En ces jours critiques qui voient la « digue » entre l’UMP et le FN se couvrir d’inquiétantes lézardes, on tend à se focaliser sur quelques personnalités très saillantes – élus ouvertement pro-FN, ou « ténors » type Nadine Morano – pour prendre le pouls du premier parti de droite. C’est un tort : en pareille situation, il est toujours plus intéressant, et révélateur, de s’intéresser aux faits et gestes des élus et responsables politiques moyens, représentatifs de la majorité de leurs pairs, pas particulièrement connus pour leurs excès.
Connaissez-vous Philippe Marini ? Costume-rayé-bleu-cravate-rouge très fillonesques, fines lunettes, cheveux blancs, l’air sérieux, interviewé sur Public Sénat car sénateur-maire et président de la commission des finances de l’auguste assemblée. Un homme sérieux, on vous dit, plus connu, sauf erreur de ma part, pour des interventions budgétaires que pour des scandales médiatiques ou sorties hasardeuses sur les civilisations qui ne se valent pas.
On imagine Philippe Marini très concerné par l’entre-deux-tours des législatives, l’avenir de l’UMP et dans l’immédiat de ses députés. Très conscient de l’intérêt grandissant pour le FN des électeurs de droite, et des débats à la tête de son parti sur l’attitude à adopter à l’égard de la formation d’extrême-droite. Bref, un bon mètre-étalon des préoccupations moyennes de tout cadre ou militant UMP, actuellement. Interrogé, donc, par les journalistes de Public Sénat sur le cas de Roland Chassain – candidat de l’ex-parti présidentiel se désistant en faveur du FN pour le deuxième tour des législatives – il livre cet étonnant raisonnement en plusieurs étapes.
Premièrement : « il appartient [à Roland Chassain] d’apprécier l’état d’esprit de ses électeurs et le climat de sa circonscription ». Marini, « décentralisateur », refuse de le juger. Pendant ce temps, Jean-François Copé, chef jusqu’à preuve du contraire de l’UMP, a officiellement condamné les alliances de ce type (c’est le sens du ni-ni) et enclenché la procédure d’exclusion de Chassain. Y a-t-il encore une ligne politique unique et partagée à l’UMP ? Mystère. En attendant, la position de Marini est absolument explicite : l’attitude à avoir face au FN n’est pas ou plus une question de principe, mais d’observation du terrain, au coup par coup. En clair, la digue mentale a déjà cédé.
Deuxièmement : « s’il y a quelques députés en nombre très limité du FN, la République ne va pas être transformée ». Curieux raisonnement : d’un côté, on admet que les députés FN sont en mesure de « transformer » (en mal, on imagine) la République ; de l’autre, on tolère leur présence. Résumons : les Frontistes sont dangereux sans l’être tout en l’étant. Tout ceci est, on en conviendra, d’une extrême cohérence.
Troisièmement : « à l’inverse, si le Parti socialiste a tous les pouvoirs dans cette République, y compris le pouvoir constituant, nous serions en grave danger ». On touche ici au sublime, la conjonction de l’idée à mode à droite – le FN est quand même fréquentable – et d’un élément de langage éprouvé de l’UMP post-6 mai – si le PS gagne les législatives, il deviendra un parti totalitaire.
Analysons un peu cet intéressant syllogisme. Si le PS a « tous les pouvoirs » (collectivités territoriales, Sénat, Assemblée, Présidence), il mettra en œuvre une politique de … gauche. Ni plus ni moins. Si des députés FN sont élus, ils se feront les porte-paroles d’une politique d’extrême-droite. Ce que nous dit donc très tranquillement Marini, c’est que dans l’absolu, la mise en œuvre d’une politique de gauche est un si grave danger que tout ce qui permet de l’endiguer est bon à prendre – même l’élection de députés capables, s’ils étaient plus nombreux, de mettre à bas la République.
Bref, que la gauche est potentiellement plus dangereuse que l’extrême-droite.
Cela rappelle un slogan déjà entendu dans l’Histoire – Better dead than red. Qu’en pensent Jean-François Copé et François Fillon ? Vont-ils exclure les UMPistes mettant en pratique cette théorie (Chassain) mais fermer les yeux sur ceux qui la prêchent (Marini) en toute franchise ?
Y a-t-il encore une ligne politique à l’UMP ?
Romain Pigenel