Si l’Europe part en sucette, si la finance mondiale tire la tête, si l’économie est en berne et si la France montre tous les signes d’essoufflement politique, économique et démocratique, ce n’est pas grave du tout : le pays est en train de basculer à gauche avec la grâce d’un cachalot mort, et si l’on ajoute cette merveilleuse nouvelle au miracle permanent que représente François Hollande à l’Élysée, on sait que l’avenir ne pourra être que rose.
C’est donc dans ce contexte de fête foraine permanente et de bourrichon du PS remonté comme un coucou suisse qu’il est plus que temps d’introduire le Défi Marianne. Il s’agit d’un défi politique, économique ou industriel que le gouvernement s’engagera à tenir parce que non, mes petits amis, les promesses n’engagent pas seulement ceux qui les écoutent : elles les plombent copieusement et avec entrain, et ce serait dommage de se priver d’une bonne partie de rigolade quand on est élu et que c’est aux frais de la princesse, non ?
Probablement déjà bien amoindri par un repas copieux arrosé des vins capiteux discrètement stockés dans les caves du Berlaymont, le pauvre Pierrot n’avait probablement pas toute sa tête lorsqu’Olli Rehn, le Commissaire européen en charge des affaires économiques, lui a tendu un gros micro mou en conférence de presse pour expliquer un peu comment il envisageait la suite des opérations économiques en France dans les mois qui viennent.
Le syndrome du gros micro mou a encore frappé.
Pour rappel, ce syndrome provient de l’utilisation, par les journalistes, de gros micros mous qu’ils placent, assez sadiquement d’ailleurs, sous le nez de personnes dont l’avis péremptoire s’est forgé à l’aune de leur seul et unique entendement, sans la moindre connexion avec la réalité ni réflexion avec des personnes au courant.
En gros, le journaliste colle le gros micro mou sous le nez de sa victime et va ensuite poser une question titillante mais très clairement hors du champ de compétence de l’interrogé. Quand il s’agit d’un quidam, c’est généralement dévastateur. Avec un politicien moyen, la catastrophe logique, rhétorique et argumentaire est totale. Lorsqu’il s’agit d’un ministre, français de surcroît, et parachuté à l’économie, c’est l’holocauste thermonucléaire de la raison avec des cris de victimes éparpillées au semtex comme fond sonore.
Pour en revenir à Moscovici, campons un peu le décor : au sortir du repas, titubant un peu lorsque le sang dans son alcool remonte brutalement à son cerveau et le réoxygène vaguement, le pauvre Pierre se retrouve propulsé derrière un gros pupitre bien protecteur. Connaissant mieux la boutique, c’est son hôte, Olli, qui prend la parole rapidement et explique, goguenard, que « oui oui, il est tout à fait réalisable que la France parvienne à l’objectif de 3% de déficit dès 2013″. Ici, le brave Commissaire tentait seulement une petite boutade pour chambrer le nouveau ministre ; un peu de bizutage diplomatique ne fait de mal à personne.
Mais voilà que devant le gros micro mou, Pierre s’est senti tout ragaillardi, a confirmé et même renchéri :
«Nous sommes prêts à être jugés sur nos résultats, mais nous avons nos propres voies et moyens. J’ai redit à Olli Rehn que non seulement c’était réalisable, mais que ce serait réalisé !»
Il ne manquait plus qu’un « Allez, Olli, remets-nous ça ! » pour compléter l’haleine lourde, le regard vitreux et le sourire en coin du pauvre ministre qui n’a pas compris dans quel traquenard il venait de tomber là.
Le Défi Marianne 2012 venait de naître.
Une fois rentré et dégrisé, Moscovici a mis ses équipes au courant. L’ensemble des fonctionnaires de Bercy, larmes séchées et crises de nerfs évacuées, s’est penché sur le nouveau problème : en 2013, il faudra donc n’avoir que 3% de déficit sans avoir réduit les dépenses sachant que la croissance devrait atteindre 0% dans le meilleur des cas.
Après un petit moment de flottement pour savoir s’il ne faudrait pas, les élections passées, demander à Bruxelles une rallonge d’une année (ou deux) pour atteindre le même objectif, les choses se sont clarifiées : nous, en France, on a des couilles en titane plaqué rhodium, alors oui, on va pouvoir revenir à un déficit de 3% en 2013 et on vise même l’équilibre ensuite parce que si on n’y est pas parvenu dans les 30 années précédentes, c’est parce qu’ils étaient tous nuls et n’avaient que des raisins secs en guise de gonades, oui mossieu.
Certes, on admet que ce ne sera pas facile ce qui permet au passage aux euphémismes de découvrir les puissances de 10 avec des exposants à 3 chiffres. Mais grâce au Socialisme Triomphant et à une bonne dose de Câlins Républicains, distribués par le Président des Bisous et qui lubrifieront les suppositoires à ailettes que le gouvernement ne manquera pas d’utiliser, nul doute que l’objectif, aussi ridicule et déconnecté de la réalité soit-il, sera atteint comme il se doit.
Car après tout, si l’on n’utilise pas l’austérité, arme émoussée des rétrogrades conservateurs partouzeurs de droite, que nous reste-t-il pour ramener le déficit dans le giron douillet du pacte européen ? Puisqu’on ne veut pas diminuer les sorties, il faudra augmenter les entrées, pardi ! Et d’ailleurs, le gouvernement Ayrault le murmure du bout des lèvres (et seulement du bout des lèvres tant que l’enfumage des législatives n’est pas terminé). Et hors du sérail gouvernemental, on ne se cache pas non plus d’un appétit taxatoire féroce : les riches (ceux qui gagnent plus que le salaire médian, par exemple) doivent payer plus d’impôts ! Allez ! À la caisse !
Et pour compenser ? Des bisous !
Alors oui, l’objectif sera difficile à atteindre (surtout que les impôts ne rentrent pas top), mais tout au plus, l’INSEE devra faire preuve d’un peu de créativité.
Maintenant, il est plus que temps de viser le futur, de regarder vers l’horizon où, déjà, une aube lumineuse et bénéfique se lève en ourlant des petits nuages pacifiques d’une clarté rose et revigorante ! Proposons d’autres défis ! Chacun d’entre nous, profitons de l’occasion qui nous est donnée ici de lancer un nouveau défi au gouvernement Ayrault ! Après tout, puisqu’ils ont décidé de raconter n’importe quoi, puisqu’il est maintenant officiel que la réalité ne doit plus avoir cours, lâchons-nous !
C’est pourquoi je vous propose deux autres grands défis que Hollande et son gouvernement doivent se fixer, au plus vite, et de préférence avec une ou deux déclarations dans la presse histoire de sceller l’engagement et marquer les mémoires. Gageons que ces objectifs seront rapidement approuvés et pris à bras le corps par nos élites.
Pour le premier de ces deux grands défis, je propose d’interdire tous les licenciements pour atteindre 0% de chômage en 2014. Des pistes sérieuses sont en place : un petit effort, et hop, ce sera dans la poche !
Quant au second défi, on le sent déjà à portée de main, puisqu’il s’agira de réguler intégralement les loyers, et faire disparaître complètement la pénurie de deux millions de logements vacants d’ici à 2015 (et comprenne qui pourra). La brave Duflot a bien avancé le long travail de sape de la propriété privée en France, il reste encore quelques efforts à faire pour achever ce but ultime et humaniste !
Décidément, ces Défis Marianne, rien qu’y penser donne des frissons !