Auguste Renoir, Misia, 1903
Est-ce la première femme à avoir une exposition au Musée d’Orsay (jusqu’au 9 septembre) sans avoir rien créé ? Mais Misia a su collectionner les maris, les amants (et les amantes) et les soupirants, elle a su s’entourer d’artistes, d’écrivains, de musiciens, les aider, les financer parfois, les soutenir souvent. Les a-t-elle influencés ? A-t-elle eu un impact sur leur travail ? Les a-t-elle-même conseillés ? L’exposition répond par l’affirmative pour Diaghilev, mais qu’en est-il des autres ? Fut-elle plus qu’une mondaine éclairée (en plus d’être une pianiste de talent), une Madame Verdurinska, en somme, comme elle fut surnommée par Coco Chanel.
Pierre Bonnard, Double portrait de Misia, 1906
Un visage slave un peu rond, un nez grec, une carnation claire, une poitrine généreuse : ses premiers portraits (Bonnard -le seul qui la dessina nue-, Vuillard, Renoir, et bien d’autres) sont agréables, même si le regard ne s’y arrêterait guère ailleurs. Ses traits s’affinent ensuite, elle s’apprête mieux peut-être, mais finit en femme vieillie, dure et décharnée (et opiomane), comme on le voit sur ses photos vénitiennes par Horst.
Son collier de perles, exposé ici, a une jolie histoire. Geneviève Lanthelme, maîtresse du second mari de Misia, négocia avec elle son
Collier de perles de Misia Edwards, vue d'expo
départ en échange du collier, d’un million de francs d’alors et d’une nuit d’amour avec Misia. On ne sait sur laquelle de ces trois conditions la négociation achoppa, mais ce fut Misia qui quitta Alfred Edwards (plus tard, Geneviève Lantelme disparut mystérieusement) pour ensuite épouser José Maria Sert, peintre ‘franquiste sans envergure’ récemment exposé au Petit Palais, n'en déplaise à ses thuriféraires; plus accommodante, après un voyage de noces à Venise en compagnie de Coco Chanel, elle accepta un ménage à trois avec la sculptrice géorgienne Roussadana Mdivani (une des "heiratslustigen Mdiwanis"). La biographie (romancée, voire enjolivée) de Misia par le duo de pianistes Arthur Gold et Robert Fizdale regorge de telles historiettes, mais est-ce suffisant pour faire une exposition ?
Anon., Misia Natanson et Henri de Toulouse-Lautrec dans l'atelier de Maxime Dethomas, vers 1896
En fait, l’intérêt ici est l’entour, tout ce que les pièces exposées nous disent sur une époque, ses créations, ses personnages : portraits de Gide, de Cocteau, de Proust, photographie de Picasso travaillant au rideau de Parade, tout ce qui gravitait autour de la Revue Blanche de son premier mari, Thadée Natanson. Emblématique de la position de Misia est sans doute cette photographie de 1896 où Toulouse-Lautrec, ayant pour une fois ôté son chapeau, se tient devant elle, presque penaud et respectueux, lui qui l’était si rarement (et qui venait de la représenter en mère maquerelle).
Félix Vallotton, Intimités, épreuve justificative de la destruction des bois, 1897-1898
Félix Vallotton, spectateur désabusé du mariage de Misia et de Thadée Natanson et ancien amant de Misia, a réalisé en 1898 dix xylographies, Intimités, montrant des saynettes quasi cinématographiques sur les rapports entre mari, femme et amant, qui furent tirées à trente exemplaires chacune; elles ont pour titres le mensonge, la raison probante, l'argent, le grand moyen, l'irréparable,... Une fois le tirage réalisé, Vallotton découpa dans chaque planche de bois un rectangle à la place de la tête de la femme (aux traits de Misia), il assembla ces dix fragments et en fit ce tirage composite, justificatif de la destruction, certes, mais aussi 'trophée réunissant les visages de son ancienne maîtresse'. Cette démarche fétichiste et mutilante a intéressé le jeune artiste suisse Denis Savary, qui, en 2007, a repris les matrices découpées pour en tirer un jeu d'épreuves acéphales, qui est exposé ici à côté des originaux de Vallotton.
Photo 3 de l'auteur