[Critique] LES AFFRANCHIS

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Goodfellas

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Martin Scorsese
Distribution : Ray Liotta, Robert De Niro, Joe Pesci, Lorraine Bracco, Paul Sorvino, Chuck Low, Frank Dileo, Illeana Douglas, Catherine Scorsese, Vincent Gallo, Suzanne Shepherd, Samuel L. Jackson…
Genre : Mafia/Policier/Biopic
Date de sortie : 12 septembre 1990

Le Pitch :
« Autant que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être gangster ». Henry Hill, né d’un père irlandais et d’une mère sicilienne, nourrit depuis sa plus tendre enfance le désir de rejoindre la famille Lucchese. Lorsque Paul Cicero, un parrain local, lui confie de petits boulots, le garçon s’y voit déjà et apprend rapidement les ficelles du « métier ». Adolescent, il commence les choses sérieuses et fait la connaissance du fameux Jimmy Conway, un gangster irlandais spécialisé dans le détournement de camions et du jeune Tommy De Vito, déjà marqué par un caractère aussi violent qu’instable. Les années passent et Henry devient quelqu’un au sein de la grande famille. Il acquiert petit à petit le respect des aînés notamment lorsqu’il participe au casse du vol d’Air France, en 1967, alors qu’il n’est âgé que de 23 ans. Ambitieux, Henry forme avec Conway et De Vito un trio que rien ne semble arrêter. Toutes les portes s’ouvrent pour les affranchis, l’argent coule à flot et les femmes ne manquent pas. Mais l’assurance d’Henry et de ses amis va commencer à leur causer de sérieux problèmes, notamment lorsque la tentation liée à la drogue se fait de plus en plus pressante…

La Critique :
Finalement, ce n’est pas la mafia qui aura eu la peau d’Henry Hill. Décédé il y a quelques jours des suites d’une longue maladie, celui qui témoigna contre les siens à la suite de l’arrestation de trop en 1980 et qui condamna plus de cinquante gangsters dont ses proches Paul Vario (Paul Cicero dans le film) et James Burke (Jimmy Conway dans le film), a fini de se cacher. La mafia qui avait juré de se venger, mais qui, plus de trente ans après cette spectaculaire vague d’arrestations, a été prise de vitesse par le destin. 

Réticent dans un premier temps à replonger dans le monde de la mafia, Martin Scorsese se laisse finalement tenter lorsqu’il lit le roman Wiseguy, de Nicholas Pileggi, qui retrace le parcours de vie d’Henry Hill. L’aspect documentaire séduit notamment le cinéaste qui réussit à insuffler dans Les Affranchis la plupart de ses passions et autres thématiques fétiches. Le résultat est tout simplement l’un des plus grands films de l’histoire. Les Affranchis est un chef-d’œuvre. Une référence régulièrement citée par les spectateurs, les acteurs ou les réalisateurs. Dans la filmographie de Scorsese, pourtant riche en monuments inoubliables, Les Affranchis fait office de pierre angulaire. Il se place dans la lignée directe de Mean Streets bien sûr, mais aussi de Raging Bull, ou pourquoi pas de Taxi Driver. Les deux œuvres explorant à leur façon les arcanes de la mythologie urbaine ancrées dans leurs époques et s’attachant à retranscrire l’existence de personnages complexes et pour le moins extrêmes. 

Martin Scorsese a signé un chef-d’œuvre. Tout y est ! La réalisation, reposant sur un découpage savant, millimétré et efficace, colle de près aux personnages, et renforce l’empathie paradoxale que l’on peut ressentir pour ces criminels ultra charismatiques. La musique est aussi fabuleuse et rentre viscéralement dans le processus de réalisation. La voix off, omniprésente donne un véritable cachet, mais la musique contribue grandement à l’identité profonde du long-métrage. Là aussi on retrouve le grand Scorsese. Le Scorsese fan de Rolling Stones qui utilise ce qui est manifestement l’un de ses titres préférés de la troupe de Keith Richards, avec Gimme Shelter, mais qui revisite aussi tout un pan de la musique moderne, faisant le trait-d’union avec les partitions traditionnelles souvent rattachées à l’univers mafieux, comme celles de Tony Bennett, Dean Martin, ou encore Frank Sinatra présent au travers de la reprise punk de My Way par Sid Vicious. Faisant preuve d’une incroyable modernité dans sa faculté à illustrer par la musique les actions de ses personnages, Scorsese offre de purs moments de cinéma. On pense entre autres à la séquence du « grand nettoyage » sur le Layla de Derek and The Dominos. Des scènes cultes d’une remarquable pertinence qui s’enchaînent avec brio et qui sont depuis bien longtemps inscrites dans les tables de loi du septième-art.

 Les dialogues aussi sont d’une finesse inouïe. Sur presque 2h30, Les Affranchis démontre du talent de conteur de Scorsese et Pileggi qui là encore contribuent à bâtir la légende du long-métrage. Les Affranchis fait partie de ces films qui enchaînent les perles. Tous les dialogues coulent de source. On peut voir le film vingt, trente, quarante fois, on est toujours assis par le rythme des déclarations, par la photographie aussi, qui déborde de classe et par le décalage génial entre les mots, la musique et le propos. Il y a de quoi être positivement traumatisé par Les Affranchis. Si vous ne l’avez jamais vu, vous ne connaissez pas votre chance. Vous vous apprêtez à découvrir l’un des plus grands films jamais tournés. Une œuvre qui poussa de nombreux artistes aujourd’hui bien installés dans le business comme l’acteur Jonah Hill ou encore le réalisateur Paul Thomas Anderson. Anderson qui avec Boogie Nights, réalisa son remake des Affranchis. Même si le mot hommage convient mieux. On y reviendra. Une chose est sûre : Les Affranchis envoi du lourd. Il traite d’un sujet passionnant et ô combien cinégénique, se distingue par sa complexité limpide, qui supporte un nombre incalculable de visionnages sans que le plaisir ne soit altéré, se montre souvent violent et organise la rencontre du génie de l’écriture, de celui de la musique et de celui de la réalisation.

 Au cœur de ce canevas, les acteurs font un boulot remarquable. Depuis, Ray Liotta, qui interprète Henry Hill, n’a jamais fait mieux. Henry Hill est le rôle d’une vie. Robert De Niro aussi est bluffant et tient également l’un de ses plus flagrants faits de gloire. Et que dire de Joe Pesci ? Complètement à la masse, son personnage est à la fois le plus inquiétant et le plus drôle. La séquence où il s’acharne sur le serveur ou celle où il laisse exploser sa rage sanglante contre un mafieux qui lui manque de respect, font partie de ces vignettes qui marquent. En adéquation totale avec l’état d’esprit et la démarche artistique de leur réalisateur, les comédiens des Affranchis donnent de la substance à des figures bel et bien réelles. L’histoire est vraie, les noms, à peine modifiés.

 Il est intéressant de noter la présence au générique des Affranchis d’un grand nombre d’acteurs de la série Les Soprano. Le film et la série partagent vingt-sept comédiens, parmi lesquels Lorraine Braco, Michael Imperioli et Tony Sirico, le mythique Paulie Gualtieri du show créé par David Chase et ex-mafieux. Pas étonnant que le jeu de Sirico sonne aussi juste. Dans les rues de New-York, alors qu’il plaisante avec quelques grosses huiles de la mafia devant un magasin, ce n’est presque plus du cinéma. C’est plutôt de l’histoire. Une histoire qui s’écrit en lettres de sang.

 @ Gilles Rolland

Crédits photos : Warner Bros