J'avais remarqué à Montrouge le travail de Giulia Andreani, et, suffisamment excité par le fait que, parfois, la peinture contemporaine (je veux dire, celle des jeunes peintres) ne m'est pas indifférente, je n'ai pas manqué son exposition à la bien-nommée galerie Premier Regard (jusqu'au 22 juin).
On y retrouve bien sûr des peintures d'histoire, où la mémoire parfois apparaît clairement et parfois peine à se frayer un chemin jusqu'à la surface de la conscience. Alors que la photographie est censée représenter, au moins depuis Barthes, le 'ça a été', Andreani la capture, la détourne, la peint et, dans ces frontières bleutées, crée des émergences fantomatiques, des résurgences d'histoire officielle ou de scènes cinématographiques mythiques. Les réserves de la toile, les coulures, toutes ces marques de fabrique tentent de l'arracher à la représentation mécanique, à la rendre unique. S'alignent face à face dictateurs et leurs compagnes, premières dames parfois sanguinaires et parfois restées dans l'ombre, tous éternellement jeunes, comme si on pouvait lire leur destin sur leurs traits. Pour vous épargner les devinettes, dans l'ordre : Mussolini, Ceaucescu, Mao, Hitler, Franco, Salazar, Staline et Pol Pot, et mesdames (Salazar resta célibataire, contentons-nous de sa fiancée de jeunesse).
Mais chez Andreani l'histoire est aussi commune, ordinaire, démarquée de photos trouvées, histoires d'infirmières et de danseuses. L' image dérisoire et absurde de ces pin-ups aux seins pointus dansant la devise de la République conjugue la précision du texte No Exit et le flou sensuel des formes bleutées comme dans un cyanotype. La mémoire des temps anciens vient ici percuter la politique, la dureté du monde.
Enfin la Vénitienne raffinée s'en va s'encanailler à Palerme, frisonner dans les catacombes des Capucins où toute la bonne société s'est laissé momifier : sujet de photographes (Peter Hujar surtout, Sophie Zénon aussi) plus que de peintre, sujet horrible devant lequel le pinceau recule, mais l'objectif n'hésite pas (comme les horreurs de la guerre, nous en reparlerons à propos de 1917), sujet donc qui convient bien à cette peintre de mémoire, à cette réappropriatrice d'images, iconophage comme elle dit (mais elle ne se contente pas de les dévorer, elle les digère et en régurgite de nouvelles) : elle en fait une toile, ci-contre, mais aussi, ce qui convient peut-être mieux à ce sujet, les aquarelles ci-dessous, medium où la violence macabre du sujet semble se diluer plus aisément.
Photos 1, 2 & 5 de Joseph Postec, courtoisie de l'artiste. Photos 3 & 4 de l'auteur.