Demain, en fait dans trois jours, les Français éliront leurs représentants les plus étatistes qui soient. La gauche, minoritaire dans le pays, aura tous les pouvoirs: exécutif, législatif, médiatique, éducatif, administratif etc.
Dans un sens, c'est bien. La gauche sera pleinement responsable de ses échecs, inévitables. Dans un autre, la France continuera de décliner en réduisant davantage ses possibilités de redressement, alors qu'elle dispose, plus que d'autres pays peut-être, d'atouts indéniables pour réussir.
Pourquoi? Parce que la gauche sait taire ce qui la divise pour s'unir et que la droite - ou ce qui en tient lieu - se complaît dans les divisions.
A gauche, les socialistes volontiers sectaires pourtant - les sociaux-démocrates, les socialistes les plus modérés, y sont bien peu nombreux - ne craignent pas de joindre leurs voix aux écologistes dont la tendance totalitaire n'est plus à démontrer et aux communistes de tout acabit, à la sauce stalinienne ou trotskyste.
A droite, les centristes et les héritiers du gaullisme, devenus tous peu ou prou européistes, se refusent à joindre les leurs à celles des nationalistes, dont le principal et peut-être unique mérite est d'être les seuls à s'opposer à l'Union européenne, mais pour de mauvaises raisons puisqu'ils qualifient l'eurocratie bruxelloise d'ultra-libérale [sic].
Plus profondément, les Français sont donc tous plus ou moins étatistes. Le malheur est que c'est la gauche, c'est-à-dire la fraction hétéroclite la plus étatiste, par idéologie, qui va l'emporter, celle dont les échecs annoncés sont les plus assurés. Car, malgré tous ses défauts, l'autre fraction hétéroclite est susceptible d'évoluer vers moins d'Etat, ne serait-ce que par pragmatisme.
Comment en est-on arrivé là au pays d'Anne-Robert Turgot, de Jean-Baptiste Say, d'Alexis de Tocqueville et de Frédéric Bastiat? Il faudrait remonter loin dans l'histoire de France pour l'expliquer.
Sans remonter trop loin, une explication, entre autres, peut être donnée, me semble-t-il. Les Français, qui ont le sens des formules, se sont donné une devise il y a un peu plus de deux siècles, devenue officielle à la fin du siècle suivant: liberté, égalité, fraternité. Progressivement ils n'ont retenu que le deuxième terme, pris au premier degré, donc dans sa signification la plus littérale et la plus primaire.
En fait les trois termes n'étaient compatibles qu'en restreignant le champ de l'égalité à celui de l'égalité de droit. Or c'est tout le contraire qui s'est produit. La loi, contre le droit naturel, a donné à l'égalité artificielle toute la place. L'Etat laïc, se substituant à la Providence divine, après avoir au tout début égaliser les têtes, s'est fait redistributeur inique des richesses dans le but d'égaliser les sorts.
En conséquence, la liberté et la fraternité ont peu à peu, mais sûrement, été réduites en France à la portion congrue. Or sans liberté il n'est pas de dignité, ni de responsabilité. Sans liberté il n'est pas de fraternité possible. Qu'est-ce que la charité obtenue par la contrainte, sous forme de redistribution arbitraire, sinon le contraire de la fraternité, qui ne peut s'obtenir que par consentement mutuel.
Le salut de la France ne viendra que d'un changement des mentalités. Celui-ci viendra certes de la confrontation avec les dures réalités, mais aussi d'un retour à la liberté. Encore faut-il que les Français veuillent redevenir libres, qu'ils aient envie de redevenir créateurs et entreprenants plutôt que fonctionnaires et serves, qu'ils renoncent à la fausse providence dispensée par un Etat omnipotent et omniprésent, qui n'est pas la solution mais le problème.
La bataille perdue le 17 juin n'est pas la guerre perdue par les femmes et les hommes libres au profit des étatistes . Dès le lendemain, 18 juin, tout un symbole, la résistance à l'étatisme commencera activement. Elle se nourrira des méfaits de son aggravation annoncée. Les initiatives se multiplieront spontanément pour redonner à la liberté toutes ses couleurs, dans un réflexe de survie, comme la France en a connu au cours de son histoire.
Il est cependant une initiative qui n'a pas attendu les victoires de l'étatisme triomphant de mai et de juin 2012. A l'automne 2011, deux simples citoyens français, Stéphane Geyres, 50 ans, senior consultant, et Ulrich Genisson, 33 ans, salarié, se sont lancés dans un projet hors du commun, réaliser sur le thème de la liberté un livre, libre de droits, intitulé Libres, écrit par 100 auteurs, appuyé par 100 supporters, dont votre serviteur.
Les 100 auteurs, comme les 100 supporters, sont dans leur grande majorité des gens simples issus de la société civile. En parcourant la liste, je repère des étudiants, une personne en recherche d'emploi, un menuisier, un plombier, un batelier, des ingénieurs, des avocats, des chefs d'entreprise, des professeurs, un artisan taxi-moto, un instituteur, un auteur-compositeur, un écrivain, des comptables, des économistes, des retraités, un conducteur de travaux, un joueur de poker ...
Le plus jeune de ces auteurs a 19 ans, le plus âgé 85 ans - c'est mon ami et complice Michel de Poncins. Ces femmes et ces hommes libres sont tous francophones et ont à coeur la liberté de la France: 72 d'entre eux vivent en France, 9 en Belgique, 6 aux Etats-Unis, 1 en Italie, 1 au Japon, 1 au Royaume-Uni, 5 en Suisse, 1 en France et Brésil, 1 en France et Chine, 1 en France et Espagne, 1 en France et Maroc et il y a même un globe-trotteur...
Cette diversité se retrouve dans les contributions, qui abordent parfois des sujets pointus, mais toujours de manière accessible au grand public. Six parties composent ce livre: les principes de la liberté et la société libre; la vie professionnelle et l'économie; l'éducation, la recherche et l'enseignement; l'appréciation du risque par chacun; les dysfonctionnements de notre société moderne; les alternatives offertes par la liberté.
Les libéraux qui ont contribué sont de toutes les nuances. Les libéraux autrichiens côtoient des libéraux classiques, des monétaristes et, même, des libéraux de gauche. Sans parler de ceux "qui n'ont même jamais ouvert de littérature libérale", comme le dit Ulrich Genisson dans un entretien accordé à Contrepoints, en compagnie de Stéphane Geyres ici.
Ce livre paraîtra en septembre prochain. Je reviendrai dessus longuement, sans doute à plusieurs reprises quand j'aurai lu cet été toutes les contributions. En attendant l'internaute peut visiter le site de La main invisible ici pour en apprendre davantage d'ici la parution.
Stéphane Geyres, dans l'entretien à Contrepoints, espère avec ce livre collectif "que la liberté retrouve la place qu'elle mérite dans le coeur des Français et dans notre société et dans celle de nos enfants".
Ulrich Genisson, puisque cet ouvrage vise tout le monde, ose même espérer, grâce à lui, convertir une femme ou un homme politique, étatiste jusqu'à présent, à oeuvrer désormais "à déconstruire nos Etats obèses et redistribuer la liberté au peuple". Le seul genre de redistribution qui emporte ma totale adhésion...
Francis Richard