Pris en sandwich entre le PS et l’UMP, le leader du centre indépendant se
retrouve piégé par son isolement : manque de stratégie, absence d’anticipation, ses positions ont désorientés, et il risque d’en payer le prix fort dans sa circonscription.
La position de François Bayrou dans la 2e circonscription des Pyrénées-Atlantiques (Pau est et sud) est
désespérée et il lui est quasiment impossible à redresser la barre même si rien n’est encore joué.
Élu dans cette circonscription depuis juin 1988 (il est député depuis mars 1986 mais initialement élu au
scrutin proportionnel), l’ancien candidat à l’élection présidentielle est sur un siège éjectable. En
effet, au premier tour des législatives du 10 juin 2012, il est arrivé en 2e place, avec 23,6% des voix, derrière Nathalie Chabanne, candidate socialiste, qui a recueilli 34,9%, et un
troisième candidat, UMP, Éric Saubatte, avec 21,7%, a pu se maintenir à 719 voix près.
La triangulaire est d’autant plus désespérée que l’abstention a été un peu plus faible que la moyenne
nationale (37,2%) et que le leader centriste n’a plus beaucoup de réserve de voix. Le total gauche atteint 43,5%, ce qui, uniquement en plaquant les résultats du premier tour, lui donnerait un
potentiel maximal de 34,8% provenant des autres candidats éliminés, et encore, dedans, il faudrait compter avec les 9,3% de la candidate FN Jessica Bernadez.
Bref, une situation de cauchemar, mais François Bayrou n’est pas du genre à s’avouer vaincu avant l’heure et
ratisse toute sa circonscription cette semaine pour tenter de mobiliser les abstentionnistes sur un seul mot d’ordre : que la diversité puisse encore vivre au Palais-Bourbon. Une pétition
contre l’extinction des espèces en voie de disparition pourrait voir le jour.
En effet, sa voix, au contraire d’un député UMP ou d’un député PS, est originale et manquerait
considérablement à l’Assemblée Nationale en ce qui marque un refus de s’inféoder dans un camp ou dans un autre. Sans sectarisme, sans idées préconçues.
Mais c’est un thème national, or, les électeurs dans une circonscription peuvent au contraire privilégier la
préoccupation locale, et c’est sûr qu’un leader national passe moins de temps qu’un député de base sur le terrain.
En mai 1993, le centriste Bernard Stasi, maire d’Épernay et président du conseil régional de Champagne-Ardenne, avait été battu par l’actuel député UMP, Philippe Martin (en bonne position pour le second
tour). Il faut dire que les activités internationales nuisaient à sa visibilité dans une terre essentiellement viticole, d’autant plus qu’il ne buvait jamais d’alcool ni de vin. L’actuel maire
d’Épernay, Franck Leroy, dauphin de Bernard Stasi, était présent au scrutin de dimanche dernier mais n’a recueilli que 10,8%.
Dès le dimanche 10 juin 2012 à 21h40, François Bayrou avait analysé avec lucidité les raisons de sa
contre-performance : « Une partie importante de mon électorat traditionnel n’a pas compris et n’a pas accepté la décision qui a été la mienne de
voter pour François Hollande au second tour [de l’élection présidentielle]. » et a ajouté : « De bonne foi, ils ont été meurtris par
ce choix. ».
En pratique, il a tout fait pour être rejeté : à gauche au niveau national, à droite au niveau local, il
a mécontenté tout le monde, l’électorat local est devenu désorienté (notre député de centre droit serait-il de gauche ?) et au niveau national, on ne peut pas dire que cela ait porté ses
fruits.
C’est d’autant plus désolant que pendant la campagne présidentielle, il était le seul à réellement posé les
vrais enjeux du débat : renforcer l’appareil productif national, se focaliser sur l’assainissement des financements pour reprendre une marge de manœuvre face aux finances internationales,
reconstruire une démocratie plus fiable.
Un mot d’ailleurs sur les socialistes. François Hollande, avant son élection, avait assuré de son ouverture et affirmé qu’il rassemblerait tous ceux qui voteraient pour lui au second tour, qu’il y aurait de la
place pour tout le monde.
Ce discours avait une visée, Jean-Luc Mélenchon. Le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a même redit sur France Info le 13 juin 2012 ("Questions d’Info") son
accord pour la présence de ministres communistes dans son second gouvernement.
Car François Hollande n’a jamais parlé qu’au peuple de gauche. La droite le lui a rendu puisqu’elle a voté
majoritairement pour Nicolas Sarkozy et si François Hollande a gagné, c’est grâce aux voix de ceux qui, justement, refusent d’être catalogués dans
un camp ou dans un autre, à l’instar de François Bayrou.
Certes, certains socialistes modérés, comme Pierre Moscovici et Manuel
Valls, avaient plaidé pour tirer les conséquences du vote de François Bayrou et ne lui opposer aucun candidat socialiste. Mais Martine Aubry, la première secrétaire du PS, a fermement rejeté ce genre de concession, oubliant qu’elle s’est,
elle-même, dans sa majorité municipale à Lille, "compromise" avec des élus centristes.
Le leader écologiste Daniel
Cohn-Bendit a même répété dans "Le Monde" du 12 juin 2012 : « Ce serait une bonne chose [que le PS renonce à sa candidature] mais,
évidemment, cela n’arrivera pas car la candidate PS est arrivée en tête. Cela n’arrivera pas, mais ça reste une faute. ».
Il a renchéri : « Comment définir l’attitude du Parti
socialiste dans cette affaire ? Myopie ? Sectarisme ? Toujours est-ils qu’ils n’ont pas compris, ou qu’ils n’ont pas voulu comprendre, que ce geste aurait eu une portée symbolique
forte. ».
Pour conclure sur une formule choc : « François Hollande, pas plus que son parti, n’apprécie le
centre. On retrouve là une tradition bien française : la gauche n’aime pas le centre, la droite non plus ; et le problème, c’est que le centre ne s’aime pas davantage. ».
L’ingratitude du PS et de la majorité présidentielle est donc complète : l’objectif, c’est d’avoir le
pouvoir aux mains d’un seul parti, hégémonique, le PS, comme du temps de l’UMP.
Il n’y a guère de changement dans la pratique des institutions. L’histoire du parachutage de Ségolène Royal à La Rochelle le montre bien avec le soutien explicite d’un Président de la République qui s’était
pourtant engagé avec force que jamais, au grand jamais, il ne s’immiscerait dans les affaires de son parti. Cela illustre à quel point le PS trompe son public.
Beaucoup de choses sont critiquables chez François Bayrou et en particulier l’absence totale de stratégie
électorale pour son parti. Il se retrouve aujourd’hui victime de sa propre logique suicidaire qui visait à sacrifier tous ses élus pour la seule présidentielle.
Mais l’enjeu n’est pas personnel : il s’agit de savoir si la prochaine Assemblée Nationale pourra
accueillir en son sein des personnalités indépendantes capables d’apporter une réelle valeur ajoutée aux
débats parlementaires. François Bayrou en fait partie.
Au premier tour, son parti a obtenu quatre fois moins de voix que le 10 juin 2007. Cela a une signification
immédiate : cela signifie qu’il aura quatre fois moins de dotation de l’État.
Après cinq années d’errance (j’y reviendrai), il serait quand même temps de remettre à plat le principe suicidaire de l’isolement en politique. Même son vice-président, Robert Rochefort, l’admet :
« On s’est fracassé sur le mur de la bipolarisation.
Peut-être va-t-il falloir faire un peu de realpolitik et être capable de signer des accords. ».
Et à votre avis, qui, du PS ou de l’UMP, serait le plus prêt à passer un accord national avec le MoDem ?
Au regard de ce qui vient de se passer dans les dernières semaines, la réponse paraît évidente…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (14 juin
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le premier tour des législatives
2012.
Le Centre pour
Bayrou ?
Pourquoi Bayrou ?
Bernard Stasi, une chance pour la France.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/il-faut-sauver-le-soldat-bayrou-118499