Le contraste est étonnant : l’IATA souligne que les compagnies aériennes afficheront de très mauvais résultats financiers en fin d’année et, au même moment, Ryanair confirme son éclatante bonne santé, illustrée par une rentabilité exemplaire. On n’ose dire qu’elle fait figure d’exception qui confirme la règle tant elle apparaît plus que jamais inclassable, unique en son genre. Et cela dans des conditions qui soulèvent des questions sans que la compagnie cherche à formuler les réponses que chacun est en droit de se poser.
Au cours de son exercice fiscal 2011/2012, Ryanair a réalisé un chiffre d’affaires de 4,32 milliards d’euros, en hausse de 19% et a dégagé un bénéfice après taxes de 503 millions, en progression de 25%. Dans ces conditions, on n’est évidemment plus en droit d’affirmer que le transport aérien est inévitablement non rentable. Mais on s’interroge encore et toujours, non pas sur le modèle économique low cost, bien connu de longue date, mais plutôt sur son interprétation irlandaise, marquée par des tarifs qu’aucun concurrent ne peut suivre, une recette unitaire moyenne que l’on est tenté de qualifier de dérisoire et une maîtrise des coûts jamais égalée par qui que ce soit.
Il n’y a pas longtemps, il était de bon ton de supposer que cette manière de faire n’était possible que dans le cadre d’une progression forcenée de l’offre, elle-même permise par l’incessante multiplication de lignes nouvelles. Force est de constater que cette analyse n’est pas fondée, que l’époque des augmentations de trafic à deux chiffres est terminée : au cours de l’exercice clôturé il y a quelques semaines, Ryanair a transporté 75,8 millions de passagers, à peine 5% de plus que l’année précédente. De plus, la demande apparaît très saisonnière, la clientèle faite en grande partie de touristes ou de personnes se déplaçant à titre privé, tendant à fortement diminuer en hiver. D’où le choix de mettre au sol, pendant plusieurs semaines, jusqu’à 80 avions, sur une flotte qui en compte 294.
Cette stratégie, marquée par une certaine forme de «violence» financière, a désormais démontré son bien-fondé, bien qu’elle pose certainement des problèmes complexes de gestion du personnel navigant, pilotes en tête. On comprend que Michael O’Leary, directeur général omniprésent de Ryanair, autoproclamée «ultra low-cost carrier», catégorie dont elle est l’unique membre, clame sa satisfaction. Cela, dit-il, dans un environnement hautement défavorable marqué, bien sûr, par le pétrole cher mais aussi des taxes et redevances que combat O’Leary avec une belle constance, l’économie très malade de l’Europe, l’effondrement de la Grèce, les difficultés espagnoles et italiennes, etc. Mais il omet, c’est de bonne guerre, d’évoquer le coup de main que lui donnent aéroports et chambres de commerce pour s’attirer ses faveurs.
Le principal repère, celui de la recette par passager, évolue lentement et a progressé en un an de 13% pour atteindre 57 euros. Y compris les rentrées annexes de tous ordres. C’est peu, très peu, moins que chez EasyJet, immensément moins que chez les «grands» dont les rouages sont autrement plus complexes et plus lourds, en même temps que source d’inertie commerciale. D’où cette réputation justifiée de «vraie» low cost, vouée au transport de passagers d’un point A à un point B, sans s’occuper du reste, si ce n’est de susciter des recettes complémentaires grâce aux bagages, aux ventes à bord, aux locations de voitures, aux réservations de chambres d’hôtel.
Ryanair, bien qu’elle s’en défende, est de toute évidence arrivée à maturité, encore qu’elle inaugure chaque mois plusieurs dizaines de lignes nouvelles, très exactement 330 en 12 mois. D’où la densité exceptionnelle de son réseau, 1.500 lignes exploitées exclusivement en point à point. Une machine de guerre d’une puissance exceptionnelle à laquelle ne peuvent résister les plus fragiles de ses concurrents. O’Leary prend d’ailleurs un malin plaisir à énumérer régulièrement les compagnies européennes récemment disparues, en l’occurrence Spanair, Malev, Cimber Sterling, liste à laquelle il pourra peut-être bientôt ajouter BMI Baby.
Ce soir à minuit se termine une nouvelle promotion spectaculaire (on est tenté de parler de soldes de printemps), un million de places vendues à un prix dérisoire, de quoi parfaire l’image de grande générosité de l’ultra low-cost carrier et de bousculer un peu plus la concurrence. Le reste, tout bien réfléchi, n’est que littérature et ce n’est pas vraiment le genre de la maison.
Pierre Sparaco - AeroMorning