Malheureusement, les gentils font parfois des entorses à leurs principes et les méchants ont souvent un bon fond; ils aimeraient faire autrement mais le tourbillon de la vie économique les a emportés loin de leurs idéaux refoulés. Parfois, gentils et méchants se rencontrent. Ils cultivent leurs différences, comme on dit.
Finalement, ce n’est plus une question de gentillesse mais de courage et d’obstination. Et la méchanceté n’est pas une inclinaison au mal mais un délicat mélange de réalisme et de résignation.
Retour de Cluny
En rentrant de Cluny, où avait lieu le sous-médiatisé Festival de la transition, je me suis retrouvé à dormir chez un type extraordinaire. Dans son petit village, de son métier de charpentier, il a commencé à fabriquer une roulotte. C’est sa première et il a placé la barre assez haute ; il veut y installer un système de rails coulissant pour que la salle de bains puisse dépasser de la roulotte une fois celle-ci stationnée. La roulotte doit être belle et fonctionnelle. Il y a des contraintes d’espace à optimiser, des contraintes d’étanchéité et des contraintes thermiques car la température peut rapidement grimper à midi et drastiquement tomber à minuit. En guise d’amortisseur thermique, il faudrait hélas recourir à des matériaux bien trop lourds.
Il cogite, il imagine et bientôt de l’autre côté la roulotte sera prête pour son client. Pour cela il sera payé. En attendant, il est adepte du SEL, le Système d’échange Local.
C’est beau et simple l’économie. Finalement.
Loin de lui, il y a l’Economie avec une majuscule. On l’appelle aussi la science économique. Et aussi la Finance. Et la Stratégie. Et aussi la gestion, la comptabilité, le contrôle de gestion, les ressources humaines, le marketing, etc. Des disciplines pleine de méchanceté, c’est à dire de réalisme, à mille lieues des roulottes et de la route du SEL…
Ces matières savantes, élaborées et raffinées sans cesse au cours des derniers siècles (voire décennies), je n’en avais jamais entendu parler que de nom. Comme tout le monde, avec la crise financière, et même avant, je m’intéressais à cette étrange invention qu’est l’argent. Je lisais même, avec peine, la philosophie de l’argent de Simmel, considérant que pour comprendre un phénomène, il fallait d’abord l’attaquer sous l’angle philosophique.
Fiduciaire comme la foi
Il fallait manipuler tout cela pour mieux savoir de quoi on parlait. Par exemple, je me suis toujours demandé comment 5 personnes sur une île déserte, avec chacun 10 euros en poche au départ, pouvaient, au bout de quelques années, finir par brasser plus de 50 euros. Si l’on imagine que la Terre n’est qu’une grosse île déserte, la quantité d’argent actuelle devrait être stable depuis la nuit des temps.
Or… on est loin du compte.
Je me suis également demandé : « puisque toute recette quelque part correspond à une dépense autre part, il est raisonnable de penser que la somme mondiale des actifs et passifs mondiaux (ménages, états, entreprises, banques…) est nulle ». Pour le dire autrement, dans un langage mathématique, l’argent n’est pas un scalaire mais un vecteur. En termes physiques : l’argent n’est pas un stock mais un flux.
Convaincu de mon ignorance, et convaincu qu’en tant que créateur d’entreprises il était judicieux sinon courtois d’avoir quelques notions financières, j’ai suivi cette année un master à l’université Paris Dauphine. Pour les non-initiés, Dauphine est une faculté qui figure dans le TOP 5 des écoles de commerce, avec HEC, ESSEC, EDHEC et Sup de Co.
Bref, pas vraiment un repaire de gauchistes…
Anecdote historique, l’université Paris Dauphine est l’ancien siège français de l’OTAN (de 1959 avant de démanger à Bruxelles en 1966).
Je me suis donc retrouvé sur les bancs d’école, quelques jours par mois, avec des partiels, des études de cas à rendre en temps et en heure et une soutenance finale pour célébrer le tout. J’ai découvert les stratégies de Porter, j’ai appris à décrypter d’un coup d’oeil un bilan et divagué sur certaines bonnes idées en communication/marketing.
Les SCOP entrent à Dauphine
D’un côté, la vieille famille coopérative qui a traversé plus ou moins discrètement les siècles du capitalisme triomphant; de l’autre l’université d’excellence bien décidée à continuer sur la voie libérale, en effectuant les corrections à la marge quand les dérapages financiers se voient trop…
C’est en réalité une vielle demande des deux côtés. Car dans le monde de l’économie sociale et solidaire, on aime à débattre sans fin sur la signification du mot SOCIAL et du mot SOLIDAIRE… si bien qu’on oublie ce qu’est l’ÉCONOMIE… la considérant comme secondaire.
Et Dauphine, en toute sincérité me semble-t-il, sent bien que les lignes bougent, que les petites corrections ne suffiront pas, et que le monde financier qu’il a nourri et dont l’université s’est nourri, a fini par être aveuglé par les seuls ratios comptables et financiers.
Là où l’on doit, évidemment, s’interroger sur la finalité et le bien-être.
Ce master est tout nouveau. Ce fut la première promotion, composée uniquement de dirigeants ou futurs dirigeants de SCOP. Les rencontres entre SCOP de tout horizon (bâtiment, imprimerie -centenaire !-, services…) et de toute taille (de 3 à 1000) sont forcément stimulantes.
Pour faire simple, on peut dire qu’il y a aujourd’hui à Dauphine deux Masters « aternatifs ». Pour adopter le langage d’aujourd’hui, orienté vers la résilience.
- Le Master Parcours Dirigeant de SCOP
- Et le master Développement durable (10 ans d’âge)
Mais chut !
L’année prochaine, si tout va bien, je m’inscris au Master Fabrication de Roulottes dès qu’ils le créent…