Au bar à Jules - De Genève

Par Claude_amstutz

En Helvétie - comme partout ailleurs - les commentaires solennels, les avis éclairés, les invectives verbales vont bon train en politique aux heures de grande écoute, à la télévision ou à la radio, où il n'est bientôt plus question que de leçons à tirer des élections passées ou de projections sur celles à venir.

Prenez l'exemple plutôt affligeant du canton de Genève: avec ses plus de 12 milliards de dettes - près de deux fois plus que le second mal classé en Suisse: Zurich - où nous nous préparons à élire un nouveau membre du Conseil d'Etat, en remplacement du radical-libéral Mark Müller, empétré dans une affaire privée, et dont la cécité politique, à propos de sa gestion des affaires, aura eu raison de sa fulgurante ascension, amorcée voici douze ans. Et de quoi donc nous entretiennent les candidats à ce poste très convoité, qu'il s'agisse de la socialiste Anne Emery-Torracinta, du radical-libéral Pierre Maudet, du MCG Eric Stauffer ou du vert-libéral Laurent Seydoux? De responsabilité sociale, d'insécurité, de halte aux privilèges, de qualité de vie, de frontaliers, de quête d'excellence ou de propreté! Ambitieux programme, certes, mais à propos du nerf de la guerre - la santé financière de Genève - un silence éloquent qui en dit bien long sur les autorités de la République au bout du lac... A croire que l'influence de nos voisins tricolores - pour leurs défauts, mais sans leurs qualités - n'en finit pas de couvrir de son manteau une région qui, décidément si peu suisse, aurait en d'autres temps mérité de s'y réfugier...

Paul Valéry notait déjà, bien avant ma naissance, dans un contexte différent, je vous l'accorde:Tout état social exige des fictions. Et plus pessimiste encore il ajoutait: Ce sur quoi nul parti de s'explique: chacun a ses ombres particulières, ses réserves; ses caves de cadavres et de songes inavouables; ses trésors de choses irréfléchies et d'étourderies; ce qu'il a oublié dans ses vues, et ce qu'il veut faire oublier. (...) Ils retirent pour subsister ce qu'ils promettaient pour exister. Ils se valent au pouvoir, ils se valent hors du pouvoir.

Ainsi, en plein accord avec ce grand homme, aux heures fatidiques des développements de l'actualité, j'éteins la radio et la télévision. Je reprends mes lectures en cours, avec en toile de fond La musique sur FB, plutôt satisfait d'avoir évité l'incontournable orage médiatique. Mais soyez rassuré: quand, même sur les ondes, les voix de nos chantres de l'information se sont tues, je file sur la toile de l'Internet pour y mesurer ce qui agite l'Europe et le Monde, mais en choisissant avec soin les sujets qui retiennent mon attention. Un exercice qui réclame peu d'efforts, au quotidien: Trente minutes à peine...

Après tout, une pensée autonome est peut-être bien la seule ou la dernière des libertés à me permettre de résister au pire!

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel (coll. Folio Essais/Gallimard, 1988)

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