Le Tribunal de l’Union européenne vient de rendre, ce 14 juin 2012, dans une affaire relative à la législation sur les pesticides, un arrêt remarquable qui ouvre considérablement la possibilité pour les ONG de solliciter de la part de la Commission européenne un « réexamen » de ses décisions prises en matière de droit de l’environnement.
Les faits
Dans cette affaire, deux ONG - Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Europe – avaient demandé à la Commission européenne, par lettres des 7 et 10 avril 2008, de procéder au « réexamen interne » de sa décision du 29 janvier 2008 par laquelle elle a adopté un règlement technique relatif aux limites maximales applicables aux résidus des produits phytosanitaires (pesticides).
Cette demande était fondée sur l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.
La demande a été rejetée par la Commission européenne, le 1er juillet 2008.
Le 11 août 2008, les deux ONG ont saisi le Tribunal d’un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne.
Quels sont les actes concernés par la procédure de ré examen interne ?
Les deux ONG avaient fondé leur demande de réexamen interne sur les dispositions de l’article 10 du règlement (CE) n°1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 « concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ».
Cet article 10 dispose :
« Article 10
Demande de réexamen interne d’actes administratifs
1. Toute organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères prévus à l’article 11 est habilitée à introduire une demande de réexamen interne auprès de l’institution ou de l’organe communautaire qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement ou, en cas d’allégation d’omission administrative, qui était censé avoir adopté un tel acte.
Cette demande, formulée par écrit, doit être introduite dans un délai n’excédant pas six semaines à compter de la date à laquelle l’acte administratif a été adopté, notifié ou publié, la plus récente de ces dates étant retenue, ou, en cas d’allégation d’omission, six semaines à compter de la date à laquelle l’acte administratif était censé avoir été adopté. La demande précise les motifs de réexamen.
2. L’institution ou organe communautaire visé(e) au paragraphe 1 prend en considération toutes les demandes de ce type, à moins qu’elles ne soient manifestement infondées. L’institution ou organe communautaire motive sa position par écrit aussi rapidement que possible, et au plus tard douze semaines après réception de la demande.
3. Lorsque, malgré sa diligence, l’institution ou organe communautaire n’est pas en mesure d’agir conformément au paragraphe 2, elle/il informe aussi rapidement que possible, et dans tous les cas avant l’expiration du délai indiqué dans ledit paragraphe, l’organisation non gouvernementale qui a introduit la demande des raisons qui l’empêchent d’agir et du moment où elle/il compte le faire.
L’institution ou organe communautaire agit en tout état de cause dans un délai de dix-huit semaines à compter de la réception de la demande ».
L’arrêt rendu par le Tribunal précise le sens de cet article 10 du règlement 1367/2006.
« En application de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006, toute organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères prévus à l’article 11 de ce règlement est habilitée à introduire une demande de réexamen interne auprès de l’institution de l’Union qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement. La notion d’acte administratif contenue dans cette disposition est définie dans l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement comme une mesure de portée individuelle arrêtée par une institution de l’Union au titre du droit de l’environnement et ayant un effet juridiquement contraignant et extérieur ».
Ainsi, aux termes de cet article 10, interprété stricto sensu, la demande de réexamen interne ne pourrait concerner qu’une « mesure de portée individuelle ». Or, en l’espèce, les deux ONG demandaient le réexamen d’une mesure de portée générale.
Le Tribunal va cependant faire droit à leur recours au motif que cet article du règlement 1367/2006 n’est pas conforme l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus
Rappelons tout d’abord que cet article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus dispose :
« 3. En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque Partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques allant à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement. »
Force est de constater que la convention d’Aarhus ne réduit pas les possibilités de contestation des actes des autorités publiques prises en matière d’environnement aux mesures de portée individuelle.
L’arrêt rendu ce 14 juin 2012 par le Tribunal précise donc :
« Il résulte de ce qui précède que l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus ne peut être interprété comme se référant uniquement aux mesures de portée individuelle. Par conséquent, l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006, en ce qu’il limite la notion d’« actes » de l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus aux seuls « acte[s] administratif[s] », définis à l’article 2, paragraphe 1, sous g), du même règlement comme des « mesure[s] de portée individuelle », n’est pas compatible avec l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus.
Il s’ensuit que l’exception d’illégalité dirigée contre l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous g), du même règlement, doit être accueillie et, partant, le second moyen. Par conséquent, les décisions attaquées doivent être annulées».
L’article 10 du l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006 étant contraire aux l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, il ne peut être opposé aux ONG requérantes et le Tribunal fait droit à leur demande de réexamen de la décision précitées de la Commission européenne.
Cet arrêt du Tribunal ouvre donc de manière bien plus large la possibilité pour les ONG de solliciter le réexamen des décisions de la Commission européenne en matière d’environnement. Une décision qui ne sera pas sans conséquences pour les conditions du lobbying auprès des institutions de l’Union européenne et l’avenir du droit de l’environnement, qui, rappelons-le, est d’abord un droit européen.