Poésie du samedi, 48 (nouvelle série)
A Ambroise,
Avant l’interruption pour causes techniques de cette veine poétique, peut-être un peu veine sacrée selon l’image ci-dessous, j’avais trouvé cet étrange et macabre poème d’une poétesse anglaise, excentrique assumée au point d’avoir consacré un livre aux excentriques anglais. A l’époque, l’actualité de ce texte pour son dédicataire était plus grande et j’ai presque l’impression de déterrer ce texte de mes tiroirs... Mais peu importe l’actualité quand il est question de thèmes éternels, liés à la finitude de notre humaine condition… On aimera donc chez Edith Sitwel l’espoir qui git dans la poussière et plus encore, comme chez Valéry, le rôle essentiel du ver… Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N'est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas! (Le Cimetière marin)
O cœur vermoulu moi aussi j’ai connu
la terrible Géhenne de l’os
délaissé de la chair. J’ai aussi imploré
à travers les siècles comme l’os délaissé
toute la poussière de tous les morts de remplir
cette place… Ce ne serait pas la poussière que j’aimais.
Car sous la ville d’or, sous le tilleul
céleste où il était, le Clown en haillons
tenant le Cœur strident et le Fémur,
vous avez vu le clown et son fémur épais, rose-chair,
cette Vénus embaumant l’air d’été.
Verrats, chiens affamés et longs vers de la tombe,
fouillant du museau, le flairaient là.
Alors toi, mon soleil, tu m’as laissée pour y courir
A travers porcs, chiens, vers de la tombe en vagues dressées.
Il faut bientôt, je sais, subir le long tourment
des vers de la tombe dans mon cœur… Tu es si changé
comment te reconnaître, long parmi les autres
vers angoissants de la tombe ? Je ne puis que prévoir
le ver où jadis le baiser s’attacha, et le gouffre moindre de ce dernier adieu.
Edith Sitwel (7 septembre 1887 – 9 décembre 1964), Duo d’un cœur et d’un fémur, traduit par Jean-Jacques Mayoux et cité dans l’Anthologie de la poésie anglaise contemporaine de G-A Astre, L’Arche éditeur, 1949. « Elle est probablement avec T.S. Eliot le plus grand poète anglais vivant », écrivait d’elle l’auteur de cette anthologie… Une poétesse singulière s’il en fut, et même frénétique… Un autre extrait, également cité dans cette anthologie, sonne l’espoir d’une résurrection et sa lecture à quelque chose de réconfortant pour l’homme, avec son espoir de midi du ver qui est son frère et même, dans une vitre brisée du taudis le reflet du Buisson Ardent…
…Où la poussière loqueteuse est noblement née comme le Soleil
Maintenant Atlas dépose son monde mourant,
Le clerc, les papiers dans l’office poussiéreux ;
Et les amants abordent leurs éclatants Antipodes
Porté par les jeunes mers de sirènes
Des sangs… il ne trouve plus sa sombre nuit dans son midi,
Car ils oublient la polarité de leurs esprits,
Les atomes discordants… Le moindre filon d’or
Et l’attribut de la poussière
Contiennent une veine sacrée … Les lois qui reposent
Dans la poussière irréfutable sont des décrets du Sort.
L’homme n’est plus,
L’espoir de midi du ver qui est son frère –
Celui qui commence par cette forme sans regard
Puis change pour le monde dans le sein de la mère :
Car le cœur de l’Homme n’est pas encore las du chaos,
Et les mains dont les pouces sont tombés d’inaction, les mains sans travail
Où les besoins de la famine ont poussé les griffes du lion
Portent maintenant sur leurs paumes les plaies du Crucifié.
Car maintenant le Messie dans le cœur humain
Sait pour un instant toute sublimité…
Les vieilles gens au crépuscule sur les seuils
Voient dans une vitre brisée du taudis
Le reflet du Buisson Ardent, et la miette
Pour l’oiseau affamé est un morceau du corps brisé
Du Christ qui nous a pardonné… Lui à la brillante chevelure –
Le soleil dont le corps fut déversé sur nos champs pour la moisson.