Marley de Kevin Macdonald, 13/06/2012.
On l’attendait depuis longtemps l’oeuvre somme à même de retranscrire le destin hors-norme de Robert Nesta Marley. Des biographies, des documentaires non officiels, il y en a eu, mais jamais un cinéaste n’avait encore reçu l’aval de la famille Marley au complet.
C’est chose faite à présent et l’attente valait le coup car le documentaire fleuve de Kevin Macdonald brille, autant par l’exclusivité de ses interviews, la collecte d’un grand nombre d’images d’archives, que par l’angle d’attaque proposé : Marley en tant que figure politique et spirituel du XXème siècle.
Le projet avait été lancé par Martin Scorcese, cinéaste féru du biographies musicales – The Rolling Stones, Bob Dylan, Georges Harrisson – puis repris par le réalisateur écossais Kevin Macdonald dont les précédant longs métrages, Le Dernier roi d’écosse (2006) et L’aigle de la neuvième légion (2011) témoignaient déjà de son intérêt sincère pour les figures de leader, l’influence politique ou encore la nécessité du symbole. Reprenant ces thématiques, McDonalds trace donc sa voie et prolonge sa réflexion en se penchant sur la figure hors-norme de Bob Marley.
La théorie proposée en filigrane par le cinéaste, mais qui ne se dégage par de manière évidente à la vue du film, se base sur le sentiment de rejet vécu par Marley dès son plus jeune âge et ce, à cause de sa mixité ethnique. Né d’un père blanc et d’une mère noire dans un pays divisé par le colonialisme, le jeune métisse n’est accepté ni des blanc dominateurs, forcément, et encore moins du peuple noir jamaicain. Un traumatisme réel qui divise déjà intérieurement ce jeune homme timide et introspectif. La figure du père reste à jamais un mystère dans la famille Marley. Mystère qui laisse du coup un vide. L’absence de figure paternelle participe à la crise identitaire et au déchirement intime.
Pourquoi parler de ces traumatismes ? Et bien parce que la clé du message de Bob Marley s’y trouve en partie ! La division, Marley l’a connu à plusieurs niveaux : En lui, puis au sein de son peuple et finalement partout dans le monde. Mais le message Rastafari le sauve en lui donnant un but, une voie à suivre. La clé de la philosophie Rastafari réside dans le désir d’unité, celui du corps et de l’esprit, de soi et l’autre, de soi et Dieu. L’individu doit chercher l’harmonie dans ce qui va l’unir et non le diviser. C’est la fameuse maxime obscure du rastafarisme : I and I.
Marley s’est approprié le message rasta mais l’a largement élargi, faisant de l’unité des peuples le message absolu : One love (notez l’importance du Un !)
Du coup, il devient plus qu’un simple musicien. En incarnant son message au quotidien avec humilité et rigueur, il se présente, de lui même, comme un idéal à suivre et devient alors figure spirituelle et politique.
Le fameux concert de réconciliation du peuple jamaïquain est à ce titre un grand moment du film car il prouve une fois de plus la volonté acharné de Marley de vouloir lier les gens entre eux malgré les différences parfois insurmontables. En poussant les deux présidents des partis communiste et d’extrême droite jamaicains à se serrer la main alors qu’une vague de violence sans précédant déchaîne le pays, Bob Marley crée une bulle de joie et d’espoir qui ne dure certes qu’un temps mais qui compte.
C’est là que la pouvoir de la musique intervient. Si le film de McDonalds délaisse parfois un peu l’analyse esthétique de la musique reggae composé par Bob Marley au profit d’un portrait plus politique, il appui cependant l’idée que c’est grâce à la force de sa musique que le message militant de Marley à pu prendre vie. L’art devient alors le médium idéal et définitif car lui seul permet de franchir la limite du rationnel pour rejoindre le spirituel. L’utopie du chanteur semble prendre vie durant ces concerts dans lesquels, plus que jamais, le sentiment de fusion, d’unité entre les êtres devient possible.
Marley est un documentaire biographique à la forme classique (interviews + archives visuelles et sonores) mais solide. La rigueur dans l’agencement des arguments avancés, la confrontation des point de vue et l’excellente sélection de titres confèrent au film une crédibilité journalistique réelle. De plus, de magnifiques prises de vues documentaires viennent compléter la construction plastique du film en lui donnant une ampleur considérable.
Pas de doute, Marley porte bien son sous-titre de «biographie définitive». Une institution.