Le Mécanisme Européen de Stabilité est un puissant facteur d ’instabilité dans la crise de la dette publique européenne. Il rendra les prévisions de marché encore plus opaques et alimentera l ’incendie de la crise de la dette publique, soit exactement l ’inverse de ce pour quoi il a été conçu.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.
Pauvre Espagne ! À peine son secteur bancaire était-il sauvé que les taux d ’intérêt repartaient à la hausse…
PARIS – Le taux à 10 ans de l ’Espagne a atteint un plus haut depuis la création de la zone euro mardi en milieu d ’après-midi, la méfiance des marchés à l ’égard de la dette du pays s ’accentuant malgré l ’annonce du plan de sauvetage des banques.
Vers 16H10 (14H10 GMT), le rendement espagnol se tendait à 6,756% contre 6,487% lundi soir. La situation de l ’Espagne est pire que la semaine dernière, a estimé un opérateur pour qui le plan annoncé samedi n ’a pas apaisé les craintes sur la situation du pays.
Pourquoi les banquiers et les acteurs de la finance se concentrent-ils à ce point sur l ’origine des fonds venant au secours du secteur bancaire espagnol ?
Contre toute attente, les sommes avancées devraient être absorbées par les dispositifs existants – FESF et MES – sans que les États moins endettés de la zone euro (l ’Allemagne, pour ne pas la nommer) ne remettent la main au pot. Mais FESF et MES ne fonctionnent pas exactement de la même manière, et comme on dit, le diable est dans les détails.
Le FESF a été mis en place au printemps 2010 comme mesure transitoire jusqu ’au lancement du MES le premier juillet de cette année. Il devrait s ’éteindre en 2013. Le MES, lui, a vocation à être permanent.
Le FESF dispose de 440 milliards d ’euros dont une bonne partie a déjà été engagée. Le MES peut plus ou moins emprunter sans limite, mais dépend des économies nationales selon leur force respective : 27% pour l ’Allemagne, 20% pour la France, 18% pour l ’Italie et 12% pour l ’Espagne (oui, un pays ayant besoin d ’aide peut contribuer au fonds destiné à le secourir : dans la zone euro on n ’est plus à une aberration près…).
Les deux fonds peuvent souscrire des obligations auprès des marchés financiers à un taux préférentiel, puisqu ’une dette mutualisée est moins risquée qu ’une dette assumée par un seul acteur.
Le parallèle s ’arrête là, car FESF et MES ne sont pas soumis aux mêmes règles juridiques. Affirmer que MES disposerait d ’avantages particuliers serait un euphémisme ; pour comprendre ce qu ’il en est, rien de mieux qu ’une petite vidéo d ’Allemands inquiets pour l ’indépendance de leur pays face à la monstruosité légale que représente le MES…
Les présentations étant faites, un économiste du Crédit Agricole, Frédérik Ducrozet explique le mystère de la hausse des taux :
Beaucoup de détails sur le plan d ’aide restent inconnus et des détails qui comptent, notamment (…) qui du FESF ou du MES prêtera l ’argent à l ’Espagne. Dans l ’hypothétique scénario extrême d ’une restructuration de la dette espagnole, en tant que créancier, le FESF serait en effet logé à la même enseigne que les autres prêteurs.
En revanche, les prêts du MES sont dits seniors c ’est-à-dire que le fonds serait remboursé en priorité et au détriment des autres créanciers, un scénario qui peut entretenir les craintes du marché, vu que les investisseurs privés se verraient relégués derrière le MES.
Les avantages du MES ont un revers. Les garanties dont il peut juridiquement se prévaloir lui permettent certes d ’emprunter à bon compte, mais elles effraient d ’autant plus les créanciers en concurrence avec lui lorsqu ’il s ’agit de souscrire à de la dette publique.
Qui accepterait de prendre place sur la ligne de départ d ’un marathon en sachant que le coureur d ’à côté fera le trajet en voiture ?
Alors, c ’est vrai, rien ne dit pour l ’instant que le MES interviendra en Espagne. Les Européens se tâtent. Le FESF est un fonds « normal » et donc soumis à des règles normales : ses statuts prévoient que les États aidés soient exclus de la liste des garants, reportant la caution sur les autres et faisant grimper leur dette publique, ce qui fait rechigner certains pays de la zone euro. Le MES, lui, est doté de fonds propres et prévoit que tous restent garants, même ceux sous perfusion, si bien qu ’une nouvelle aide ne changerait rien pour les contributeurs.
Mais voilà, la simple possibilité que le MES puisse intervenir à un moment ou un autre, lorsqu ’il existera officiellement, plane déjà comme une épée de Damoclès sur le marché des obligations publiques à cause de sa qualité de prêteur « senior ». Et qui dit risque dit taux plus élevés pour couvrir ce risque. D ’où la hausse subite des taux espagnols, italiens et tutti quanti.
On peut parier que dès que le MES interviendra pour soutenir un pays, les taux d ’intérêt de ce dernier exploseront, personne n ’acceptant de devenir de facto un créancier de deuxième catégorie. Ce qui poussera immanquablement le MES à intervenir davantage, et rapidement, le conduisant à assumer de proche en proche l ’entier de la dette de ce pays. Si cette manière de faire règle d ’une certaine façon l ’écart de traitement entre créanciers normaux et créanciers prioritaires (ceux-ci s ’effaçant en faveur de celui-là) les centaines de milliards d ’euros dont le MES est initialement doté ne suffiront évidemment pas à lui faire absorber autant de dette publique…
En fin de compte, les avantages juridiques dont est doté le MES ne feront qu ’augmenter la défiance des marchés financiers envers la zone euro.
Le Mécanisme Européen de Stabilité est donc un puissant facteur d ’instabilité dans la crise de la dette publique européenne. Il rendra les prévisions de marché encore plus opaques et alimentera l ’incendie de la crise de la dette publique, soit exactement l ’inverse de ce pour quoi il a été conçu. Brillante invention !
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