Par le fait même qu’il n’affiche ostensiblement en titre “PRINTEMPS ARABE”, ces mots à la mode qui ne veulent rien dire, ce livre sur les événements qui ont secoué ces derniers mois le monde arabe mérite que l’on s’y intéresse.
En effet, Vincent Geisser et Mickaël Béchir Ayari, ont voulu décrypter dans « Renaissances arabes. 7 questions clés sur des révolutions en marche », paru en 2011 chez les Éditions de L’Atelier, ce que tout le monde est convenu de qualifier de “printemps arabe” en essayant de remonter de “la profondeur de son surgissement pour tenter d’évaluer son impact de long terme” .
La méthodologie choisie est très pédagogique, les auteurs étant des universitaires reconnus : Michaël Béchir Ayari, docteur en sciences politiques et chercheur associé à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) d’Aix-en-Provence. et Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (lfpo) de Beyrouth et président du Centre d’information et d’étude sur les migrations internationales (CIEMI) de Paris.
En posant sept questions-clés, les auteurs permettent au lecteur d’avancer dans la compréhension de “l’Orient compliqué” et de ses bouleversements alors que le monde entier connaissait des soubresauts depuis la vague populaire anti-corruption en Inde aux manifestations des “indignados” en Espagne, passant par les protestations du peuple grec contre les mesures d’austérité aux mouvements des étudiants chiliens.
Les questions que posent Ayari et Geisser sont très pertinentes, alors que les réponses qu’ils donnent ne le sont pas toujours au regard du lecteur lambda que je suis.
J’adhère ainsi à l’analyse des auteurs à propos des questions suivantes :
- “Des révolutions bourgeoises ou populaires ?” : les mouvements observés dans les pays arabes sont l’amalgame d’une réaction des peuples opprimés et d’une certaine bourgeoisie écartée des sphères du pouvoir par les régimes en place.
- “Des réactions Facebook?” : les réseaux sociaux ont leur part dans ce qui est arrivé mais ils n’en sont ni la cause ni les moyens. Ces révolutions arabes ne sont pas des “révolutions de l’internet, mais celles du temps de l’internet”.
- “Des révolutions avec ou sans les femmes? : les femmes arabes sont au cœur des bouleversements actuels et ne sont pas prêtes à céder. Elles ont commencer leur propre révolution il y a longtemps déjà et il faudrait dompter avec elles.
Sur deux autres question, je suis moins enclin à l’adhésion aux thèses des auteurs.
- “Coups d’état militaires ou révolutions civiles?” : les armées n’ont pas le même poids et surtout le même rôle dans tous les pays arabes. Omniprésentes, elles n’interviennent pas de la même manière ici et là. Ainsi, certaines prises de position de l’armée ont pu prêter à confusion : le chef d’état-major tunisien a-t-il contribuer à u coup d’état militaire ou a-t-il épauler une révolution civile? L’armée égyptienne est-elle le bras de la révolution de la place Tahrir ou le bouclier pour protéger les privilèges de la puissante institution?
- “Révolutions démocratiques, révolutions démographiques?” : si le jeu de mots est facile, cette acception des mouvements sociaux qui ont ébranlé la majeur partie du monde arabe ne sauraient se réduire à une simple question population, de fécondité ou de conflit de génération. Le monde arabe a changé, en profondeur, sous les coups de butoir de plusieurs influences (télévisions satellitaires et internet).
Par contre, je ne partage pas du tout l’approche proposée par Ayari et Geisser dans leurs réponses à ces deux dernières questions.
- “Des révolutions “vertes orangées” inspirées par les États Unis?” : Je ne comprends pas que les auteurs réfutent l’influence américaine dans ce que connait le monde arabe et surtout qu’ils classent comme “conspirationniste” toute tentative de ce genre. La connivence américaine avec les islamistes arabes est bien réelle, bien qu’inexplicable à première vue ; elle existe tant que la sécurité interne des américains est assurée. Dès lors que ce point est acquis, les autorités étasuniennes et les ONG qui en dépendent de près ou de loin peuvent s’allier avec le diable si nécessaire, pour assoir leur influence dans la région.
- “Des révolutions laïques ou religieuses? “ : cette question est assez saugrenue quand on revoit les images des événements qui ont mis fin à la dictature de Moubarak et de Benali. Ce ne sont pas les “religieux” qui sont descendus dans la rue, qui sont morts sous les tirs des policiers : ce sont justes des citoyens musulmans! Que les “religieux” aient pris le train révolutionnaire, c’est indéniable. Mais la flamme révolutionnaire a été allumée avant tout par des citoyens, musulmans et coptes, croyants ou pas, pratiquants ou pas!
Enfin, j’aurais espéré que les auteurs consacrent un chapitre spécifique à la question du rôle et de l’influence des états du Golfe, notamment le Qatar, dans les bouleversements observés dans la région.
En tous cas, la lecture de cet ouvrage dont l’éditeur prétend qu’il est “appelé à faire référence”, n’est pas sans intérêt, d’autant que les événements qui ont suivi les révolutions arabes de 2011 semblent s’inscrire dans une direction qui n’était pas tout à fait celles que les révolutionnaires envisageaient.
La Tunisie s’enlise dans des luttes stériles entre laïcs et religieux, l’Égypte semble s’orienter irrémédiablement vers un retour à la case départ , la Libye s’enfonce dans le chaos et l’anarchie! Qui peut nous dire ce qu’il advient du Yemen ou de Bahrain? Qui peut prévoir ce que sera l’avenir proche de la Syrie?
L’Orient est vraiment compliqué!
P.S. : ce livre, comme je l’ai dit, peut aider à décrypter ce qui est arrivé dans le monde arabe mais surement à prévoir ce qui se passera ni demain, ni après demain, ni encore moins dans quelques mois. Quel analyste, même le plus clairvoyant, pouvait prévoir que l’armée égyptienne reprendrait la main avec le sans-gêne dont elle a fait preuve avec la dissolution du parlement à peine élu et avec cette déclaration constitutionnelle sur les pouvoirs du président qui sera élu!