Magazine Beaux Arts

Bravo aux Israéliens

Publié le 15 juin 2012 par Marc Lenot
Bravo aux Israéliens

Sigalit Landau, Soil Nursing

Bon, rassurez-vous, il ne s'agit que de vidéo... Mais c'est l'occasion de rappeler que ce blog est sans doute le média francophone qui parle le plus de l'art israélien, l'air de rien. Donc trois expositions en cours à Paris avec des artistes israéliens. D'abord, même si elle expose aussi ses sculptures maternelles de pierre et de marbre, Sigalit Landau à la galerie Kamel Mennour (jusqu'au 25 juillet) montre surtout trois grandes vidéos sous le titre Soil Nursing dans lesquelles le spectateur est aussitôt happé, englouti, entouré de toutes parts par le bruit, le rythme, les secousses, la lumière, qui ne lui laissent aucun répit, lui coupent le souffle, le font trembler, le suspendent, entre deux. Non, il ne s'agit pas de guerre, mais de cueillette des olives, d'hommes masqués pour éviter la poussière et ainsi terrifiants comme des combattants, qui secouent, à la main et mécaniquement, les branches des arbres pour faire tomber les olives sur les toiles posées au sol. L'air de rien, certes, mais, même si vous avez déjà fait une fois la récolte, là-bas ou ailleurs, jamais vous ne l'avez expérimenté comme ce violent combat hystérique avec la nature, et pourtant un combat amoureux.

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Raafat Hattab, Bidoun

Les deux autres expositions s'articulent entre Ici, à la galerie Michel Rein et Là-bas, à la Maison Européenne de la Photographie, respectivement jusqu'au 22 et 15 juillet, toutes deux avec la même commissaire (Marie Shek, par ailleurs épouse de l'ex-ambassadeur d'Israël en France) et avec plusieurs artistes en commun, sans qu'il y ait véritablement d'articulation entre les deux expositions au-delà du titre. On retrouve ici Sigalit Landau avec Azkelon, et Yael Bartana avec une des ses pièces les moins controversées, Trembling Times. Parmi les jeunes vidéastes, les plus intéressants m'ont semblé être ceux qui affrontaient directement la réalité complexe de leur région. Ainsi, pour en rester avec l'olivier, symbole si fort de cette terre, on voit un homme soigner un olivier avec tendresse, l'arroser et l'entretenir, au son d'une chanson en arabe qui dit 'je quitte cet endroit, je dois le quitter'. La caméra se recule, on se trouve place Ytzhak Rabin à Tel Aviv, et la figure de l'homme s'évanouit, devient un fantôme, un 'présent-absent', un exilé, un épuré : c'est Bidun (sans titre) du Palestinien Raafat Hattab (chez Michel Rein), par ailleurs connu pour son travail 'queer', doublement minoritaire et opprimé.

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Nir Evron, Free Moment

Nir Evron revisite un monument qui fut toujours une ruine, le palais que le roi de Jordanie se faisait construire à Beit Hanina dans Jérusalem Est quand la guerre de 1967 éclata : dans le territoire désormais occupé où on voit les colonies israéliennes proliférer (et où les immeubles palestiniens se reconnaissent à leurs citernes à eau sur le toit, faute d'accès adéquat aux services municipaux) la carcasse du palais se dresse toujours, fantôme d'un projet avorté. La caméra robotisée l'explore sur des rails, en pivotant dans toutes les directions, selon un programme robotique sans intervention humaine. La déshumanisation de la prise de vue fait écho à l'inhumanité de l'occupation (A Free Moment, à la MEP). Nir Evron montre aussi une vidéo sur la fermeture d'une usine à Haïfa chez Michel Rein, fin de l'état providence.

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Tom Pnini, Volcano Demo

Le garnement de la bande n'est pas le moins éloquent : Tom Pnini vit sous un volcan, ou plutôt, il a construit clandestinement, sur le toit de l'immeuble paternel, juste devant le QG de la police de Tel-Aviv, un volcan qui crache des flammes et menace d'exploser. Belle métaphore de l'inconscience de la bulle face au danger, mais au bout de deux heures, la police a tout arrêté (Volcano Demo, à la MEP).

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Tamir Zadok, Gaza Canal, vue d'exposition

Une encore plus belle utopie est la visite du Centre des Visiteurs du Canal de Gaza, construit par Tamir Zadok dans un docu-fiction futuriste (à la MEP) : un vrai centre où vous pouvez acheter mugs et T-shirts souvenirs. Le creusement du canal a résolu les problèmes entre Gaza et Israël : les Arabes ont été rejetés à la mer et l'île de Gaza est désormais un havre de paix où tous les touristes affluent. De

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Tamir Zadok, Gaza Canal

l'absurdité Bisounours. Un artiste de Gaza, Mohamed Abusal, avait, dans la même veine, proposé un projet de métro à Gaza. Les deux se rejoindront-ils pour dénoncer l'absurdité politique ?

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Public Movement, Promotional Video

D'autres vidéos jouent sur cette absurdité et ces ambiguïtés, Rona Yefman dont la protagoniste Pippi Longstocking tente de détruire le Mur de séparation à mains nues (à la MEP) ou Joseph Dadoune qui montre des chômeurs du Neguev transporter sur leurs épaules un missile vers Gaza (Michel Rein). Les marionnettes de Daniel Landau dénoncent les racismes internes à la société israélienne (MEP) et les adolescents militarisés de Public Movement paradent devant la Knesset de manière fort ambiguë (Promotional Video, Michel Rein  - peut-on traduire 'hasbara' ?). Encore plus ambigu est le travail du duo Maayan Amiret et Ruti Sela (Michel Rein) qui, voulant questionner le boycott, ont construit une galerie flottante extra-territoriale hors des eaux territoriales israéliennes où elles ont projeté des oeuvres d'artistes palestiniens sans leur autorisation (dont Larissa Sansour). Ces pièces-là me semblent bien moins pertinentes.

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Nira Pereg, 67 Bows

Enfin les deux vidéos de Nira Pereg déroutent : celle de la MEP montre 67 flamands roses (pure coïncidence, dit l'artiste, rien à voir avec la guerre de 1967) du zoo de Karlsruhe qui, au son de détonations (mais on apprendra que leur son a été ajouté en post-production), se baissent à l'unisson, bons citoyens dociles et soumis, à quelques exceptions près, des Justes peut-être (67 Bows, à la MEP). Celle chez Michel Rein, titrée G-spotting, montre la recherche du point G : une caméra se déplace sur une façade, obéissant à une voix féminine très autoritaire : 'plus à gauche, non pas tant, plus haut, oui, ici, plus fort,..' : mystère de la recherche du plaisir, autre lieu inatteignable, certes pas 'ici', ni 'là-bas'. Je n'ai trop su qu'en penser...

Toutes photos captures d'écran courtoisie des artistes et des lieux d'exposition, excepté la vue d'exposition de Gaza Canal : photo de l'auteur


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