A tort.
Cet emballement témoignait avant tout de la difficile désintoxication de Sarkofrance que le pays - et sa classe médiatique - devait encore subir.
Le sarkozysme médiatique avait commencé bien avant le 6 mai 2007. Il y a 10 ans, jour pour jour, quand Nicolas Sarkozy prenait les rennes du ministère de l'intérieur et décidait de mitrailler les médias de son omniprésence. En parallèle, un story-telling puissant et régulier fut mis en oeuvre pour présenter sa vie privée. L'instrumentalisation de sa vie privée par Nicolas avait atteint un niveau inégalé. L'ancien Monarque plaidait pour la transparence. On fut servi. Il ne rata pas une occasion d'exhiber Cécilia puis Carla dans toutes les occasions. La première se fit rapidement porter pâle, après le spectacle de la libération des infirmières bulgares; la seconde prit le relais: de Disneyland à Petra,
François Hollande défendait au contraire une normalisation de l'exercice présidence. Mardi, quelques minutes avant midi, sa compagne lâche un tweet malheureux et mal à propos de soutien à un obscur baronnet local qui maintenait sa candidature dissidente contre Ségolène Royal, à la Rochelle. « Coup de tonnerre », « première gaffe », « déflagration », la planète médiatique s'est emballée comme si l'affaire était plus grave que le Karachigate et l'affaire Woerth/Bettencourt réunies. Certes, l'affaire était une gaffe. A la Rochelle, Falorni le dissident était soutenu par l'UMP toute entière. Nul doute que le coup était rude pour Ségolène Royal, et l'intervention désastreuse... localement. Aussitôt des nuées d'éditocrates confirmés ou en herbe se livrèrent à toutes sortes de conclusions rapides, définitives et vaines: selon eux, Hollande avait trahi sa présidence normale, comme s'il l'avait fait exprès. Il fallait écouter, trois jours durant, ces innombrables émissions spéciales sur le sujet pour comprendre les ravages de Sarkofrance. On oubliait la centaine de blessés à Tunis, les manifestations monstres en Russie; les enfants kidnappés par l'armée syrienne pour servir de boucliers humains; la dégradation des taux d'emprunt espagnol et italien ou l'annonce d'un plan d'aide de 100 milliards d'euros aux banques espagnoles.
Pendant 5 années, l'overdose avait été si manifeste que le moindre écart était devenu insupportable à la Nation.
La semaine avait pourtant bien commencé. Dimanche 10 juin au soir, le premier tour des élections législatifs sonnait l'échec de l'UMP. Alliée au Nouveau Centre, l'ancien parti sarkozyste parvenait à peine à faire jeu égal avec le Parti socialiste qui, pourtant, n'était pas présent dans une cinquantaine de circonscriptions (sur 577), pour cause d'alliance électorale. L'abstention était élevée (41%), mais le troisième tour du référendum anti-Sarkozy avait bien eu lieu. La gauche avait le succès modeste, rien n'était joué avant le second tour.
Lundi après-midi, le bureau national de l'UMP fit mine de débattre lors d'une réunion exceptionnelle de l'attitude à adopter face au Front national. Il y avait 32 duels PS/FN. Le Rassemblement Bleu Marine désigna une dizaine de « cibles » à abattre politiquement, dont Xavier Bertrand et Nathalie Kosciusko-Morizet. Fidèle à la stratégie frontiste adoptée par Nicolas Sarkozy depuis le discours de Grenoble, l'UMP décida de ne pas ... décider. Ni front républicain contre le Front national, ni Front national. Ce Ni-Ni faisait grincer quelques dents. Gaullistes et centristes n'osaient râler de peur d'être accusés d'aggraver la défaite.
Toute la semaine, la collusion de quelques UMPistes avec le FN agita le camp sarkozyste. Dimanche soir, Nadine Morano soulignait sa proximité de valeurs avec le Front national, avant de donner une interview à l'hebdomadaire Minute. A Arles, l'UMP Roland Chassain se désistait en faveur de la candidate frontiste contre le socialiste Michel Vauzelle. La députée UMP du tar-et-Garonne, Brigitte Barèges, confiait son ravissement à l'idée que Marine Le Pen puisse être élue à l'Assemblée nationale.
Même François Fillon, que d'aucuns présentaient comme un potentiel recours contre la droitisation de l'UMP, s'afficha mercredi aux côtés de Nadine Morano en Moselle. Il voulait simplement contrer Jean-François Copé. Et mieux courtiser l'aile droite de l'UMP, en vue d'en ravir la présidence à l'automne prochain.
Ce weekend, on votait aussi ailleurs. En Egypte comme en Grèce, les citoyens étaient appelés aux urnes.
Le printemps arabe est bien loin. Quelques grincheux s'étonnent que la démocratie soit un apprentissage difficile. L'ancien autocrate d'Hosni Moubarak a été condamné à la prison à vie voici quelques semaines. La crainte que les Frères Musulmans n'emportent une large victoire est toujours vivace. Jeudi, la Cour Constitutionnelle a annulé les élections législatives. Ce weekend, les Egyptiens votent pour départager les deux finalistes du scrutin présidentiel. Dans la Tunisie pas si lointaine, une simple exposition artistique a déclenché des émeutes cette semaine, faisant plus d'une centaine de blessés.
En Grèce, l'enjeu est l'euro, et une majorité claire. Le précédent scrutin avait débouché sur un blocage. Alexis Tsipras, le leader de la gauche radicale, faisait toujours peur. Il défendait pourtant le maintien de son pays dans l'euro. Mais il refusait la poursuite du plan d'austérité, et le respect du fameux mémorandum conclu par le gouvernement précédent en échange de l'aide financière. En déplacement à Rome jeudi, François Hollande a exprimé son soutien mais sa vigilance. Il rencontrait Angela Merkel et Mario Monti. La première s'est agacée de la « médiocrité en Europe ». Elle enrageait qu'Hollande ait reçu ses adversaires sociaux-démocrates l'avant-veille à Paris.
Le second a appuyé le plan français, dévoilé dans la semaine. Hollande a en effet proposé (1) la création de nouveaux instruments financiers pour pérenniser la défense de l'euro et (2) la création d'une banque européenne d'investissement et d'emprunts obligataires destinés au financement de projets pour relancer la croissance en Europe.
Nicolas Sarkozy se montra, jeudi, à l'hommage funèbre aux 4 derniers soldats français tués en Afghanistan. La vraie nouvelle était la fin de son immunité pénale, vendredi 15 juin à minuit. Il aura fort à faire avec la justice.
Justement, Mediapart livrait deux nouvelles révélations. Dans l'affaire du Karachigate, le juge van Ruymbeke aurait obtenu la preuve que Sarkozy, quand il était ministre du Budget en 1993-1995, avait autorisé le versement de pots-de-vin au réseau Takieddine, dans le cadre d'un contrat d'armement avec l'Arabie Saoudite. Des enquêteurs avaient également mis la main sur des courriels échangés en 2003-2005 entre Thierry Gaubert, ancien conseiller de Sarkozy à l'époque à la Caisse nationale d'Epargne, et quelques proches de Sarkozy (Brice Hortefeux, Ziad Takieddine).
Dans une toute autre affaire, l'association antiCor s'apprêtait à saisir le juge d'instruction en charge des sondages de l'Elysée. Quand il était président, Nicolas Sarkozy avait commandé jusqu'à 300 sondages politiques pour plus de 9 millions d'euros entre 2007 et 2009, somme à laquelle s'ajoutait les 1,5 million d'euros de prestations de conseil à la société Publifact de Patrick Buisson pour la seule saison 2007/2008.
Sur ce sujet, comme sur les autres, l'inventaire ne faisait que commencer. Nous réalisions, jour après jour, que le sarkozysme ne s'effacerait pas si rapidement.
La cure de désintoxication sera longue.