pierre Lescot et Pierre Bayle, l’auteur du dictionnaire.
Ma mère était Berrichonne. Son père était médecin à Bourges. Je l’ai perdue il y a quatre ans : elle avait quatre-vingt-dix-sept ans.
Mon père et mon oncle avaient des ateliers de céramique et de verrerie.
J’ai été élevé à Montrouge, rue Mouton-Duvernet. De là nous allâmes à la Chapelle où mon père, après avoir été ingénieur chez Faber en sortant de l’Ecole Centrale, fit fortune en inventant une plume miraculeuse écrivant sans encre, qui annonçait le stylo, et un traitement nouveau des perles de couleur. Cette fortune, il l’a perdue en la plaçant dans d’autres inventions.
Après la Chapelle, ce fut la rue du Colisée, puis la rue de Dunkerque. Nous commencions à entrer dans le 10e arrondissement où j’ai été au collège Rollin en même temps que Barbusse, qui était un très bon élève, Edouard Julia, du Temps, et le philosophe Raymond Jenaux.
Ensuite nous habitâmes Passy, rue Gustave-Courbet.
Quand j’étais tout enfant on m’a montré deux fois le père Hugo qui rentrait chez lui dans son petit hôtel bas de l’avenue d’Eylau.
Léon, fier de sa vaisselle de Sèvres et de Marseille…
De Passy nous retournâmes dans le 10e où se trouvaient nos ateliers de céramique, faubourg Saint-Martin et rue de Saint-Quentin.
A ce moment là je faisais de la peinture. Au lycée, j’avais toujours les prix de dessin, et je me croyais quelque chose. Un jour, je suis allé pour la première fois à l’Exposition des Indépendants, qui se tenait au Cours-la-Reine.
Cette année-là, il y avait des envois de Van Gogh qui venait de se tuer à Auvers-sur-Oise, Cézanne, d’immenses Seurat.- Gauguin, Emile Bernard, Lautrec, etc. Je fus sidéré. En une minute je reçus le choc, et je compris que c’étaient ces peintres-là qui avaient raison et que c’étaient ceux du Salon qui se trompaient. Et je renonçai modestement à mes pinceaux.
« Une bibliothèque carrée contient quatre fois plus de livres et est quatre fois plus commode. «
Je ne fis donc plus beaucoup de peinture, mais j’avais déjà mon cahier de poésie. Je faisais aussi de la musique. Il était bien entendu, – chez mes amis de la vingtième année qu’on ne se spécialiserait pas : on avait envie de tout faire. Choisir dans notre esprit, c’était sacrifier tout le reste, Gide a dit : « Prendre Un parti, c’est le pire parti prendre. »« Nous faisions un peu de tout. Nous n’avions pas de -soucis de carrière.
Très jeune, au cours de mes premières sorties dans la vie, j’avais fait la connaissance chez un petit marchand de tableaux célèbre de l’époque, Le Barc de Boutteville, d’un jeune peintre admirablement doué, Fabien Launay, qui me. présenta un jeune poète, Maurice Cremmitz, qui signa depuis Maurice Chevrier, Nous fondâmes des revues : l‘Art littéraire, avec Alfred Jarry, qui était mon camarade de lycée. Nous fîmes Ci la Chambre, la connaissance de Barrès, qui nous invitait à son interpellation sur l’interdiction de l’Automne, la pièce de Paul Adam et de Gabriel Mouret.
Léon, habitué des quais, est connu de tous les bouquinistes…
J’ai fait en même temps la connaissance de Francis Jourdain, intelligence fine autant qu’ardente et généreuse. C’est à cette époque que je fis mes vrais débuts littéraires au Mercure de France.
Toute cette vie un peu dispersée fut entrecoupée de périodes de travail avec les céramistes de mon père. Je crois qu’on sait le reste. »
Pierre LHOSTE