A propos de Marley de Kevin Macdonald
Bob Marley
Biographie exhaustive, Marley revient en détails sur la vie et le parcours du célèbre chanteur jamaïcain Robert Nesta Marley dit Bob Marley (1945-1981), qui a réussi à rendre le reggae aussi universel que le message de paix qu’il a voulu faire passer.
Difficile en 2 heures 24 de retracer tous les épisodes d’une vie aussi courte mais trépidante, aussi concentrée et harassante que celle qu’a menée Bob Marley. Presque aussi difficile que de faire le tour d’une personnalité riche et complexe comme la sienne. C’est pourtant le tour de force réussi par ce documentaire, qui mêle archives et témoignages de gens qui l ’ont côtoyés.
Robert Nesta Marley est né à Rhoden Hall, dans les collines de Kingston, en Jamaïque. Il est le fils d’un colon blanc anglais, capitaine quinquagénaire de la Royal Navy aux mœurs peu recommandables et au caractère, dit-on, assez faible. La mère de Robert est quant elle une belle jeune femme jamaïcaine que son mari abandonnera assez vite tout que son propre fils. On sait que Bob Marley a beaucoup souffert de cet abandon comme de son métissage. Sans tomber dans l’aigreur, il écrira cette perte dans l’émouvant et ironique Corner Stone, qui donne lieu à une scène très émouvante dans le film où Kevin Macdonald fait écouter à la demi-sœur et à un cousin de Bob Marley la chanson.
Parti vivre, à l’âge de 12 ans, dans le ghetto de Trench Town, à Kingston, avec sa mère, Bob Marley fonde en 1963 The Wailers (Les Gémisseurs en anglais) en compagnie notamment de Peter Tosh et de Bunny Wailer. La suite, on la connait. Mais la carrière de Bob Marley ne décolle pas tout de suite, entrecoupée par un séjour aux Etats-unis où Bob Marley galère et travaille de nuit dans une usine (il a rejoint sa mère à Delaware dans le Maryland). Cela lui inspirera la chanson It ’s alright.
Une des filles de Bob Marley
Sa situation change vraiment après sa rencontre avec le producteur Chris Blackwell (« Chris Whitewell », comme l’appelait Peter Tosh qui ne l’aimait pas beaucoup et quitta The Wailers en 1973, dans la foulée de Bunny Wailer dont on sent aussi qu’il a gardé des regrets voire une certaine amertume après cette aventure) au début des années 1970. Macdonald retrace en détails tous ses épisodes du parcours de Marley, de sa conversion au mouvement « rastafari » en 1966 à ses nombreuses conquêtes avec les femmes (Marley aura 11 enfants de 7 femmes différentes). Inutile de tout réécrire ici. Juste se souvenir par exemple de l’aventure artistique merveilleuse avec l’excentrique et fantasque Lee « Scratch » Perry, rencontré en 1963, et qui était comme un frère pour Bob Marley. Avec Perry en tant que producteur, Marley enregistrera plusieurs chefs d’œuvre dont Sun Is Shining, Soul Rebel et Kaya.
Ce qu’il faut retenir du documentaire foisonnant de Kevin Macdonald, c’est d’abord sa volonté de désacraliser la figure du chanteur, de lui rendre toute son humanité, dans les doutes, les difficultés qu’a traversé Bob Marley tout au long de sa vie comme dans la maladie. Bob Marley était un battant, sans nul doute. En 1976, il est blessé par balles dans une fusillade à Kingston. Deux jours plus tard, il ira quand même donner un gigantesque concert en montrant ses blessures à la foule. Dans la longue maladie qui l’a emporté (son cancer avait été détecté dès 1977 par un mélanome à un pied découvert après un match de foot dont on sait qu’il était passionné), Marley a aussi toujours montré un courage et une détermination sans failles. Jusqu ’au sacrifice.
Le documentaire n’occulte pas le fait que Bob Marley a parfois fait preuve de naïveté, lorsqu’il pensait par exemple pouvoir réunir les fractions rivales qui s’entretuaient dans les rixes très violentes à Kingston, à la fin des années 1970. Il n’occulte pas non plus les nombreuses infidélités (n’en déplaise à l’avocate de Marley, qui réduit l’infidélité à un concept purement occidental) de Marley à des femmes qui parlent pourtant de lui toujours avec un infini respect, une pudeur et une admiration incroyables, sans rancœur alors qu’elles en ont probablement beaucoup souffert comme Rita.
Mais Marley était un penseur humaniste qui puisait sa philosophie et son message de paix dans le message de l’Apocalypse et du Nouveau Testament.
Ce que l’on découvre à travers les témoignages et les anecdotes racontées par ses proches et ses enfants, c’est que Bob Marley était timide de nature mais, déjà très tôt, un artiste extrêmement exigeant. En tant que père, il n’était pas commode et frôlait même la rigidité, souvent sévère selon une de ses filles qui n’a jamais vraiment eu le temps de profiter de lui, sinon et de manière cruellement ironique, sur son lit de mort. C ’est peut-être elle d ’ailleurs qui parle avec le plus de finesse et d ’acuité, de profondeur et de sensibilité sur lui. Sans doute Marley avait-il gardé de son enfance une certaine dureté en lui. Ses oncles et ses tantes ne lui avaient pas fait de cadeau non plus. Jamais pourtant, il n’en a tiré d’amertume, tentant au contraire de rester positif. C ’est en Haïlé Sélassié Ier (1892-1975), le dernier empereur d’Ethiopie, qu ’il trouvera à la fois un père et la réincarnation humaine sur Terre de Jah, le Dieu rastafari. La première femme de Bob Marley, Rita, jure d’ailleurs avoir vu, lors de la visite Haïlé Sélassié Ier en Jamaïque en 1966, les stigmates du Christ dans la main de l’empereur éthiopien…
Le film, passionnant, de Kevin Macdonald se termine sur une fin de vie qui sonne comme une consécration spirituelle et personnelle pour Marley, une joie en forme d’apothéose et de triomphe pour sa pensée, lui qui viendra enfin rendre visite à l’Afrique, berceau de sa musique et de sa philosophie, paradis originel de la solidarité et de l’amour universels qu’il cherchait à faire passer dans sa musique. Le chanteur se produira au Gabon, où il rencontrera sa dernière femme, puis au Zimbabwe (ex Rhodésie) à qui il dédiera une célèbre chanson qu’il viendra chanter pour fêter l’indépendance du pays en 1980, réussissant comme à son habitude et malgré la fatigue et la maladie, à faire se lever des foules.
Même les Etats-Unis finiront par le porter en triomphe comme un public « black » qu’il mit du temps à conquérir, ce qui l’a toujours soucié…
Plein de petites histoires passionnantes, ce portrait de deux heures 24 de Marley fait ressortir l’image d’un chanteur préoccupé, mystique certes (le documentaire n ’insistait pas assez là-dessus) mais terriblement humain et touchant jusque dans ses erreurs et la naïveté dont il a parfois fait preuve. Mais il s ’est battu jusqu ’au bout contre la maladie qui se propageait dans son corps, et la mort qui l ’envahissait. C’était un homme qui rêvait simplement tout haut, qui espérait qu’un jour la paix puisse régner dans le monde et que les hommes s’entendent entre eux. Doux rêve, que Macdonald a su matérialiser dans ce documentaire nuancé sur un Marley… poignant comme jamais.
http://www.youtube.com/watch?v=nugdeB8mQvM
Film documentaire américano-britannique de Kevin Macdonald (02 h 24).